Situation en Ukraine.
Article rédigé par Eric Denece, le 28 juin 2016 Situation en Ukraine.

[Source : Magistro]

Eric Denece est Directeur du Centre Français de Recherche sur le Renseignement (CF2R)
et de sa société de conseil en Risk Management (CF2R SERVICES).

Petro Porochenko et François Hollande doivent se rencontrer ce mardi 21 juin. Que peut-on dire aujourd'hui, alors que les chefs d'Etat français et ukrainiens se retrouvent, de la situation en Ukraine ? Quelles sont les évolutions ?
L’Ukraine est dans une situation déplorable, ses dirigeants sont incompétents, son économie est au plus bas en dépit des sommes d’argent injectées par les Occidentaux (Europe et Etats-Unis), son armée se révèle inefficace face aux indépendantistes du Donbass, malgré l’aide étrangère et l’engagement de milices d’extrême-droite ayant commis des atrocités dont la presse pro occidentale ne parle jamais.
Surtout, Porochenko et son gouvernement, aveuglément antirusses, ont été incapables de stabiliser la situation intérieure et d’entamer un dialogue avec ceux qui ne souhaitent pas continuer à faire partie du pays, refusant de reconnaître leur droit à parler d’autodétermination alors même que l’Europe a autorisé un référendum en Ecosse et semble prête à le faire pour la Catalogne.
Je crois que nous devons reconnaitre que notre politique vis-à-vis de l’Ukraine et de la Russie a été totalement erronée et qu'il convient de la reconsidérer. Mais je doute fort que le président Hollande ne le fasse.
 
A l'occasion d'une interview accordée à la chaîne de télévision ukrainienne Inter, Anders Fogh Rasmussen (conseiller de Porochenko et ancien de l'OTAN) a insisté sur la nécessité pour l'Ukraine de remplir sa partie des accords de Minsk. Qu'en est-il aujourd'hui ?
C’est un comble ! On entend les Occidentaux se référer aux accords de Minsk ou à l’article 5 du Traité de l’Atlantique Nord, alors même qu’ils refusent de reconnaitre le droit à l’autodétermination des Ukrainiens de l’Est (ce qu’ils ont pourtant fait en Bosnie et au Kosovo), qu’ils ont violé les accords établis avec Moscou à la fin de la Guerre froide et qu’ils ont validé le renversement d’un régime élu sous les auspices de l’OSCE (Ianoukovitch).
Mais venant de Rasmussen, cela n’a rien d’étonnant, cet homme totalement inféodé à Washington et un ardent auxiliaire de la politique américaine. Faut-il donc toujours rappeler que ce n’est pas Moscou qui a envahi illégalement l’Irak en 2003 en dépit du veto de l’ONU, qui soutient une des branches d’Al-Qaida en Syrie (le Front Al-Nosrah) contre le régime de Damas, qui espionne le monde entier et qui a rétabli la torture et organisé Guantanamo... Il est temps que nos contemporains ouvrent les yeux sur les réalités ! Oui l’URSS était une menace mortelle pour l’Occident pendant la Guerre froide ! Oui les pays d’Europe de l’Est ont eu terriblement à souffrir du joug russe pendant cette période ! Oui c’est grâce aux Etats-Unis que nous avons pu maintenir notre liberté ! Mais la situation est totalement différente aujourd’hui : la politique américaine, de plus en plus unilatérale ne sert que ses intérêts et non ceux des Européens. Elle présente un réel danger pour la paix et la stabilité mondiales.
 
