Article rédigé par Yvan Rioufol, le 24 novembre 2016
[Source: Magistro]
L'élection de Donald Trump est un requiem pour le monde ancien. Celui qui va lui succéder réclame déjà des limites. Limites à la mondialisation qui abîme les peuples, au libre-échange qui paupérise les faibles, à l’immigration qui déséquilibre les nations, à l’islam politique qui veut asservir la planète. L’ombre de la guerre est partout présente. La révolution conservatrice qui déboule désacralisera aussi, au nom de la protection de la planète, le culte voué à la croissance économique et démographique. Mais les vieilles idéologies sont des obstacles à ces défis : pas plus le progressisme que le pacifisme, le relativisme ou le "bien-pensisme" ne peuvent répondre aux désastres créés par leurs erreurs. Les idées neuves courent après l’histoire que les peuples excédés ont choisi d’improviser. Dans ce contexte, la primaire de la droite a gentiment ronronné. Saura-t-elle répondre à l’ère nouvelle ?
Quand Alain Juppé évoque la "vendeuse de Prisunic" (chaîne disparue en 2002) ou assure, lundi soir au Zénith devant une salle peine : "j’ai la super-pêche !", il laisse voir un "vieux style" qui dépasse la seule anecdote. Sa défense des élites n’est certes pas sans panache, à l’heure où elles viennent d’être balayées par l’ouragan trumpiste. Mais si la tornade atteignait la France dès ce dimanche - jour du premier tour de la primaire LR - elle rendrait vulnérable le représentant d’une classe politico-médiatique qui vient d’être pulvérisée outre-Atlantique. Juppé, favori des médias comme l’était Hillary Clinton, personnifie le conformisme, le moralisme facile, la suffisance. Or ce politiquement correct, qui étouffe la France depuis des décennies, est insupportable à beaucoup de citoyens. Seul le socialisme en faillite s’y reconnaît encore et pourrait venir en aide au candidat de l’identité heureuse, cette farce.
En démocratie, il n’est jamais bon de se moquer trop longtemps du peuple, en l’accusant d’incarner le populisme ou en accablant ceux qui parlent en son nom. Ce mépris, Clinton l’a payé cher. Une semblable réaction est à attendre en France. "Un État qui fait la guerre aux siens doit être combattu", va même jusqu’à soutenir le maire de Béziers, Robert Ménard, proche du FN, en pointant la surdité du pouvoir devant les Français qui souffrent. Il est peu probable que ces électeurs se mobilisent en force ce week-end pour choisir entre des personnalités qui, Jean-Frédéric Poisson mis à part, incarnent le sérail. Leur obsession quasi unanime à désigner Marine Le Pen comme l’adversaire principale la hisse en unique représentante de l’anti-système, posture qui a fait la fortune du président des États-Unis. Ceux qui se posent en rempart à son accession au pouvoir lui facilitent la tâche.
Pour autant, Nicolas Sarkozy et François Fillon, qui forment derrière Juppé le trio de tête, ont su le mieux capter une partie de la révolte. La leçon de démocratie américaine oblige ces prétendants à l’Élysée - qui débattaient une dernière fois hier soir - à mettre plus encore le peuple oublié au cœur de leurs programmes. Dans cette ultime ligne droite, il n’est pas sûr cependant que Sarkozy ait choisi la bonne méthode : alors qu’il dénonce violemment François Bayrou et talonne Marine Le Pen sur des sujets de société, le choix de l’ancien chef de l’État de voter quand même pour le premier en cas d’improbable duel avec la seconde est venu une nouvelle fois mettre un doute sur sa cohérence. En élisant Trump, c’est un novice que les citoyens ont choisi, plutôt qu’une professionnelle. En se montrant subtilement manœuvrier, Sarkozy joue-t-il la bonne stratégie ? La montée en puissance de Fillon semble montrer que non.