La science arabe : une équivoque à dissiper
Article rédigé par contact, le 21 avril 2016 La science arabe : une équivoque à dissiper

En 1883, Ernest Renan prononçait en Sorbonne une conférence intitulé : « L’islamisme et la science », (publiée ensuite par Calmann-Lévy). On trouve ce texte sur la toile.

C’est le credo rationaliste d’un homme de science qui connaît bien l’histoire. Il a surtout le mérite et l’intérêt d’attirer l’attention sur une équivoque, qui n’avait pas échappée au sémitisant qu’il était, et qui est contenue dans ces mots : « science arabe, civilisation musulmane, science musulmane ».

Cette équivoque n’a jamais été dissipée, et il est urgent de le faire. Ernest Renan peut nous y aider.

Le constat qu’il énonce est simple : De l’an 775 environ jusque vers le milieu du treizième siècle, on ne saurait douter qu’il y a eu dans les pays musulmans des savants et des penseurs très distingués. De là, on a construit l’idée d’une science arabe, d’une civilisation musulmane (qu’on appelle aujourd’hui « l’islam berceau de civilisation »), voire d’une science musulmane (ce terme a aujourd’hui disparu). Le problème, quant à lui, est loin de l’être.

Le rôle éminent de la Perse et des chrétiens d’Orient

 

Que se passe t-il de l’Hégire à l’an 775, autrement dit sous le règne des quatre premiers califes ?

Certes, « Omar n’a pas brûlé la bibliothèque d’Alexandrie », mais le principe qu’il a fait triompher dans le monde est infiniment plus destructeur : il s’attaque à la recherche savante et au travail de l’esprit. Il n’y a rien de plus étranger à ce qui peut s’appeler « philosophie ou science » que le premier siècle de l’islam. Sous les quatre premiers califes on ne compte aucun mouvement intellectuel d’un caractère profane. L’islam est « dans le moment de la conquête » comme le disent euphémiquement les orientalistes du XIXème siècle principalement occupé à conquérir, à dominer, à semer la désolation et à ravager les vieilles terres de civilisation.

Mais vers l’an 750, la Perse prend le dessus. Elle fait triompher la dynastie des enfants d’Abbas sur celle des Béni-Omeyrra, autrement dit la Perse choisit les Abbassides contre les Omeyyades. Le centre de l’islam est transporté dans la région du Tigre et de l’Euphrate.

C’est là que se trouve les traces d’une des plus brillantes civilisations que l’Orient ait connue : celle des Perses sassanides. Après les Parthes arsacides, qu’ils ont vaincu, ils reprennent le flambeau des Achéménides, dont le brillant Etat a été détruit par Alexandre. Cette civilisation sassanide connaît un véritable apogée sous le règne de Chosroês Nouschirvan I. Toute la tradition le reconnaît pour un grand roi. Il ne se contente pas de continuer et de reprendre une tradition d’art et d’industrie qui fleurit depuis des siècles, il y ajoute une activité intellectuelle d’une grande ouverture. Chosroes fait traduire les livres de l’Inde[1] qu’il fait rechercher ; il accueille les philosophes grecs, en particulier sept philosophes renommés que la fermeture des écoles d’Athènes avaient poussé à venir en Perse. Chassée de Constantinople, l’autre versant de la philosophie grecque vient se réfugier en Perse.

Surtout, les chrétiens de toute obédience forment l’élément le plus considérable de la population, car alors la Perse est largement christianisée. Ils sont versés dans la science et la philosophie grecque ; la médecine était tout entière entre leurs mains ; les évêques sont des logiciens, des géomètres. Chosroes fonde l’académie de Gundishapur, la première université de médecine, une sorte de « Silicone valley ».

Lorsque les sectateurs de Mahomet arrivent sur le plateau iranien, il arrêta net tout ce développement pendant une centaine d’années.