Frank-Walter Steinmeier, ministre allemand des affaires étrangères, a récemment critiqué ouvertement la politique de l'OTAN aux frontières de la Russie. Faut-il craindre une montée des tensions dans ces régions ? Le fantasme d'une guerre froide de retour est-il réaliste ou s'agit-il seulement d'une crainte de journalistes ?
M. Steinmeier a déclaré à très juste titre que les Occidentaux devaient "éviter d’envenimer la situation avec des cris guerriers et des bruits de bottes". L’ex chancelier Gerhard Schröder a tenu des propos similaires : c’est le bon sens même. Jacques Attal a aussi récemment déclaré "l’intérêt de l’Europe n’est pas de se lancer dans un affrontement avec la Russie. Mais au contraire de tout faire pour intégrer notre grand voisin de l’Est à l’espace de droit européen". IL ne s’agit pas ici de défendre la politique ou les dirigeants russes. Mais Moscou n’a pas de politique expansionniste ! C’est une vue de l’esprit. Si tensions il y a, ce sont bien les Occidentaux qui en sont à l’origine. Imaginons un instant que Moscou ait soutenu une révolution au Canada ou Mexique: que pensez-vous qu’aurait été la réaction de Washington ?
Il est important de rappeler que la Russie ne compte que 140 millions d’habitants, que son budget de défense ne se situe qu’au 4e rang mondial (derrière les Etats-Unis, la Chine et l’Arabie saoudite) et qu’il est vingt-cinq fois inférieur à celui des Etats-Unis ! (Trends in World Military Expenditures 2015, www.sipri.org, avril 2016). En faire un Etat menaçant et expansionniste est totalement erroné.
 
Moscou ne fait que réagir à l’avancée agressive de l’Occident sur ses marges, laquelle est un facteur préoccupant de déstabilisation.
De plus la pression militaire imposée à la Russie conduit Moscou à accroitre ses dépenses militaires au détriment du redressement de son économie… ceci n’est pas anodin !
Rappelons que Washington a savamment utilisé cette pseudo montée en puissance de la "menace" russe pour amener le Congrès à voter le budget de modernisation de son arsenal nucléaire : le Pentagone a besoin de 700 à 900 milliards de dollars à cette fin. Et si Washington modernise son arsenal, alors les autres puissances nucléaires atomiques seront conduites à faire de même pour ne pas être distancées. Donc, la Russie accroîtra à son tour prochainement son budget en ce domaine… et cela sera de nouveau présenté comme une menace "insupportable" pour l’Occident. C’est de la manipulation totale des faits...
 
Jusqu'où l'Ukraine représente-t-elle encore une région clef dans le rapport de force OTAN/Etats-Unis-Russie ? Quelles sont les autres régions du monde susceptibles d'occuper une telle place ?
L’Ukraine incarne le point à partir duquel Moscou a décidé de ne plus laisser impunément voir bafouer ses intérêts. La réaction de la Russie me parait, depuis le début de la crise Euromaidan en tout point légitime, même si la présentation des faits par la presse Mainstream occidentale en donne une vision différente, voire déformée. La diabolisation systématique de Poutine, ses soi-disant intentions belliqueuses n’ont qu’un but pour Washington et ses plus proches alliés : faire accepter la politique de rattachement de l’Ukraine au camp occidental en dépit des engagements pris à l’égard de Moscou lors de la désintégration de l’URSS.
 
Rappelons que nous avons bafoué toutes les règles du droit international : Ianoukovitch avait été élu régulièrement en présence d’observateurs de l’OSCE qui avaient validé le scrutin ! S’il était indéniablement corrompu (comme tous ses prédécesseurs et ses successeurs), son reversement était totalement illégal et l’Occident a soutenu cette "révolution" alors que dans le même, temps nous critiquions l’action du général Sissi en Egypte qui chassait les Frères musulmans du pouvoir à la demande du peuple.
 
Cette crise Ukrainienne sert donc d’abord les intérêts des Etats-Unis, puisqu’elle accroit la demande de soutien et donc de vassalité des pays d’Europe de l’Est, pour lesquels l’OTAN compte plus que l’Union européenne. D’ailleurs, à l’exemple de la Pologne, ils achètent systématiquement de l’armement américain et non européen. Si leur histoire les a amené souvent à souffrir de l’expansionnisme russe, ils sont aujourd’hui tellement jusqu’au-boutistes à l’égard de Moscou qu’ils en deviennent dangereux, entrainant l’Europe de l’Ouest dans une direction qui ne sert en rien nos intérêts. Cette crise amène aussi les pays scandinaves à se rapprocher de l’OTAN, voire à envisager de le rejoindre, comme y réfléchit la Suède.
Ainsi l’Europe parait de plus en plus liée aux Etats-Unis, n’a plus ni indépendance de vue, ni politique propre. C’est consternant !