Article rédigé par Liberté politique, le 31 mars 2016
[Source: Le Monde]
Hollywood et le monde du high-tech réussiront-ils à faire plier les républicains opposés au mariage homosexuel ? En 2015, Tim Cook, le PDG d’Apple, avait mobilisé l’industrie américaine contre une loi « anti-gay » adoptée dans l’Indiana. Depuis quelques semaines, c’est Marc Benioff, le PDG de l’éditeur de logiciels Salesforce, qui bat le rappel contre une législation similaire dans l’Etat de Géorgie, pour empêcher sa promulgation par le gouverneur républicain. Son appel a été rejoint par les studios d’Hollywood, de Disney, la NFL (National Football League) et des dizaines d’entreprises de stature nationale.
Adoptée à la mi-mars par le Sénat de Géorgie, soutenue par la puissante Eglise baptiste, la loi dite « HB 757 » a officiellement pour but de « protéger la liberté religieuse ». Elle permettrait aux organisations confessionnelles (églises, écoles, associations) et aux particuliers de se dissocier d’activités qu’ils jugent contraires à leurs valeurs religieuses. Un centre social ne serait plus tenu, par exemple, de louer ses locaux pour un mariage homosexuel. Les associations pourraient légalement refuser d’employer des personnes dont « les croyances et pratiques religieuses, ou leur absence, seraient en désaccord »avec les leurs.
Pour les défenseurs des droits des homosexuels, ce type de langage revient de fait à une discrimination contre la communauté gay et transgenre. Ils sont d’autant plus mobilisés que le texte fait partie, à leurs yeux, d’une offensive plus vaste des républicains contre le mariage gay, en particulier dans les Etats du Sud, sous couvert de liberté religieuse. Selon Human Rights Campaign, l’association de défense de la communauté LGBT, quelque 85 projets de loi pénalisant les homosexuels d’une manière ou d’une autre ont été présentés dans 28 Etats en 2015.
« La Géorgie essaie d’adopter une loi légalisant la discrimination. Où cette folie finira-t-elle ? »
Dès février, Salesforce, qui a une filiale de logiciels de marketing à Atlanta, a fait savoir aux élus de Géorgie que la compagnie envisageait son retrait si la loi était promulguée par le gouverneur Nathan Deal. « La Géorgie essaie d’adopter une loi légalisant la discrimination. Où cette folie finira-t-elle ? », a tweeté Marc Benioff. Avec lui, près de cinq cents responsables de compagnies de premier plan, de Google à Twitter, Apple, Intel, Microsoft, PayPal, Square, Virgin, Yelp, UPS, Wells Fargo, Dow Chemical, ont signé une pétition à l’initiative de la coalition d’entreprises Georgia Prospers.
La chambre de commerce d’Atlanta et les grandes chaînes hôtelières, de Hilton à Marriott et Intercontinental, ont également adhéré au mouvement, ainsi que Delta, Coca-Cola et Home Depot, compagnies dont le siège est à Atlanta. « Pour répondre aux attentes de nos employés et de nos clients, nous devons afficher clairement notre soutien à l’inclusion et à la diversité », déclare la pétition.
UNE QUINZAINE DE CONVENTIONS MENACÉES
Le 19 mars, à Los Angeles, Chad Griffin, le président de Human Rights Campaign, a commencé à mobiliser l’industrie du cinéma. La Géorgie, qui offre des déductions fiscales pour les tournages, est un Etat stratégique pour Hollywood. Selon les statistiques officielles, 248 films et téléfilms y ont été réalisés entre octobre 2014 et octobre 2015 : un gain de 1,7 milliard de dollars pour les finances locales (1,52 milliard d’euros).
M. Griffin a eu gain de cause. Le 23 mars, les studios d’Hollywood se sont joints aux industries technologiques pour faire pression sur le gouverneur, qui a jusqu’au 3 mai pour promulguer la loi. Dans un communiqué au Hollywood Reporter, Disney, dont la filiale Marvel a tourné Ant-Man et Captain America : Civil War en Géorgie, a menacé de retirer ses productions. « Disney et Marvel sont des entreprises inclusives et, bien que nous ayons de très bonnes expériences de tournage en Géorgie, nous transférerons notre activité ailleurs dans le cas où une loi permettant des pratiques discriminatoires entrerait en application », a prévenu la compagnie. Disney a commencé la réalisation de Gardiens de la galaxie 2 près de Fayetteville, à 40 km d’Atlanta, et y prévoit le tournage d’Avengers : Infinity War.
La plupart des grands studios ont également protesté : de CBS à NBC Universal, MGM, Weinstein Company, Time Warner, 21st Century Fox, Viacom et Discovery. Une série d’acteurs et de figures d’Hollywood (Aaron Sorkin, Ryan Murphy, Diablo Cody, Lee Daniels, Anne Hathaway, Julianne Moore) ont écrit au gouverneur Deal pour lui signifier qu’ils ne travailleront plus dans l’Etat s’il ne met pas son veto à la loi. Selon le bureau du tourisme d’Atlanta, une quinzaine de conventions pourraient être annulées si le texte entre en vigueur, ce qui ferait perdre 6 milliards de dollars à l’économie locale.
En avril 2015, dans l’Indiana, Tim Cook et ses confrères avaient réussi à obtenir des aménagements à la loi. Quelle que soit l’issue de la confrontation en Géorgie, le mouvement illustre le poids croissant du monde de l’industrie dans les débats de société aux Etats-Unis, sous l’impulsion de jeunes patrons. Sous la pression de leurs clients et employés, les entreprises n’hésitent plus à se positionner comme facteur de changement social, sans attendre que les débats soient tranchés par les responsables politiques, surtout en temps de campagne électorale.
Par Corine Lesnes (San Francisco, correspondante)