Mais un siècle plus tard, l’avènement des Abbassides s’apparente à une résurrection de l’éclat de Chosroes Nourschivan. Ce sont en quelque sorte des Sassanides ressuscités. Des troupes persanes, avec à leur tête des chefs persans sont à la tête de cette révolution. Les fondateurs - Aboul-Abbas et surtout Mansour, s’entourent de Persans. Les conseillers intimes des princes, les premiers ministres sont les Barmékides, une famille de l’ancienne Perse, convertie à l’islam tard et sans conviction. Des chrétiens entourent bientôt ces califes peu croyants et par une sorte de privilège exclusif, devinrent leurs premiers médecins.

Harran, la ville de Harran, restée païenne, et qui avait gardé toute la tradition scientifique de l’antiquité grecque (et sans doute indienne) comme aussi syriaque fournit à la nouvelle école un contingent considérable de savants - étrangers à la nouvelle religion révélée -, surtout d’habiles astronomes.

Bagdad s’élève alors comme la capitale de cette Perse renaissante. Toute la grande tradition survivante de l’école de Gundishapur va s’y transporter.

 

 

La science « gréco-sassanide »

 

Certes, la langue de la conquête ne pourra être supplantée, la religion ne pourra être tout à fait reniée. Mais l’esprit de cette nouvelle civilisation est essentiellement mixte : Les Parsis, les chrétiens, l’emportèrent. L’administration, (la police en particulier) fut entre les mains des chrétiens.

Tous ces brillants califes sont à peine musulmans et s’ils pratiquent extérieurement la religion dont ils sont les chefs, leur esprit est ailleurs. Ils interrogent l’Inde, la vieille Perse et la Grèce. De temps à autre, les piétistes se manifestent, et le calife du moment sacrifie alors ses amis infidèles ou libre penseurs. Puis le souffle de l’indépendance reprend le dessus et il rappelle ses savants et ses compagnons de plaisir.

Les fables des Mille et une Nuits ont fixé les traits de cette civilisation, mélange curieux de rigorisme officiel et de relâchement dissimulé, où les arts sérieux comme ceux de la vie joyeuse fleurissent grâce à la protection de chefs mal pensants d’une religion fanatique.

Les médecins syriens chrétiens, continuateurs des dernières écoles grecques, fort versés dans la philosophie, les mathématiques, la médecine et l’astronomie sont alors employés par les califes à traduire en arabe l’encyclopédie d’Aristote, Euclide, Galien, Ptolémée. Tout le corpus de la science grecque, mais aussi syriaque, et sans doute aussi indienne.

Quelques esprits un peu actifs commencent à spéculer sur les mystères éternels, Al-Kindi en tête. On les appela « filsouf », aujourd’hui on dit « falsafa » et dés lors, ce mot exotique fut pris en mauvaise part au sein de l’islam. Mais le rationalisme y prospéra : une sorte de société philosophique « les frères de la sincérité » se met à publier une encyclopédie philosophique ; Al Fârâbî et Avicenne émergent ; la chimie poursuit son travail souterrain.

L’Espagne musulmane se met à ces études à la suite de l’Orient ; les juifs y apportent une collaboration active ; Ibn-Badja, Ibn-Tofail, Averroès élèvent la pensée philosophie au douzième siècle à des hauteurs nouvelles.

Ce grand ensemble philosophique, que l’on appelle « arabe » ne l’est que parce qu’il est écrit en arabe, (et encore, il passe aussi par un puissant corpus syriaque, détruit en grande partie) mais il est en réalité gréco-sassanide. Et un profond levain chrétien l’anime.

 

 

Le réveil de l’Europe

 

La science aurait du parvenir à l’Occident par Byzance. Mais d’une part, les trésors qu’ils ne lisaient pas, les Byzantins ne daignaient pas les partager et d’autre part, entre le monde latin et le monde byzantin les discussions religieuses avaient créé un profonde antipathie, renforcée par la croisade de 1204. Ce que l’Europe ne pouvait demander aux bibliothèques de Constantinople, où se trouvaient les originaux, elle le demanda à des traductions souvent médiocres d’une langue qui ne se prêtait pas à rendre la pensée grecque, son abstraction et ses subtilités.

