Article rédigé par Gabrielle Cluzel, le 22 septembre 2016
[Source : Boulevard Voltaire]
On reproche au collège élitiste façon Theresa May d’induire une ségrégation sociale…
Theresa May vient de l’annoncer : elle va procéder à une refonte du système scolaire anglais, dont la réforme phare sera la généralisation, dès 11 ans, des grammar schools – collèges et lycées d’excellence, où ne peuvent entrer que les meilleurs élèves – dans le but, dit-elle, de développer la méritocratie.
La mesure est controversée, le système, selon les opposants, risquant de « creuser les inégalités et la ségrégation sociale ».
On peut, il est vrai, discuter à raison des effets néfastes, dès le plus jeune âge, de la sélection à outrance, de la scolarité « marche ou crève », de la pédagogie par l’échec. On peut déplorer l’élitisme échevelé qui réduit l’enfant à une note, tresse des couronnes de lauriers au galopin humainement odieux, pourvu qu’il soit fort en thème.
Oui, on peut en discuter. Mais ce serait pure spéculation, car il faut bien dire que nous autres, avec l’école publique à la française, sommes bien tranquilles. Le danger ne nous guette pas. Ce qui sépare Theresa May et Najat Vallaud-Belkacem, en la matière, n’est pas la Manche mais l’océan Pacifique.
Tandis que l’une développe ses grammar schools, l’autre, par sa réforme du collège, traque les pauvres niches où se réfugiaient encore, serrés les uns contre les autres et sans faire de bruit, les bons élèves, notamment les classes européennes. Il fallait, bien sûr, ruser. Pour y entrer, on ne parlait pas de « test de niveau » – z’êtes pas fous ? – mais de « bilan de compétence ». Tout cela est terminé.
Pour cela comme pour le reste, on a décidé qu’il fallait vivre ensemble.
Et qu’il suffisait de casser le thermomètre – en l’occurrence les notes – pour gommer les différences. Tout cela a l’air tellement plus gentil, mignon, charmant. Sur le papier.
Car dans les faits, « la tête de classe se transforme en tête de Turc », comme le titrait en novembre 2015 Le Figaro à l’occasion d’une campagne de lutte contre le harcèlement scolaire. « Au collège, ce lieu où tous les univers sont mélangés, celui de l’élève qui va faire un bac professionnel comme celui qui va atterrir en classe prépa, il est parfois très difficile pour le bon élève de réussir à mener une scolarité apaisée », rapportait le conseiller principal d’éducation d’un lycée de Clermont-Ferrand dans ce même article.
Quant au mauvais élève, désœuvré car incapable de suivre, plein de rancœur jalouse à l’endroit de celui qu’il persécute, est-il plus heureux ? La médiocratie est bien plus égalitaire, il faut le reconnaître, que la méritocratie. Tout le monde végète et y est mal dans sa peau.
À moins, bien sûr, que des parents plus aisés parviennent à vous en exfiltrer…
On reproche au collège élitiste façon Theresa May d’induire une ségrégation sociale, attendu qu’il y aurait une reproduction des élites, une transmission intrafamiliale des savoirs. Indéniablement, on apprend plus vite à jouer au tennis dans la famille de Yannick Noah que dans celle d’un cul-de-jatte. Mais on peut aussi devenir champion sans que papa ni maman n’aient jamais tenu une raquette. Pourvu que l’on ait les dispositions, que l’on soit repéré, sélectionné, entraîné.
Pour rentrer dans les grammar schools de Theresa May, il faut avoir des dispositions scolaires. Ayant été repéré et sélectionné, on y sera « entraîné ». Quand on ne peut s’extirper du collège passé sous le rouleau compresseur NVB que par l’argent des parents… qu’ils vous offrent une école privée ou qu’ils s’installent dans un quartier huppé à la cote immobilière prohibitive assorti de facto de son établissement « bourgeois » encore préservé. Quel système est donc, in fine, le plus injuste ?