Article rédigé par h16, le 17 août 2016
[Source : Contrepoints]
Selon une loi passée inaperçue, publiée le 7 juillet 2016, tout bien archéologique (immobilier ou mobilier) découvert est présumé appartenir à l’État.
On se souvient qu’en 2015, les députés avaient profité de la léthargie de juillet pour pousser leur loi sur l’obsolescence programmée, dont on commence tout juste à mesurer les effets délétères. L’année 2016 n’échappera pas plus à la tradition des lois scélérates votées en douce pendant la période estivale puis début juillet fut promulguée la loi « relative à la liberté de la création, à l’architecture et au patrimoine », dans laquelle on trouve une belle pépite.
Le domaine impacté par ces changements n’est pas étranger aux lecteurs de ces colonnes puisque j’avais déjà évoqué le douloureux problème des fouilles archéologiques amateurs dans un précédent billet : régulièrement, on tombe en effet dans la presse sur des exemples de malheureux amateurs qui, fouillant des lieux privés, avec l’autorisation des propriétaires à la recherche de l’un ou l’autre butin archéologique, finissent par surtout trouver d’énormes problèmes avec la douane qui s’empresse de leur faire durement payer le prix de leur outrecuidance à vouloir ainsi déterrer et préserver un patrimoine dont l’État n’a normalement absolument rien à faire mais qui devient indispensable à confisquer dès lors qu’il représente une valeur.
Il faut dire qu’au contraire de bien des pays (l’Angleterre est souvent citée en exemple), la France a établi un statut particulièrement complexe pour les vestiges archéologiques qui relèvent d’un droit de propriété complexe et multiple. En gros, jusqu’en 1941, les objets archéologiques découverts fortuitement appartenaient à 50% au propriétaire du terrain et 50% à celui qui les avait découverts. Dans ces conditions, certaines pièces archéologiques retrouvées par des particuliers pouvaient donc rester entre leurs mains.
C’est bien évidemment intolérable, tant pour l’État que (surtout) pour les archéologues professionnels puisqu’officieusement, on peut voir ainsi disparaître une partie du patrimoine national entre des mains privées qui s’empressent (on s’en doute) de l’éparpiller aux quatre vents pour en faire Dieu sait quoi (mais a priori, quelque chose de satanique que la morale réprouve).
Heureusement, depuis le 8 juillet dernier, tout bien archéologique (immobilier ou mobilier) découvert tendra à appartenir totalement à l’État. Désormais, les biens archéologiques mobiliers sont présumés appartenir à l’État Youpi.
Vu l’épaisseur de la loi et le langage évidemment abscons que nos élus utilisent pour camoufler leurs forfaits, on aurait facilement pu passer à côté de ce changement drastique. On pouvait cependant s’attendre à ce que Le Monde, Le Figaro ou l’un de ces journaux de révérence en parle un peu, ou, au moins, Le Canard Enchaîné. Les rédactions étant encore plus en mode Service Minimum que pendant la période de « pleine activité » habituelle, il n’en fut rien : c’est Sciences Et Avenir qui aura déniché la perle dans le tombereau de fumier déversé dans cette loi alors que les vacances parlementaires approchaient.
Voilà l’occasion d’organiser un entretien et de poser de pertinentes questions à Dominique Garcia, le Président de l’Institut national de recherches archéologiques préventives. On n’interrogera surtout pas les archéologues amateurs, premiers concernés par les changements introduits, parce qu’ils sont dans le mauvais camp, celui du mal, du privé, de l’éparpillement de patrimoine, de la loi du marché qui détermine le prix des objets archéologiques indépendamment du bon vouloir de l’État.
Grâce à cet entretien, on apprendra que les récentes enquêtes d’opinion montrent que les Français sont attachés à leur Patrimoine archéologique et à sa valorisation, ce qui ne dit absolument rien de leur position sur cette déclaration unilatérale d’inexistence de la propriété privée archéologique. On sera heureux d’apprendre que le peuple souhaite conserver son patrimoine, ce qui constitue quasiment une évidence, mais pas du tout un argument pour le déposséder de son sous-sol d’un trait de plume.
Grâce à cet entretien, on se réjouira d’apprendre que la France a (enfin) rejoint le concert de ces autres nations qui ont choisi d’exproprier ses peuples ad nutum lorsqu’il s’agit de s’accaparer un vestige qui pourrait attirer des touristes ou une retombée internationale.
Seuls se chagrineront peut-être les dizaines de milliers de chercheurs amateurs qui, tous les ans, déterraient des milliers d’objets de toutes valeurs et qui en prenaient jalousement soin pour constituer des collections et obtenir, en échange, rétribution.
En effet, il ne semble absolument pas entré en ligne de compte que ces dizaines de milliers de personnes effectuaient un travail aussi indispensable que gratuit pour la collectivité, en collectant ainsi tous ces vestiges. Il ne semble pas non plus entré en ligne de compte qu’à côté de ce « concert des nations » qui exproprient, il existe un autre concert aussi important de nations qui ont choisi de placer les musées et les archéologues publics sur le même plan que les particuliers, de faire appel au marché pour racheter les pièces trouvées par ces chercheurs amateurs, et que ça fonctionne très bien. Il ne semble pas avoir été plus tenu compte de la nature humaine qui, lorsqu’il s’agit d’âpreté au gain, ne ménage guère ses efforts et qui saura largement basculer dans la clandestinité pour ramener ce genre de procédés législatifs idiots à leur juste portion congrue.
Il semble en revanche assez clair qu’une certaine catégorie de professionnels a bien réussi son lobbying : il suffit de lire d’autres témoignages — comme celui-ci par exemple — moins récents mais peut-être plus pertinent que celui de notre « Président de l’Institut national de recherche archéologiques préventives », pour comprendre que les archéologues officiels, sanctionnés par l’État et drapés de leur indispensable statut, ont tout intérêt à voir disparaître ces chercheurs amateurs qui, finalement, leur ôtent les trouvailles des doigts. D’autant qu’il serait vraiment étonnant qu’aucun archéologue tout ce qu’il y a d’officiel ne se soit jamais gardé de déclarer ses propres découvertes, s’autorisant ainsi la création d’une collection personnelle (ou pire encore, la revente de ces découvertes pour euros bien lourds).
L’autre élément assez clair que cette loi met à jour de façon aveuglante est que l’État continue hardiment l’extension de ses prérogatives bien au-delà de ce qu’on serait en droit d’attendre d’un serviteur destiné à s’assurer que les individus qui le financent vivent en harmonie. L’érosion du droit de propriété en France est en pleine accélération. On en parle calmement lorsqu’il s’agit de débris archéologiques, on en reparlera moins posément lorsqu’il s’agira d’autres patrimoines qui tomberont, à leur tour, dans l’escarcelle publique, à la faveur de l’une ou l’autre crise.
À ce rythme, la notion même de propriété privée va probablement se dissoudre sans un bruit, dans la torpeur d’un prochain été, comme elle l’a fait ces derniers mois au Venezuela par exemple. Et ne vous inquiétez pas : tout comme il s’est trouvé un Dominique Garcia pour défendre cette iniquité législative, on trouvera alors tout plein d’ardents défenseurs du bien commun, du patrimoine public et des autres fadaises collectivistes pour précipiter le pays dans le même bonheur socialiste que vit actuellement la dictature chaviste.
Vous verrez, ce sera magique.