Article rédigé par Jean-Yves le Gallou, le 06 décembre 2016
[Source : Polemia]
Pour réussir une campagne politique, il faut entrer en résonance avec l’esprit du temps et les préoccupations des électeurs. Trois tendances majeures surplombent aujourd’hui l’opinion : la critique de la mondialisation financière, l’inquiétude suscitée par l’invasion migratoire et l’islamisation, le retour en force du conservatisme et des valeurs traditionnelles.
Marine Le Pen serait la mieux à même d’y répondre. Mais elle est handicapée par les anachronismes de la ligne Philippot. Jean-Yves Le Gallou décrypte.
La société française va dans un sens, la ligne Philippot dans… l’autre
1 – La société française évolue à droite : sur l’identité, la sécurité, les valeurs. C’est le moment choisi par Philippot pour gauchir le discours du FN.
2 – Les forces de rupture avec le politiquement correct sont nombreuses : mouvements d’inspiration catholique, mouvements d’inspiration identitaire, mouvements entrepreneuriaux, mouvements militants pour le changement scolaire. Les « collectifs » philippotistes chargés de préparer le programme présidentiel de 2017 en sont totalement déconnectés. Ce qui fait courir un double risque : sur le fond, être à côté de la plaque ; électoralement, se priver de tout relais efficace.
3.- Le plus grand mouvement social depuis 1968, c’est la Manif pour tous (LMPT) : plus d’un million de personnes dans la rue, 3 ans de manifestations, la constitution d’une nouvelle génération militante, la génération 2013. Ce puissant mouvement social, Philippot ne l’a pas vu venir. Il s’en est tenu à l’écart et a convaincu Marine Le Pen de faire de même. Pire : interrogé sur l’abrogation de la loi Taubira il a répondu que cela n’avait pas plus « d’importance que la culture des bonsaïs ». Mépriser les électeurs potentiels, une curieuse manière de faire de la politique… Philippot est même allé jusqu’à défendre la campagne d’affichage sur le VIH de Marisol Touraine (*), c’est-à-dire la promotion d’une philosophie de back room à la porte des établissements scolaires et sur les Abribus.
4 – L’Education nationale est l’objet d’une méfiance croissante de la part des parents d’élèves : détournement de la carte scolaire, fuite vers les écoles privées, multiplication des écoles hors contrat, développement des formations alternatives, demande d’autonomie réelle des établissements, exigence de prise en considération des parents d’élèves. Voilà l’attente sociale de millions de parents d’élèves. Face à cela le projet philippotiste du collectif Racines vise à revenir à l’école de Jules Ferry de 1885 – où les parents n’auraient pas leur mot à dire ; et où un ordre du ministre serait immédiatement exécuté dans toutes les classes. Ce qui est ignorer la capacité de sabotage des organes de l’Education nationale. Une parfaite uchronie !
5 – Dans les années 1990 le FN incarnait la défense de l’identité ; Villiers, Seguin, Fillon, Chevènement, la souveraineté. L’identité est devenue aujourd’hui la première préoccupation des Français mais la ligne Philippot la relègue en second plan. Comme si le contenant formel (la souveraineté) avait plus d’importance que le contenu charnel (l’identité). La dénonciation de l’Union européenne et la sortie de l’euro tiennent lieu de mantras. La critique de l’immigration devient accessoire.
6 – De plus en plus d’intellectuels – Eric Zemmour, Renaud Camus, Robert Ménard – osent nommer les problèmes et décrire le Grand Remplacement démographique et civilisationnel, le danger de l’islam et de la chariatisation de la société française. Au lieu de les inviter, de les écouter, Philippot leur tire dans le dos en reprenant contre eux la rhétorique de la diabolisation sur « l’extrême droite », le « racialisme » et le « complotisme ». Grande inélégance, mais aussi grossière erreur, que de croire qu’on se dédiabolise en diabolisant ses voisins.
7 – Le Coran est perçu par une grande majorité de Français comme un danger et comme incompatible avec notre civilisation ; le vote musulman est d’ailleurs radicalement anti-FN comme il a été pro-Hollande (en 2012) et pro Juppé (à la primaire de 2016). Juger l’islam compatible avec la République n’est pas conforme à la réalité. Lancer des appels aux « musulmans patriotes », ce qui revient à ignorer la notion d’oummah, est peu audible. Présenter la construction de mosquées comme « conforme au programme du FN » (comme le fit le philippotiste Bruno Bilde pour Hénin-Beaumont) est incompréhensible. Lancer la web télé Banlieue patriote en faisant appel à Camel Béchikh, membre de l’UOIF, est pour le moins curieux. Tout comme s’adresser à ce frère musulman pour animer des sessions de formation du… FNJ.
8 – La vie politique dans le monde occidental est structurée par l’opposition majorité versus coalition de minorités (ethniques, sexuelles, culturelles). Le Oui au Brexit, l’élection de Trump, la victoire à la primaire de Fillon sont des succès obtenus par des campagnes visant d’abord à convaincre les électeurs issus de la majorité. Le FN philippotiste multiplie, lui, les clins d’œil aux minorités sexuelles et ethniques : lancement du « collectif patriote » à destination des cités de l’islam ; multiplication des appels du pied au lobby LGBT.
