Article rédigé par Christian Vanneste, le 22 juin 2016
[Source : Nouvelles de France]
Les Britanniques vont-ils choisir le Grand Large ? La purée de pois qui illustre leur particularité climatique a envahi leur atmosphère politique.
Le référendum qui aura lieu dans quelques jours ne ressemble pas à une votation suisse où l’on prend le temps d’opposer de manière équilibrée des arguments rationnels. Les sondages semblaient favorables à la sortie quand l’assassinat d’une députée travailliste très engagée pour le maintien paraît avoir retourné l’opinion. S’agit-il d’un crime politique commis par un nationaliste au cri de « Britain first » ou de l’acte d’un déséquilibré poussé à l’acte par l’exacerbation du débat ? Il a manifestement agi seul, comme Breivik en Norvège, et son acte est tellement contraire à l’objectif visé, qu’il ne peut émaner d’un homme sain d’esprit ou doté d’une intelligence moyenne. Au mieux, c’est un crétin.
Le vote va donc dépendre davantage de l’affectif que du rationnel. Les Britanniques qui ne voudront pas dénoncer le meurtre et rejeter le meurtrier en choisissant l’Europe, le feront sous l’empire de la crainte du changement, et des calamités économiques et fiscales annoncées par les partisans du maintien. La superbe insularité du Royaume-Uni qui enflamme au contraire les partisans du Brexit continuera à les encourager à prendre le large puisque c’est dans cette direction que les Anglais ont conquis leur place dans l’Histoire, pendant un bon siècle la première dans le monde. Pour eux, la séparation ne pourra que condamner le continent à l’isolement et au déclin. Rule, Britannia ! Britannia rule the waves !
On peut évidemment sourire de cette outrecuidance, mais est-elle si absurde ? La langue anglaise s’est imposée comme la première du monde, notamment pour les échanges économiques, scientifiques et techniques, voire diplomatiques. Elle envahit le continent et ses institutions. Elle submerge petit-à-petit la publicité et l’information françaises. Les anciennes colonies sont devenues des puissances liées encore soit par la reconnaissance de la Reine comme Chef de l’Etat nominal, soit par la grande proximité des cultures et des mentalités puisqu’elles comprennent plus de colons que de colonisés, soit par leur appartenance au Commonwealth. Le Canada, l’Australie, la Nouvelle-Zélande, l’Inde, le Pakistan, l’Afrique du Sud, le Nigéria, et les Etats-Unis eux-mêmes, et la longue liste des Etats moins riches jusqu’aux confettis qui sont autant de paradis fiscaux, enfin des pieds bien placés dans le monde sino-asiatique avec Singapour et Hong-Kong, constituent un réseau à nul autre pareil. Dans le partage du monde aux XVIIIe et XIXe siècle, la Grande-Bretagne s’était octroyée la meilleure part, de très loin.
Le Royaume pourrait-il donc survivre au désarrimage ? Il a toujours veillé à préserver une situation privilégiée. Il a conservé sa monnaie, et on remarquera d’une manière générale que la croissance a été plus forte pour les Etats de l’UE restés en dehors de l’Euroland. Il n’a pas non plus adhéré à Schengen. Il a en revanche bénéficié des aides structurelles européennes pour le développement des régions périphériques et des villes sinistrées par la désindustrialisation, tout en obtenant grâce à l’acharnement de Maggie un rabais de sa participation au budget européen (6, 3 milliards d’Euros en 2015). Gagnant sur tous les tableaux, il pourrait effectivement perdre à quitter l’Union. L’Ecosse pourrait en profiter pour s’émanciper. Les échanges devenant plus compliqués avec le continent, des entreprises pourraient choisir d’autres lieux fiscalement attirants mais encore dans l’Union, l’Irlande, par exemple. Son commerce extérieur pour lequel l’Europe représente 44% des échanges pourrait s’en ressentir, la City, privée des passeports européens pourrait vaciller, la monnaie risquerait de s’effondrer. Les instances officielles comme le FMI, la Banque d’Angleterre, l’OCDE formulent des pronostics pessimistes. Cette perspective pourrait coûter 9% du PIB à l’horizon 2030. Mais ces arguments brandis par les Européens pour pousser les Anglais à rester membres de l’Union se heurtent à trois lignes de défense. La première est celle des libéraux qui tablent sur un allègement des charges et des contraintes européennes qui favorisera la compétitivité britannique dans une économie mondialisée où la place du Royaume-Uni est de toute façon exceptionnelle stratégiquement. La seconde repose comme ailleurs en Europe sur la défense d’une identité menacée par la circulation des personnes et non par celle des marchandises. C’est sans doute la plus puissante auprès des électeurs, mais la plus discutable. Les Français se chargent de restreindre les entrées de migrants en Grande-Bretagne. Les travailleurs européens constituent en revanche un apport à l’économie britannique qui explique le brexit populaire et la réticence des milieux économiques. Mais, comme le montre la récente élection du Maire de Londres, le remplacement de population continuera de se faire à partir du Commonwealth, avec ou sans Union Européenne. Enfin, après deux ans de flottement, il faudra trouver un accord qui pourrait mettre le Royaume dans une situation analogue à celles de la Norvège ou de la Suisse qui sont loin d’être épouvantables.
En fait, quelque soit le choix des Anglais, le plus incompréhensible est l’acharnement des Européens à vouloir qu’ils restent. La présence d’un porte-avions anglo-saxon dans notre port est un obstacle à l’indépendance d’une politique européenne qui, depuis des années, s’aligne sur celle des Etats-Unis, que les Britanniques, travaillistes ou conservateurs, suivent comme leur ombre. Une Europe davantage identifiée au continent pourra se tourner à nouveau vers l’Est où le risque communiste a disparu. Surtout le choc provoqué par le départ pourra susciter une refonte des institutions, un abandon de l’utopie fédérale qui depuis Jean Monnet veut en finir avec les identités nationales au profit d’une mondialisation qui ne pouvait qu’être dominée économiquement et culturellement par les Anglo-saxons. Le libre-échange des produits et des services ne doit pas aboutir au nivellement des différences et des mentalités, à la disparition d’Etats qui par une action confédérée ont encore largement les moyens de peser sur l’Histoire. Le Brexit pourrait libérer l’Europe davantage encore que l’Angleterre.