Article rédigé par , le 12 septembre 2016
[Source : Atlantico]
Après l'Arabie saoudite, le Koweït et le Maroc, l'auteur poursuit son feuilleton, "avec des amis comme ceux-là, pas besoin d'ennemis", concernant les pays qui appuient ou encadrent l'expansion de l'islam chez nous mais persécutent les convertis au christianisme chez eux...
Depuis des décennies, le Qatar, à la fois allié au sein du Conseil de Coopération du Golfe et rival de Riyad dans la promotion du fanatisme islamiste, est devenu un pôle majeur de l'islamisme mondial, malgré sa petite taille mais grâce à ses énormes moyens financiers, à sa diplomatie offensive et à son soft power médiatique. Le Qatar, monarchie wahhabite comme l'Arabie saoudite, mais à l'image plus moderne, est dirigée depuis 150 ans par la dynastie des Al-Thana, forte de 3000 membres et tiraillée par d'âpres rivalités entre tendances "modernistes" pro-Occidentaux (concept relatif dans ce pays) et wahhabites ou pro-Frères musulmans. Peuplé de 2 millions d'habitants, dont seulement 200 000 Qataris (80% de la population est étrangère), le Qatar est un tout petit pays de 11400 km² mais dont la puissance sans commune mesure avec le territoire vient du fait qu'il est le premier exportateur mondial de gaz naturel liquéfié (GNL) devant la Russie et l'Iran.
Par ailleurs, le Qatar héberge l'une des plus grandes bases militaires américaines dans la région depuis qu'un traité a été conclu avec les Etats-Unis en 1995.
La pénétration des démocraties occidentales
Afin de préparer l'après-hydrocarbures, le pays des Al-Thani a investi dans une cinquantaine de pays dans les domaines suivants : finance, industrie, énergie, hôtellerie, produits de luxe, médias, mode, immobilier, etc. En Occident, le Qatar est profondément implanté, notamment à Paris, Barcelone et bien sûr Londres (il possède les magasins Harrods, le Hyde Park, le complexe résidentiel le plus cher de Londres, ou encore le Shard, l’immeuble le plus haut de la ville). En échange d'avantage fiscaux exceptionnels, le Qatar a particulièrement visé ces dernières années la France, notamment sous les présidences de Jacques Chirac et de Nicolas Sarkozy. Le processus s'est toutefois poursuivi sous François Hollande, bien que celui-ci ait un fort prisme pro-saoudien. Dans le cadre de cette stratégie de diversification économique vers l'étranger, l'outil principal a été le Qatar Investment Authority (QIA), le fond souverain officiel qatari. Celui-ci a investi dans l'hôtellerie de luxe. Le QIA, qui arrive en dixième position au niveau mondial, possède outre le Virgin et 35 000 mètres carrés sur les Champs-Élysées : 27% de la Société des casinos de Cannes (Barrière Croisette et Les Princes, hôtel Majestic et Gray d'Albion), 13% du groupe Lagardère, 8% d'EADS, 6% de Vinci, 5% de Veolia, 3% de Total, 2% de Vivendi, 1% de LVMH, sans parler du soft power que constitue l'achat du PSG ou le partenariat avec le club de foot de Barcelone (Barça). Sous la présidence de François Hollande, le phénomène trop souvent attribué au seul Nicolas Sarkozy s'est poursuivi : un Fond d'Investissement Commun a été créé en Juillet 2014 par la Caisse des dépôts et la Qatar Holding LLC afin de constituer un fonds de 300 millions d'euros destiné à investir principalement dans des PME françaises.
Alors qu'il a une main dans les affaires au sein de l'économie mondiale et des démocraties occidentales, ainsi qu'une image pacifique de pays dont la seule arme serait le soft power des médias et du foot ("religion de l'Occident" qui permet d'endormir les méfiances des "mécréants"), le Qatar a une autre main dans le djihad et la promotion du fanatisme islamiste tous azimuts. Il a notamment envoyé des avions entiers chargés d’armes à des mouvements islamistes djihadistes tant en Irak, en Somalie, à Gaza qu'en Syrie, au Soudan ou au Mali. En Libye, la coalition islamiste (Salafistes et Frères musulmans) appelée "Aube libyenne" (Fajr Libya), a été l'un des principaux bénéficiaires de cette aide. Les services occidentaux savent que le Qatar a livré des armements en Syrie, au Mali ou en Libye, en violation des embargos sur les armes, notamment en direction de Misrata, près de Tripoli, non loin des bases de Fajr Libya et de la coalition des milices islamistes.
