Article rédigé par Philippe Bilger, le 02 août 2016
[Source : Boulevard Voltaire]
La tonalité de son intervention sur le terrorisme, à son retour de Nouvelle-Calédonie et de Polynésie, était aisément prévisible.
Loin de moi la prétention de m’immiscer dans la campagne d’Alain Juppé, mais puis-je tout de même dire que la tonalité de son intervention sur le terrorisme, à son retour de Nouvelle-Calédonie et de Polynésie, était aisément prévisible ?
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Il y a clairement une identité « Juppé ». Qui pouvait ignorer qu’il se situerait entre « angélisme » et « surenchère » ? Qui pouvait croire qu’il approuverait les appels à la démission du Premier ministre et du ministre de l’Intérieur ? Qui pouvait se tromper sur son respect de l’état de droit ? Qui pouvait douter de sa crainte de l’amalgame ?
Une telle constance qui donne à la pensée sa logique, à son opposition sa cohérence et au personnage sa marque n’est pas un mince avantage. Mais la raison a ses limites dans cette terrible et durable période qui appelle l’audace de l’invention et l’aptitude aux transgressions salutaires. Pour le bien de tous.
Le risque est, ainsi, d’éprouver une sorte de frustration face à une « machine » qui semble de plus en plus gouvernée par le souci de ne pas dire comme les autres tout en puisant dans un fond commun à la droite.
C’est, à la longue, davantage un discours de la méthode qui donne de bons ou de mauvais points à ses adversaires qu’un élan intense et novateur. A force de se méfier du caractère exceptionnel des circonstances, sa tendance est de ne proposer qu’un ordinaire à peine retouché.
J’avais déjà considéré que son projet régalien n’était pas à la hauteur de ce qu’on aurait attendu d’une équipe qui, paraît-il, travaillait depuis longtemps à ses côtés sur ce plan.
Contre le terrorisme islamiste, Alain Juppé reprend l’excellente idée de François Fillon et de Nicolas Dupont-Aignan sur la qualification d’intelligence avec l’ennemi.
Pour les fichés S, il s’inscrit dans un mouvement de plus grande rigueur mais en veillant à ne pas tomber dans une globalisation.
Toujours se distinguer pour ne pas donner l’impression d’être emporté dans une dérive qui ne mettrait plus assez de centrisme dans la droite.
Mais les contorsions intellectuelles et politiques sont difficiles. Il soutient qu’on pourrait améliorer le dispositif antiterroriste dans le cadre de l’état de droit.
Je n’en suis pas persuadé. Il y a des chemins que le pouvoir devrait emprunter et qui sont recommandés par l’opposition, imposant une conception plus souple […] de l’état de droit. L’essentiel est que la démocratie amplifie ses moyens de sauvegarde et ils seront légitimés parce qu’ils auront le label républicain.
Ensuite, Nicolas Sarkozy – il convient de lui reconnaître ce mérite – a justement mis l’accent sur cette particularité du combat contre le terrorisme : il est urgent d’inventer une pénalisation de cette zone grise intermédiaire entre les innocents et les coupables. Quand on a la quasi-certitude que des virtualités n’aspirent qu’à devenir criminelles, il faut leur assigner un statut pénal.
Enfin, Alain Juppé, s’il n’a pas l’air de récuser le terme de « guerre » – sa validité est démontrée par ceux qui la mènent contre la France, dans la barbarie et l’abjection -, paraît cependant se tenir subtilement en retrait.
Mais les massacres qui se répètent sont révélateurs du fait que le classicisme de la lutte n’est plus de mise. Le combat a changé d’âme et nous n’avons plus besoin de la politique des mots et des avertissements de la sagesse. Mais d’un chef de guerre et d’un Président de paix. En même temps.
Alain Juppé, entre mesure et modération, saura-t-il être ce personnage rare dont la France est privée, dont elle aura besoin ?