Article rédigé par Gabrielle Cluzel, le 01 décembre 2016
[Source : Boulevard Voltaire]
Si l’Éducation nationale était une entreprise normale, elle ferait fissa un sérieux audit.
Mardi était publiée « la plus grande étude de l’enseignement des mathématiques et des sciences dans le monde » et « les résultats [sont] tragiques pour la France » (Le Point). La France (CM1 et terminale S) obtient de moins bons résultats que la plupart des pays : elle a décroché du pool occidental pour rejoindre le Qatar et la Turquie. En 20 ans, elle s’est effondrée.
La Russie et le Liban, par exemple, ont un niveau bien meilleur mais moins d’élèves au stade de notre terminale S ou, pour le dire autrement, nos terminales S brillent plus par leur quantité que par leur qualité.
Le Point croit pourtant relever un point positif, « les statistiques de genre » (sic) : presque autant de filles en terminale S que de garçons. Bémol : ces derniers sont globalement « meilleurs dans cette filière ».
Alors, quoi ?
Alors si l’Éducation nationale était une entreprise normale, elle ferait fissa un sérieux audit. Elle mettrait (allez ouste) dans la benne les spéculations de Philippe Meirieu, « le pédagogue le plus écouté de nos gouvernants », dixit Libération, se résumant peu ou prou à « fais ton cours toi-même ».
Quand un gérant mène une boîte à la ruine, on en change. Las, celui-ci sait user de l’arme nucléaire : ses détracteurs, crie-t-il, viennent de la fachosphère, de la réacosphère, de la droitosphère et autres affreuxjojosphères. Vous ne voudriez pas que le gouvernement se rende complice de cette engeance ? Laissons le niveau plonger, c’est plus moral.
Alors, elle se poserait la question de savoir si on consacre le temps nécessaire aux apprentissages fondamentaux, s’il ne faudrait pas débarrasser l’emploi du temps de ces scories que sont les sorties scolaires – parfois baroques -, les voyages toujours plus onéreux et lointains – comme s’il fallait remplir les avions pendant les périodes creuses -, la prévention routière, l’éducation sexuelle, l’apprentissage du vivre ensemble et toutes ces activités du ressort de la famille, qui délassent peut-être la maîtresse, mais pendant lesquels, pardi, on ne fait pas d’arithmétique ni de géométrie.
Alors elle pourrait écouter Antoine Desjardins, prof de lettres interviewé par Marianne, qui se demande pourquoi l’école fait sa priorité de « la lutte contre l’inégalité et non plus la lutte contre l’ignorance », dont le résultat ci-dessus cité – plus d’élèves en terminale S mais de niveau plus médiocre – est l’éclatante illustration. Pourquoi faire rentrer au chausse-pied des enfants en S pour les en faire sortir le jour du bac aux forceps s’ils ne sont pas faits pour cela et retardent, nécessairement, la vitesse de progression des autres, comme un boxeur entraverait l’entraînement d’une équipe de basket ? Mais parce que les sciences sont supposées être la voie royale. Et que les études, comme le reste, ne sont plus conditionnées par le « si je peux »mais par le « si je veux ».
On pourrait, évidemment, y remédier. Plus de filles en S, mais elles y sont moins « fortes ». Peut-être parce qu’elles ont, globalement, moins d’appétence pour la matière, qu’elles sont, pour certaines, des « malgré-nous » — on sait le goût de nombre de filles pour les lettres — qu’on a poussées dans le dos, pour qu’elles « réussissent » ? Pour qu’elles puissent « réussir » tout en s’épanouissant, si l’on revalorisait « L », revalorisant ainsi par ricochet « S », qui deviendrait apanage des « vrais » scientifiques ?
Mais il faudrait, pour cela, mettre à bas l’évangile selon Bourdieu, qui a déprécié à dessein les voies littéraires, réputées socialement discriminantes…
Le verrou serait donc, encore une fois, idéologique ?