Article rédigé par , le 15 décembre 2016
[Source : Famille Chrétienne]
Penser à contre-courant sur quelques sujets brûlants est interdit. Sauf à affronter une véritable dictature, prétendument bien-pensante, qui voit dans l’opposition un intolérable retour en arrière. Panorama d’un phénomène totalitaire qui ne faiblit pas.
Le « délit d’entrave numérique ». C’est la dernière lubie du gouvernement. Il ne s’agit plus d’être pour ou contre l’avortement. Ce qui est en jeu, c’est la possibilité même de s’exprimer librement. Aujourd’hui, émettre un autre avis que celui, officiel, qui domine dans les médias, n’est plus supportable. Offrir la possibilité de ne pas avorter devient une atteinte au « droit des femmes à disposer de leur corps ». Et parler de l’avortement comme d’un drame est transformé en attaque contre les femmes. Le débat est devenu impossible.
Cet épisode est révélateur d’une évolution de notre société : on ne « frotte plus sa cervelle contre celle d’autrui », dirait Montaigne. On ne débat plus. On excommunie, c’est mieux – par exemple Onfray ou Finkielkraut, particulièrement visés car passés à l’ennemi « raciste » et « islamo-phobe ». On exclut, ou on tente de le faire : quand deux « intellectuels » appellent à boycotter un colloque historique à Blois sur « Les rebelles » parce que Marcel Gauchet y est invité et qu’il n’est pas assez rebelle à leurs yeux. On fait un procès à Éric Zemmour pour avoir soi-disant déclaré dans un journal italien qu’il fallait « déporter » les étrangers, alors qu’il n’a jamais prononcé le mot. Sans parler des réseaux sociaux où s’exprime une haine quotidienne. Bref, tout faire pour éliminer l’adversaire. Le processus décrit par Jean Sévillia n’est certes pas nouveau. Mais il s’est emballé. Que s’est-il passé ?
Il s’est passé que la gauche a, d’une certaine manière, perdu la bataille des idées. Ce que voyant, elle se raidit et fait tout pour conserver ses positions. Jusqu’à l’absurde.
La gauche a longtemps exercé une domination sans partage sur le plan intellectuel. C’est elle qui, durant toute la deuxième moitié du XXe siècle, a donné le ton. Dans les journaux, à l’université, à l’Éducation nationale, elle imposait sa façon de voir, donnait ses saints à admirer, pétitionnait à tout-va.
Du coup, ses membres ne se sont plus donné la peine d’argumenter, de penser. Ils n’en avaient pas besoin, ils étaient le « camp du Bien » (Philippe Muray). Selon une vision naïvement manichéenne, ils croyaient – ils croient toujours – que la frontière entre bien et mal passe entre les personnes, et non pas, comme le savent les chrétiens, dans le cœur de chaque homme. Cette croyance affecte toujours les médias et la classe politique, elle les empêche de voir en ceux qui ne pensent pas comme eux autre chose qu’un ennemi dont l’éviction relève du bien public.
Progressistes contre… attardés
Camp du Bien, mais aussi camp du Progrès. Les progressistes croient que c’est le progrès qui préside à la marche de l’Histoire, et que demain sera mieux qu’aujourd’hui, qui déjà est mieux qu’hier. C’est l’espérance chrétienne sécularisée et dévoyée. Le progrès, c’est toujours plus d’égalité, toujours plus de droits individuels, etc. Ceux qui s’y opposent sont des archaïques, des attardés, des conservateurs. Ils n’ont pas le droit de s’exprimer.
S’ajoute à cela un conformisme écrasant, arme ultime de la pensée « correcte ». On dira qu’il existe à toutes les époques et dans tous les camps. C’est vrai, mais le phénomène est amplifié aujourd’hui par deux facteurs.
D’abord, l’inculture qui règne sur les élites. N’ayant pas appris grand-chose à l’école ni à l’université, nombre de journalistes et de politiciens sont incapables de faire preuve d’esprit critique vis-à-vis des idées à la mode. À l’aide de quel tamis pourraient-ils les sélectionner ? Autre facteur aggravant du conformisme : un désir secret de cohésion sociale. Notre société est atomisée, s’apparentant davantage à une agrégation d’individus isolés qu’à une communauté de personnes. Le consensus sur les « valeurs républicaines », cliché dont on nous rebat les oreilles et dont personne ne sait ce qu’il veut dire, est supposé tenir lieu de ce lien social qui nous manque tant.
Pourtant, chacun peut le constater, les lignes bougent. Les digues du politiquement correct craquent les unes après les autres et, même si une gauche sectaire domine encore dans le monde des médias, le paysage intellectuel change et se diversifie. Un journaliste comme Frédéric Taddeï (Europe 1) anime une émission où règne une vraie diversité : des philosophes comme Pierre Manent, Chantal Delsol ou Rémi Brague font entendre une voix dissonante, de jeunes intellectuels comme François-Xavier Bellamy ou Mathieu Bock-Côté apparaissent et renouvellent le débat en profondeur. Débat qui reste une exigence pour tous.
Charles-Henri d'Andigné