Article rédigé par contact, le 19 avril 2016
[Source: Boulevard Voltaire]
Tous ceux qui refusent le dialogue au nom du combat contre la vérité de l’autre portent en eux les germes du fanatisme et du totalitarisme.
Nuit debout n’est-il qu’un mouvement citoyen, rassemblant des jeunes et des moins jeunes qui veulent changer le monde et la politique ? Rien de moins sûr, si l’on en juge par l’accueil réservé samedi soir à Alain Finkielkraut, place de la République.
Le philosophe, en intellectuel rigoureux et sincère, croit sans doute aux vertus du dialogue : la confrontation d’idées permet de mieux se comprendre, voire d’approfondir sa propre pensée. Encore faut-il que les deux parties jouent le jeu avec un minimum de tolérance et d’honnêteté. On ne peut dialoguer avec qui refuse le dialogue. On l’a bien vu le 16 avril. À peine est-il reconnu qu’Alain Finkielkraut, accompagné de son épouse, est chahuté, conspué et doit être exfiltré. La discussion se réduit à des insultes : « Casse-toi ! », « Facho ! », entend-on d’un côté, tandis que le philosophe, exaspéré, traite une militante de « Pauvre conne ! ». Ses derniers mots : « Je me fais insulter, je peux quand même répondre, non ? Je suis un être humain. » Non, Monsieur Finkielkraut, pour vos insulteurs, vous n’êtes pas « un être humain » : vous êtes un « facho ». Tout est dit !
Mais que diable allait-il faire dans cette galère ? Curiosité naïve ? Probable. Un brin de provocation ? Pas impossible. Car il le savait bien : si l’on trouve place de la République des utopistes sincères, voire sympathiques, qui remettent en cause la vieille politique et rêvent d’un monde plus juste, on y côtoie aussi tout ce que l’extrême gauche compte de groupuscules gauchistes ou anarchistes. Qu’il l’ait ou non cherché, cet événement a rappelé qu’une démocratie d’exclusion n’est plus une démocratie : c’est peut-être une démocratie populaire, avec toutes ses connotations historiques, ce n’est en rien une démocratie républicaine, où devrait régner la liberté d’opinion et d’expression. Que signifie une liberté qui n’est pas aussi la liberté d’être contre ?
Cet ostracisme ne sévit pas seulement place de la République. Tous ceux qui refusent le dialogue au nom du combat contre la vérité de l’autre portent en eux les germes du fanatisme et du totalitarisme. Ce n’est pas le sang de la liberté qui coule dans leurs veines, mais celui du goulag. Les véritables « fachos » sont ceux qui pratiquent l’amalgame pour étouffer la liberté d’autrui, pour le faire taire : ce sont des terroristes intellectuels. Quand on lit un tweet des Jeunes communistes se félicitant d’avoir « tej » (jeté) Finkielkraut, on en vient à se demander si tous ont tourné la page du stalinisme.
Jean-Michel Léost
Professeur honoraire