Article rédigé par Liberté politique, le 26 février 2016
[Source: Boulevard Voltaire]
Les fraîches déclarations du pape opèrent parfaitement : dans un monde sous tension, crispé par une mondialisation perverse aux antagonismes soupçonneux, saupoudré de la modération journalistique qu’on connaît et cuit au four de la campagne américaine, le mur et le pont se font la guerre. Le clivage est saillant, la bataille féroce, les mots emportés, tels des boulets pour ébranler murs et ponts.
Quel débat que celui des méchants murs et des gentils ponts ! Quelle image chatoyante face aux complexités du monde ! Et une victime collatérale dans ce magma outré ou approbateur : la frontière.
En réalité, mur et pont sont des sobriquets pour caricaturer ce que ce monde déteste. La mondialisation a banni la frontière, et le mur de Donald Trump, bien physique, est insupportable : il rend visible ce que certains abhorrent. Mais ce débat a un enjeu : démolir un peu plus la réputation de la frontière. Car il importe peu qu’elle soit entre les USA et le Mexique ou entre la Russie et le Kazakhstan. L’essentiel est qu’elle soit haïe, puis bannie. L’enjeu universel à ce débat est de répandre l’idée que la frontière est une fermeture, et son absence une ouverture.
Ni mur, ni pont, la frontière est une porte. La porte est neutre. Elle n’empêche pas et n’autorise pas, reflet de celui qui l’ouvre ou qui la ferme. Elle est un outil efficace pour accueillir, et autant pour protéger. Il n’y a pas de honte à avoir une frontière, pas plus qu’une porte. Il peut même y en avoir à l’enlever.
J’entends ceux qui proclament l’ouverture, et accusent la frontière de ne pas en être, lui conférant un pouvoir qu’elle n’a pas. L’idée que l’ouverture passe par une absence de frontière est ubuesque, elle qui créé l’espace où je me définis, distinct d’un espace où se définit l’autre. Que l’un s’introduise chez l’autre, l’esprit ouvert en interroge les pratiques, adapte ses attitudes, en comprend les fondements. Il se présente, pour aller et venir ainsi librement, dans le respect. La frontière n’empêche en rien l’ouverture.
Cependant, que devient-elle sans préserver la sécurité ? Les deux sont intrinsèquement liées, la sécurité étant la garantie d’une ouverture. La frontière est alors cet ajustement qui permet de la préserver : l’être en sécurité pourra être ouvert, mais demander la même chose à celui qui est menacé est bien peu concevable. Abattre la frontière, et la sécurité avec, et l’ouverture avec : nous y sommes…
Il est facile d’accuser ceux que « l’ouverture » mondialisée livre aux conditions exécrables que l’on connaît. Il est aisé de prôner une inconditionnelle solidarité, sans porter du doigt son fardeau. Dans d’autres domaines, la frontière existe et ne dit pas son nom. Ni bonne ni mauvaise, elle dépend de ce qu’on en fait. La blâmer pour elle-même est ubuesque et extrême. Seuls ceux qui ne seront jamais exposés à leur inconsidération le proclament, eux qui auront la joie de toujours pouvoir se réfugier dans un autre pays.