Soutien aux Frères musulmans et aux djihadistes du monde entier
Le Qatar héberge de nombreux leaders et propagandistes islamistes. Il fournit refuge, aide financière, travail, soutien logistique, politique et médiatique à moult partis et groupes combattants islamistes en Afrique, au Proche-Orient, en Occident et jusqu'en Asie. De façon officielle, Doha appuie depuis des décennies les Frères musulmans dans le monde entier. La stratégie qatarie de soutien à la puissante Confrérie a fini par irriter d'autres Etats arabes, y compris l'Arabie saoudite, qui craint que la "démocratie musulmane" et donc la soif de pouvoir prônée par les Frères musulmans se retournent un jour contre leurs régimes clanico-féodaux. C'est pourquoi, après l'avoir appuyée pendant des décennies, l'Arabie combat chez elle la Confrérie depuis les années 1990, date à laquelle le Qatar et le Koweït ont pris le relais. De leur côté, l'Egypte du Maréchal Al-Sissi et son allié des Emirats arabes Unis, tous deux en guerre contre les Frères et irrités par la diplomatie intrusive pro-frériste du Qatar, sont entrés en guerre contre l'islam politique, tant en Egypte qu'en Libye.
A contrario, Doha estime avoir beaucoup à gagner de la relation étroite avec les Frères, car cela lui permet tout d'abord de garantir qu'ils ne tenteront pas de faire de la politique dans ce pays tout en contribuant à l'extérieur à élargir la "profondeur" stratégique de ce petit pays via l'accession de pouvoirs fréristes susceptibles d'être reconnaissants par la suite envers leur riche parrain. Les autorités du Qatar escomptent ainsi être prépositionnées dans plusieurs pays arabes sur le plan économique et politique à la faveur d'une alternance démocratique-islamiste qu'ils auront favorisée tout en la contenant chez eux. Enfin, le Qatar entend, tout comme la Turquie, se positionner comme intermédiaire incontournable entre les islamistes et leurs ennemis, dont l’Occident, ce qui leur procure un atout géopolitique. Dans ce contexte, une partie des "frères" qataris a accepté ces dernières années une mutation tactique. Celle-ci a consisté à s'adapter, à changer le discours dans un sens plus consensuel, et à promouvoir une image douce en misant beaucoup sur le soft power et l'idée que les Frères représenteraient la tendance "modérée" et "démocratique" de la famille islamiste, par opposition à la tendance radicale, anti-démocratique et djihadiste.
C'est dans ce contexte que le Qatar a hébergé nombre d'activistes et de fanatiques, leur fournissant refuge, sponsoring, travail et soutien logistique et médiatique. A cet égard, le cas du célèbre téléprédicateur islamiste égyptien Youssef Al-Qaradhaoui, naturalisé qatari, est plus que révélateur puisque cet homme qui dirige l’International Union of Muslim Scholars (IUMS) et co-préside nombre de structures liées aux Frères en Europe et le Centre pour la Prédication et la Fatwa, est devenu mondialement célèbre depuis le Qatar grâce à son émission de télévision, La charià et la vie, diffusée sur Al-Jazira et qui a fait de lui une vedette planétaire. Un autre exemple de liens personnels entre des éminences fréristes et le Qatar est représenté par le cas de Rafiq Abdulsalaam, ex-ministre tunisien des Affaires étrangères, gendre de Rachid Ghannouchi (le leader de Ennahda, version locale des Frères), qui a été le responsable de la section des études et de la recherche au centre d’Al-Jazira à Doha. On peut également citer Ali Sallabi, l'un des leaders des Frères musulmans en Libye, plus que lié aux autorités du Qatar. Autre exemple de soutien à la Confrérie, le Qatar accueille Jassim Sultan, l'une des figures des Frères musulmans dans le monde arabe.
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