C’est par les traductions syriaques et arabes des livres de science et de philosophie grecque que l’Europe reçut le ferment de tradition antique nécessaire à l’éclosion de son génie. Pour que la science grecque arrive à l’Europe, il lui fallut passer par la Syrie, par Bagdad, par Cordoue et par Tolède. On alla chercher en Espagne une science grecque mal traduite.

Pendant qu’Averroès meurt au Maroc dans la tristesse et l’abandon, l’Europe est en plein éveil. Mais, essentiellement latine dans sa culture, elle n’a pas d’hellénistes. Il faudra attendre encore trois cents ans pour un Lefèvre d’Etaples, un Budé.

De 1130 à 1150, un collège actif de traducteurs, établi à Tolède sous le patronage de l’archevêque Raymond fait passer en latin les ouvrages les plus importants de cette « science gréco-sassanide en langue arabe ». Des le début du treizième siècle, l’Aristote arabe faisait son entrée dans l’Université de Paris.

A partir de 1275 environ, deux mouvements apparaissent : d’une part les pays musulmans s’abîment dans la plus triste décadence intellectuelle ; de l’autre, l’Europe occidentale entre résolument pour son compte dans la voie de la recherche scientifique de la vérité.

Alors qu’Averroès devient célèbre dans les écoles latines, il est oublié de ses coreligionnaires.

Passé l’an 1200, il n’y a plus un seul philosophe de renom au sein de l’islam. A compter de 1200, la philosophie (et la science) est abolie dans les pays musulmans : les manuscrits philosophiques sont détruits (on va brûler les livres d’Averroès). L’astronomie n’est tolérée que pour ce qui sert à déterminer la direction de la prière.

Puis les Turcs vont prendre l’hégémonie de l’islam et feront prévaloir un manque total d’esprit philosophique et scientifique. Hormis quelques rares exceptions comme Ibn-Khaldoun, l’islam ne compte plus aucun esprit large. Il a tué la science et la philosophie dans son sein. Il a tué aussi beaucoup d’hommes, de femmes, d’enfants, et quand il ne les a pas tué, il les a opprimé.

Parmi tous les philosophes et les savants, un seul est arabe : Al-kindi. Tous les autres sont des Persans, des Transoxiens - des gens de Boukkara et de Samarkand (autrement dit d’Asie centrale), des Espagnols  - de Cordoue, de Séville. Ils se servent de l’arabe parce qu’elle est la langue des dominants et s’est imposée. Au XIV et XVème siècle les historiens ou historiographes de l’islam sont des compilateurs et des traducteurs des encyclopédistes : ils n’innovent pas.

Mettre la science et la philosophie au compte de l’Arabie, c’est comme mettre la littérature chrétienne latine, les Scolastiques, la Renaissance, la science du seizième et du dix-septième au compte de Rome, parce que c’est écrit en latin.

 

Science arabe ou science musulmane?

 

Cette science qui n’est pas arabe, est-elle musulmane ?

Non, parce que ce mouvement est l’œuvre conjointe de parsis, de chrétiens, de juifs, de haranniens, (habitants d’Harran), d’ismaéliens et de musulmans (intérieurement révoltés contre leur propre religion). Ce grand mouvement n’a recueilli des musulmans orthodoxes que des malédictions : Mamoun fut damné par les théologiens (les malheurs qui affligèrent son règne furent présentés comme des punitions de sa tolérance envers des doctrines étrangères à l’islam). Il n’était pas rare que ceux qui cultivaient ces études fussent appelés sendiks : on les frappait dans les rues, on brûlait leurs maison, et souvent, l’autorité les faisait mettre à mort[2].

L’islamisme a toujours persécuté la science et la philosophie. Et puis il a fini par les étouffer.

