Article rédigé par Roland Hureaux, le 20 septembre 2016
[Source : Blog de Roland Hureaux]
Périco Légasse a raison de dire qu'à côté de la tragédie que traversent les éleveurs bovins, hier à viande, aujourd'hui laitiers, la querelle du burkini ou la démission de Macron paraissent des sujets bien frivoles.
Des prairies et dans les prairies, des vaches; au milieu une ferme avec un fermier et un chien; c'était là une part essentielle de ce qu'était la France ( rien de comparable à tous les pays où on ne voit pas d'animaux dehors, l'élevage s'y faisant hors sol).
C’est cela qui disparaît et parfois tragiquement : des centaines d'agriculteurs surendettés et désespérés sont conduits au suicide chaque année dans l'indifférence générale.
Il y a quelques jours, je passais à Saint-Benoît-du-Sault, un de plus jolis villages de France dans une région, le Sud-Berry parmi les plus déshéritées. A la sortie du village, une ferme à l'abandon : l'herbe avait poussé sur le machines agricoles laissées dans les hangars sans que personne en ait trouvé l'utilité . Spectacle désolant, tout un symbole.
Lactalis et les producteurs ont passé un accord sur la base de 0,29 € le litre. C'est mieux que les 0,254 € qui étaient versés il y a un mois, mais c'est le même prix , 1,9 francs, qui était payé au producteurs il y a trente ans. Aucune hausse de productivité significative ne justifie cette stagnation du prix nominal versé au producteur qui revient à une baisse du prix réel. On incite les éleveurs à se rationaliser, à s'agrandir et ils le font , mais cela suppose des investissements et se traduit par toujours plus de travail ( pour des gens qui sont déjà sont bien au-delà des 35 heures), pas forcement une plus grande productivité des facteurs. Entre temps , les charges n'ont cessé d'augmenter, les normes de se compliquer.
Pour ceux qui ont investi comme on leur a dit, 0,29 € c'est 1 euro de moins que le prix de revient. Seuls résistent ceux qui n'ont pas fait d'investissements ou les ont déjà amortis , pas forcément les plus modernes.
Les effets de la mondialisation
Il y un an, le lait de vache se vendait à 0,36 € le litre . Que s'est-il donc passé ensuite ? La fin des quotas laitiers qui avait été programmée dans les accords du GATT de 1995 , au nom du libéralisme, a libéré un peu partout la production. En ont particulièrement profité en Europe les producteurs allemands ou hollandais dont les coûts de revient ( salaires, impôts, engrais, aliments ) sont moindres et où le régime communiste avait laissé en Prusse l' héritage d' immenses exploitations, proches de pays où la main d'œuvre ne coûte guère.
Si les fruits et légumes ou le vin courant ont à craindre de la fin de l'euro, qui tirerait les prix de nos concurrents méditerranéens vers le bas, si les exploitations céréalières du Bassin parisien ultra-compétitives n'ont rien à redouter hors les intempéries ( dont elles souffrent ces jours ci) , les éleveurs de viande ou de lait sont les premières victimes d'une monnaie surévalue par rapport à nos concurrents de l'Europe du Nord. L'élevage illustre une fois de plus combien la conjugaison d'une monnaie trop forte et de frontières ouvertes est destructrice, ce que nos "élites", ignares en économie, ne veulent pas voir.
La balance agricole , et singulièrement animale, franco-allemande n'a cessé de s'améliorer au bénéfice des Allemands depuis la mise en place de l'euro ; autrefois, quand la situation était inverse, les Français avaient fait preuve de solidarité au travers des montants compensatoires. Rien de tel aujourd'hui où la solidarité devrait jouer en sens inverse.
Derrière les accords du GATT, il y avait l'objectif de la mondialisation du marché du lait , largement atteint aujourd'hui. Le prix mondial se fixe en Nouvelle-Zélande: même si nos berlingots frais sont fabriqués en Europe, le lait en poudre , lui, traverse les mers : la baisse de consommation de la Chine a tiré les prix mondiaux vers le bas.
L'arme qui permettrait aux producteurs de retrouver une certaine marge de manœuvre face aux grands groupes est le mouvement coopératif. Il dispose en France d'avantages fiscaux qui lui donnent les moyens de verser de gros salaires à ses dirigeants, lesquels, taille oblige, y ont seuls le vrai pouvoir . Dans le cadre de la réforme de l'Etat , le service spécialisé du ministère de l'agriculture s'est assigné pour objectif chiffré le nombre de fusions de coopératives qu'il pourra susciter. Big is beautiful.
Sans doute les prix, après avoir assez baissé, finiront ils bien par remonter et certains éleveurs résisteront ils à la crise . Mais chaque fois ils seront moins nombreux. Ce n'est pas seulement un pan entier de notre civilisation qui s'en va , c'est aussi un atout essentiel de la France , si bien pourvue en terroirs divers, favorables à un vaste éventail de productions. La déprise de ces terroirs est à prévoir quand les producteurs auront été les uns après les autres découragés. Les consommateurs perdent en qualité ce qu'ils semblent gagner sur les prix ( très peu en réalité, car la matière première n'est qu'une petite partie du prix de vente) . A qui donc , en matière agricole, a profité la mondialisation, sinon aux multinationales ?