Article rédigé par contact, le 27 avril 2016
[Source: Le Figaro]
Dans un courrier adressé au premier ministre, la Cour des comptes dénonce le coût exorbitant des interceptions judiciaires. Pour des résultats jugés peu satisfaisants.
Interception des conversations téléphoniques, SMS, MMS, emails... Les interceptions judiciaires coûtent de plus en plus cher à l'État, selon la Cour des comptes. Dans un référé adressé au premier ministre en février dernier, et publié lundi dernier, la dépense cumulée des écoutes est estimée à 1 milliard d'euros, par les Sages de la rue Cambon, sur les dix dernières années.
Dans le détail, le coût global des interceptions judiciaires est passé de 89,78 millions d'euros en 2005, à 122,55 millions d'euros, en 2015. Soit une hausse de 37%, en dix ans! Comment expliquer une telle augmentation? Pour la Cour des comptes, elle est essentiellement due à la mise en place, très laborieuse, de la plateforme nationale des interceptions judiciaires (PNIJ), censée faciliter la centralisation, la collecte, et l'analyse des interceptions judiciaires, afin de réaliser des économies budgétaires.
Un système envisagé dès 2000 et préconisé «par un rapport d'inspection remis au premier ministre en 2004», rappelle les magistrats. Ce n'est qu'en 2005 que la plateforme est initiée pour être opérationnelle à la fin de 2007. Sauf que le projet a pris beaucoup de retard. En ce début d'année, le déploiement de la PNIJ n'était toujours pas achevé. Résultat, le coût du dispositif a explosé. «[Il] pourrait dépasser, à la fin 2016, les 100 millions d'euros», indique la Cour des comptes. Plus de 90 millions d'euros ont déjà été absorbés, alors que le coût initial était estimé à 17 millions d'euros, en 2005.
Plus de 300 millions euros d'économies... envolées
Les sages de la rue Cambon estiment que cette situation résulte de «la complexité technique d'un projet sous-estimé» et d'un pilotage insuffisant. Le constat est sans appel pour les juges: «Chaque année de retard de la PNIJ a empêché l'Etat de faire environ 65 millions d'euros d'économies brutes». «Depuis l'essor de la téléphonie mobile, la gestion des interceptions judiciaires est restée peu satisfaisante, tant en ce qui concerne l'obtention rapide de données fiables pour les enquêteurs judiciaires que quant à la sécurité du dispositif et à son coût global», fustigent les magistrats.
Des difficultés auxquelles s'ajoutent les réclamations des prestataires privés chargés des écoutes judiciaires. En l'absence de moyens techniques et humains suffisants, l'Etat a en effet eu recours à plusieurs entreprises privées. Mais le retard du déploiement de la plateforme a entraîné de nombreux retards de paiement. En novembre dernier, plusieurs sociétés chargées des écoutes téléphoniques pour le ministère de la Justice avaient ainsi menacé de ne plus répondre aux réquisitions.
Pour remédier à ces difficultés, la Cour des comptes préconise donc aux pouvoirs publics la mise en place d'un pilotage interministériel, une rationalisation des dépenses et une anticipation de l'évolution des besoins à venir. Compte tenu des enjeux, ils recommandent aussi d'internaliser la plateforme, aujourd'hui implantée chez Thales, à Elancourt dans les Yvelines, dans un lieu appartenant à l'Etat. «La Cour considère que, si une telle réorganisation avait été mise en place dix ans plus tôt, elle aurait permis à l'État d'économiser entre un tiers et la moitié des dépenses effectuées depuis dix ans, soit entre 350 et 480 millions d'euros», souligne le référé.
Dans sa réponse, le premier ministre, Manuel Valls, indique avoir lancé une mission d'inspection technique dont les conclusions lui seront toutes remises avant le 1er octobre prochain. Et, «pour la période 2017-2020, dans l'attente d'une éventuelle internalisation, un marché public sera passé par le ministère de la Justice», précise le locataire de Matignon.