9 – Dans les mairies qu’ils dirigent, les conseils régionaux, départementaux ou municipaux dans lesquels ils siègent, les élus FN ont cherché à acquérir une réputation de rigueur financière et de souci des deniers publics. Les promesses de laisser filer le déficit public vont à rebours de 30 ans de leurs efforts. Est-il crédible de proposer l’aggravation d’un déficit budgétaire qui atteint déjà 25% du budget de l’Etat ? Une telle attitude est aussi contradictoire avec la recherche de l’indépendance nationale qui suppose un minimum d’équilibre budgétaire et de la balance des comptes extérieurs. Ce qui explique qu’en 1958 De Gaulle avait appelé Pinay au ministère des Finances et validé le plan Rueff-Armand. A quoi rime de se référer en permanence au général De Gaulle si c’est pour oublier une de ses leçons essentielles ?
10 – La langue de coton et le déni de réalité sont de moins en moins supportés par les électeurs du monde occidental. C’est ce qui explique l’échec d’Hillary Clinton et d’Alain Juppé. C’est le moment choisi par Philippot pour « pasteuriser » le discours du FN, au risque de le rendre insuffisamment audible pour mobiliser l’électorat populaire, porté à l’abstention, et pour récupérer les orphelins du sarkozysme.
11 – La société fonctionne de plus en plus en réseaux. Les idées et les comportements s’échangent et se propagent de manière virale, et s’imposent par eux-mêmes plus qu’ils ne sont imposés de l’extérieur. Or Philippot a une vision jacobine, voire robespierriste, très datée, du fonctionnement de l’Etat, de l’Education nationale et d’un parti politique.
12 – Les médias sont de moins en moins crédibles. Les médias alternatifs et les réseaux sociaux jouent un rôle de plus en plus grand : ils ont assuré la victoire de Trump et la défaite d’ « Ali » Juppé. Or la stratégie philippotiste est paléo-médiatique. Elle repose sur l’espérance d’amadouer les médias mainstream : une espérance doublement vaine car c’est contraire à leur ADN et que l’attitude anti-Système est le moteur électoral du vote FN. A contrario la stratégie philippotiste méprise les médias alternatifs et son discours pasteurisé ne bénéficie que d’une reprise poussive sur les réseaux sociaux.
Philippot tout faux : une stratégie limpide mais non opérative
La stratégie de Philippot est limpide : reconstituer la majorité du Non à la Constitution européenne de 2005 (dans la foulée de la quasi-majorité en défaveur de Maastricht), en faveur de MLP. Et pour cela, venant de la « rive droite », viser prioritairement l’autre rive (gauche) des « Républicains ».
- C’est ringard, car ces débats sont derrière nous (moins dans leurs fondamentaux que parce que d’autres urgences sont apparues depuis 10 à 20 ans – au 1er rang desquelles le Grand Remplacement que Villiers dénonce également – et que c’est ce qui angoisse au 1er chef les « vrais gens ») ;
- C’est non opératif, car des majorités en contre (agrégats de votes négatifs) ne débouchent pas fatalement, et d’ailleurs rarement, en majorités positives (faisceau de votes d’adhésion), sans un nouveau sens donné à l’action ;
- C’est contraire aux enseignements électoraux qui montrent que le FN gagne moins difficilement au deuxième tour contre la gauche que contre la droite ; et qui montrent aussi au deuxième tour la mobilisation de la gauche contre le FN : si ce n’était pas le cas Marine Le Pen présiderait la région Hauts de France…
La stratégie de Philippot repose aussi sur l’idée qu’il faudrait « moderniser » le Front national. Une double erreur. « Moderniser » est un mot daté qui fleure bien le siècle passé. « Moderniser » suppose aussi de se couper de ses racines : or sans racines, pas de futur !
Quelles conséquences pour la présidentielle ?
Malgré cela, Marine Le Pen reste encore aujourd’hui créditée d’un pourcentage important d’intentions de vote : pour une raison simple elle vit de la rente de 30 ans de critique radicale de l’immigration. Et le FN reste de loin la meilleure offre électorale sur ce sujet qui prend une importance grandissante. Marine Le Pen reste aussi désignée comme le grand méchant loup par le Système : triste au regard de la dédiabolisation recherchée mais rassurant en terme électoral ! Etre dénoncé par les médias est un certificat de qualité !
Dans ces conditions, il est normal que la qualification de Marine Le Pen pour le second tour paraisse acquise. Tant que la gauche sera éclatée. Mais si un candidat (Montebourg ?) parvenait à rassembler la gauche sociétale (Macron) et la gauche sociale (Mélenchon), un premier tour en forme de triangulaire (Montebourg/Fillon/Le Pen pourrait rebattre les cartes.
Retour aux fondamentaux ?
De ce point de vue, ce serait sans doute une erreur de canonner d’abord Fillon sur son programme économique car une campagne du type « au secours la droite revient » ne peut que servir Fillon d’un côté, les candidats de gauche de l’autre. Dans leurs motivations de vote les électeurs ne choisissent pas le FN pour ses positions économiques (qui souvent les divisent) mais pour ses positions sur l’identité et la sécurité (qui les unissent). Quand on veut réussir un concours, il faut d’abord bosser sa matière forte surtout quand elle a un fort coefficient. En politique cela s’appelle revenir à ses fondamentaux. Surtout quand ils sont portés par le vent de l’histoire !
Enfin, la clé d’une élection présidentielle c’est la mobilisation de l’électorat populaire. Ce qui peut le bouger, c’est le parler vrai et le parler cru, pas les minauderies !