Pourquoi la greffe des primaires...
Article rédigé par Maxime Tandonnet, le 12 octobre 2016 Pourquoi la greffe des primaires...

[Source : Magistro]

Pour Maxime Tandonnet, les Français perçoivent avec une clairvoyance le basculement de la vie démocratique dans "un spectacle émotionnel permanent".

Les primaires de la droite et du centre intéressent-elles vraiment les Français ? Selon un sondage Sofres du 26 septembre 41% des électeurs se sentent concernés. Pour un scrutin ayant de fortes chances de désigner le futur chef de l'État, ce pourcentage est loin de marquer un engouement du corps électoral. L'audience des émissions de télévision qui leur sont consacrées ne manifeste pas non plus une mobilisation spectaculaire : 6,7 % pour Alain Juppé sur France 3 lundi et 12,7 % pour Nicolas Sarkozy sur France 2. "L'amour est dans le pré" réalise de bien meilleurs scores... Pour un vote censé engager l'avenir de la France pendant cinq ans, nulle trace de mobilisation massive des Français. L'impression dominante est mitigée au regard de l'importance des enjeux, penchant plutôt vers une relative indifférence de la majorité silencieuse.
 
Tout se passe comme si la greffe des primaires sur la société française ne prenait pas. De fait, les citoyens, les électeurs lambda sont toujours beaucoup plus intuitifs et lucides que ne le pensent les milieux dirigeants. Les primaires de la droite et du centre sont peut-être inévitables à court terme dans le contexte actuel. Mais elles sont la résultante, le symptôme, l'aboutissement de la décomposition accélérée de la politique française : des responsables politiques obnubilés par leur destin personnel et l'ivresse élyséenne, incapables de se parler et de mettre d'accord sur le nom du meilleur candidat dans l'intérêt de la France. Cette explosion du sens de l'intérêt général au profit de la bataille d'ego, les Français la ressentent douloureusement.
 
Les fondements de l'organisation de ces primaires suscitent la perplexité. Le principe de "payer pour voter", même la somme dérisoire de quatre euros, désarçonne au regard de la tradition démocratique du suffrage universel... La notion de "valeurs de la droite et du centre", auxquelles il faut "adhérer", laisse franchement sceptique, compte tenu de son extraordinaire connotation sectaire. Comme si le peuple français n'était pas indivisible, et rassemblé, en principe, autour de valeurs communes qui transcendent les clivages idéologiques... Enfin, le principe de singer un modèle politique américain qui montre largement ses limites ne suscite pas non plus l'enthousiasme.
 
Le déroulement actuel de la campagne des primaires de la droite et du centre ne peut que conforter le malaise. L'absence de renouvellement est flagrante, entre deux anciens Premiers ministres et un ex-chef de l'Etat. Le débat d'idées est absent : aucune ambition de nature présidentielle ne s'impose, sur les institutions, l'avenir de l'Europe, la cohésion nationale, l'autorité de l'État, l'économie. Les petites phrases hargneuses et les coups médiatiques, les annonces-gadget destinées à forcer l'attention, l'emportent sur les vraies questions de fond. Le matraquage médiatique et 'sondagier' bat son plein. Les ralliements opportunistes, au fil des sondages, ne donnent d'ailleurs pas une belle image de la politique. La dernière polémique, sur la participation des électeurs de gauche ou lepénistes, susceptibles de faire pencher la balance, accentue le désarroi général : tel n'était-il pas le principe même de primaires "ouvertes"?
La personnalisation de la vie politique au détriment du débat d'idées atteint son paroxysme.
 
Les enjeux de la vie électorale se cristallisent autour d'individus et de l'impression, de l'émotion qu'ils dégagent, et non sur un choix d'avenir collectif. Mais beaucoup de Français perçoivent avec une clairvoyance insoupçonnée le basculement de la vie démocratique dans la manipulation émotionnelle et l'abêtissement de masse. Les primaires exhalent un dangereux parfum nihiliste. Les candidats ont produit des tonnes de livres et des propositions. Mais au-delà des digressions solitaires et narcissiques, quelle est l'orientation, la ligne, l'ambition, le programme d'une future majorité d'alternance ? Nul n'en a la moindre idée. Et pour cause...
Le vainqueur des primaires a certes de bonnes chances, d'après les sondages, de gagner les présidentielles contre le candidat du parti lepéniste. Gagnant d'une bataille d'image plutôt que d'idées, dans un contexte politique émietté, pourvu d'une majorité déchirée par les rancunes, sans programme cohérent, sans doute fragile dans l'hypothèse d'une poussée extrémiste aux législatives, vers quel horizon devra-t-il se tourner ? De fait, il n'aura pas d'autre perspective que de s'arc-bouter à la défense obsessionnelle de son image personnelle si chèrement conquise, et de s'échapper dans la communication pour tenter de conjurer l'inévitable et profonde impopularité qui s'abattra inévitablement sur lui. Dès lors, rien ne ressemblera davantage au quinquennat 2012-2017 que le quinquennat 2017-2022, ouvrant ainsi la voie à un véritable abîme en 2022.