Article rédigé par Jean-Marie FAUGERE, le 14 septembre 2016
[Source : Magistro]
Conscription, réserves militaires et/ou "garde nationale".
La conscription pour quoi faire ?
Le débat sur la conscription, relancé par certains candidats à l’élection présidentielle avec les derniers événements sur le territoire national, souffre de ne pas répondre à la seule question qui vaille : la conscription pour quelle finalité ?
S’il s’agit de "faire la guerre" comme c’est le cas depuis plus de vingt ans sur les théâtres d’opérations extérieurs, alors, le choix de l’armée professionnelle ne saurait être mis en cause dans l’état actuel du monde et des menaces car, il y faut de "vrais" professionnels, entrainés et aguerris, ce que ne sera jamais un "conscrit".
S’il s’agit de préserver la nation et la population de la menace d’actes terroristes, alors c’est l’affaire des services de renseignement, des forces de police et de sécurité et, in fine, de la justice.
S’il s’agit d’apprendre aux jeunes français à se comporter en citoyen responsable et à présenter un profil acceptable sur le marché de l’emploi, alors, c’est le rôle des familles en premier lieu puis la mission de l’éducation nationale ou des centres de formation professionnelle. Certainement pas celui de l’armée (qui y concoure cependant pour ses propres militaires engagés).
S’il s’agit d’entretenir le lien armées-nation, cette question est davantage soulevée dans les discours officiels qu’elle ne répond à une réalité vécue par nos concitoyens, lesquels constituent, en effet, les foyers et les familles où l’armée recrute ses membres (on l’oublie parfois !). Tous les militaires sont issus de la société civile… mais, sans doute, une minorité seulement provient des classes aisées et dirigeantes… Sur ce point, et a contrario, on pourrait réfléchir utilement à une forme de service militaire des élites (grandes écoles, ENA, écoles de la magistrature, etc.).
De surcroît, parler de conscription, et donc d’un service national, voire militaire, à caractère universel est irréaliste, car elle concernerait une classe d’âge de 800 000 jeunes gens et jeunes filles. Aucune administration n’est en mesure d’accueillir un tel volume, même pour quelques mois (la durée minimum d’appel restant raisonnablement de six mois). Incorporer moins –beaucoup moins- qu’une classe d’âge supposerait de sélectionner et donc d’opérer une "discrimination" sur des bases (autres que médicales) qui seront toujours contestables et qu’il resterait à définir. Or, une formation militaire utile demande au minimum une année de formation individuelle et collective ; car, l’armée de haute technologie n’est plus celle la conscription d’antan et l’environnement, médiatique notamment, qui prévaut sur les théâtres d’opérations réclame une grande exigence professionnelle, technique, morale et comportementale.
Une réserve militaire dans quel but ?
En revanche et afin de préserver l’avenir, un système de réserves militaires - constitué de renforts individuels, d’une part, et d’unités de réserve, d’autre part - qui viendrait renforcer les capacités des armées sur le territoire national, principalement celles de l’armée de terre, conserve du sens, en particulier dans le contexte sécuritaire actuel ou prévisible à moyen terme. Cette réserve (1) dont la mission devra être clairement définie en termes militaires assurerait la protection du territoire et de la population (au sens de la posture de protection terrestre définie récemment) aux côtés et en complément des unités d’active dans la perspective extrême du dernier recours ou lors de la mise en œuvre des plans de secours aux populations. Comme pour ces dernières, le cadre juridique de son emploi demandera à être précisément défini. Il sera nécessaire de revoir de fond en comble également, les règles de l’activation de cette réserve vis-à-vis des employeurs civils des salariés réservistes par un dispositif incitatif et un cadre juridique qui restent à imaginer.
Adossées aux formations d’active –principalement l’armée de terre, encore une fois, la seule à éprouver le besoin d’un renfort important de personnel- par la désignation d’unités d’active parraines, les formations de la réserve militaire auraient avantage à être régionalisées autant pour leur recrutement que pour leur emploi éventuel sur le territoire national dans des missions de protection et sur un espace géographique qu’elles maîtriseraient. Pour emploi, elles répondraient aux mêmes subordinations que les unités d’active. Par ailleurs, la réserve pourrait également fournir des renforts individuels en cas de crise grave dans des domaines spécifiques (juridique, renseignement, soutien hospitalier, etc.) soit à partir d’anciens militaires d’active retournés à la vie civile (ceux à contrats plus ou moins courts), soit à partir de professions civiles dont les compétences s’avèreraient nécessaires dans le cadre de la gestion globale (interministérielle) des crises et des conflits. Cette réserve bénéficierait aux trois armées. Tout ceci appelle une réforme de fond de la réserve militaire et des moyens, financiers et matériels, que la France n’a jamais vraiment consacrés à cette vaste entreprise.
En résumé, les trois armées requièrent pour leur bon fonctionnement en situation de crise, notamment sur le territoire national, et encore plus en cas de conflit majeur, d’avoir recours :
pour les trois armées (terre, mer, air) et les organismes interarmées, à des réservistes "affectés individuels" dans les états-majors ou les unités de soutien sur des tâches bien spécifiées ; essentiellement des officiers et sous-officiers ;
pour l’armée de terre, à des unités constituées de réservistes, rattachées à des formations d’active pour un emploi sur le territoire national ; à condition d’être en mesure de recruter une ressource hiérarchisée en officiers, sous-officiers et soldats. Un régiment de réserve pour 2 départements constituerait un idéal ou 2 à 3 par nouvelle région administrative un minimum.
La question de la garde nationale
Relancée sur des bases incertaines par le Président de la république à la suite des actes terroristes de 2015, l’idée d’une "garde nationale" souffre de son antécédent historique en France et sera brouillée par la comparaison avec celle des Etats-Unis (2), laquelle restera hors de portée financière, déjà, et même, culturelle pour l’esprit français. Nécessairement à statut militaire, elle risquera de faire double emploi avec la réserve militaire qu’elle concurrencerait.
De surcroît, une garde nationale se devrait de jouir d’une autonomie assez large, indépendamment des armées, dans les domaines du commandement – donc des structures ad hoc, des états-majors -, du soutien et de l’administration, des organes de recrutement et de formation comme d’entraînement. Tout un ensemble qui serait redondant avec celui des forces armées et qui auraient nécessairement un coût, exorbitant, au détriment des moyens consacrés aux armées.
En conséquence, afin de ne pas multiplier les forces de sécurité intérieure, source de conflits de responsabilité et de confusion dans l’action, le bon sens recommande de s’en tenir à une réserve militaire, crédible, dotée des moyens adéquats et formée autrement que durant des week-ends laborieux qui sont soumis aujourd’hui au bon vouloir du volontariat de ses membres…
6 juillet 2016
(1) Précisons que la gendarmerie nationale dispose de sa propre réserve à statut militaire et que la police nationale bénéficie également de réservistes civils.
(2) Qui y consacrent, faut-il le rappeler, environ 30 milliards de dollars annuels. Et qui entretiennent également quatre réserves (Army, Navy, Air Force et Marine Corps) pour 20 milliards de dollars annuels soit un budget annuel cumulé pour l’ensemble de leurs réserves de près de 50 milliards de dollars ! La France pour sa part consacrait … 71 millions d’€/an à sa réserve militaire, chiffre porté progressivement vers 80 M€ après 2015….