Il faut donc distinguer trois périodes: la première, de l’Hégire au VIIème siècle est une période de conquête et de crimes. Mais aussi d’incrédulité à peine dissimulés. Les premiers Arabes qui s’engagèrent dans le mouvement croyait à peine en la mission du Prophète. Puis du VIIème au XIIème siècle, l’islam, miné par les sectes et tempéré par une espèce de protestantisme (le mutazilisme) est moins organisé et bien moins fanatique qu’il ne l’a été dans le second âge encore à venir, et le travail de l’esprit réussit à se maintenir. Puis vient le règne absolu du dogme, sans aucune séparation possible du spirituel et du temporel.  

Dans la première moitié du moyen âge, (la seconde période) l’islam a supporté la philosophie parce qu’il n’a pu l’empêcher, car il était sans cohésion, peu outillé pour la terreur. La police était entre les mains des chrétiens et occupée principalement à poursuivre les tentatives des Alides.

Mais quand l’islam a disposé de masses réellement croyantes, il a tout étouffé. Mais il a tué en même temps le sel de la terre et le levain qui fait lever la pâte. Il a fait des pays qu’il a conquis un champ fermé à la culture rationnelle de l’esprit. Pour l’islam, la recherche est inutile, frivole, impie ; la science de la nature est une offense à Dieu ; la science historique s’appliquant à des temps antérieurs à l’islam pourrait raviver d’anciennes erreurs, et s’appliquant à l’islam elle pourrait découvrir l’ampleur de ses dévastations et sa puissance de destruction et de désolation.

Quiconque aujourd’hui a gardé un peu de lucidité et ne gobe pas les salades massivement diffusées par nos médias éclairés ne peut manquer de voir l’infériorité actuelle des pays musulmans : la décadence des états gouvernés, la pauvreté intellectuelle de ceux qui tiennent de cette religion seule leur culture et leur éducation, le mépris sans borne pour les autres religions, qui autorise toutes les persécutions, exactions et aujourd’hui les pires forfaits.

Persuadé que Dieu donne la fortune et le pouvoir à qui bon lui semble, l’islam a le plus profond mépris pour l’instruction, pour la science et pour tout ce qui a constitué l’esprit européen.

Chaque fois que le monde chrétien a profité de sa puissance technique et technologique, il n’a pas suivi l’Evangile : il l’a trahi.

 

Conclusion

 

Selon toute apparence, le monde musulman est entré dans une sorte de quatrième période. Il dispose d’un  côté d’une masse de croyants qui n’ont jamais interrogé leur doctrine, et de l’autre d’une armée de fanatiques décidée à en découdre avec cette Europe qui, pendant quelques siècles a tenu entre ses mains les destinées du monde. L’islam a bien d’intention de réaliser le royaume d’Allah sur terre, ce qui implique de convertir tous les peuples, et de mettre le monde entier sous la Loi qui est la sienne, loi de soumission et d’oppression.

La conversion à l’islam fait disparaître toute la diversité religieuse du monde, mais pas seulement. Elle fait disparaître la diversité ethnique: le Berbère, le Soudanien, le Circassien, l’Afghan, le Malais, l’Egyptien, le Nubien devenus musulmans ne le sont plus, ce sont des musulmans. La Perse seule a fait exception.

Il y a fort à parier que le Français, l’Espagnol, l’Italien, le Grec, le Souabe, le Croate devenus musulmans ne le seront plus.

Ils seront musulmans…

Est-ce que c’est vraiment ce que nous voulons ?

Marion Duvauchel

Professeur de lettres et de philosophique

Historienne des religions

[1] Il envoie son médecin personnel, Bourzeyah pour trouver un livre de sagesse célèbre: le Panchatantra, ou Livre ds Apologues de Bidpaï. Le destin fabuleux de ce livre est tel qu’il inspirera bien des siècles plus tard le fabuliste Jean de la Fontaine.

[2] Ibn Mokkafa, le traducteur du Panchatrantra (devenu Le Livre de Kalila wa Dimna) est celui qui va théoriser la notion d’adab, donnant à la littérature « arabe » ses premières lettres de noblesse, sera écartelé. L’ouvrage qu’il a traduit du pehlevi à l’arabe, traduit ensuite dans une multitude de langues, va parvenir en Occident jusqu’à Jean de la Fontaine, qui va y puiser une partie de son inspiration.