Article rédigé par Geoffroy Lejeune, le 13 octobre 2015
Geoffroy Lejeune est rédacteur en chef du service politique à Valeurs actuelles. Dans son premier roman, Une élection ordinaire (Ring), il raconte la candidature d’Éric Zemmour à la présidentielle de 2017. Le polémiste, qui a lu le livre avant sa parution, serait l’homme de la situation. Geoffroy Lejeune nous dit pourquoi.
Liberté politique. — Quelle a été votre démarche pour écrire ce livre ?
Geoffroy Lejeune. — J’ai très peu inventé. Je suis parti de la réalité pour en tirer un scenario. Je raconte les préoccupations et les réflexions des principales figures politiques, essentiellement à droite, dont je dresse les portraits.
Pourquoi avoir appelé cette échéance présidentielle de 2017 « une élection ordinaire » ? Elle n’a pourtant rien d’ordinaire, puisqu’elle est remportée par quelqu’un qui n’appartient pas à la classe politique …
On comprend le titre à la fin du livre. Mon narrateur, un journaliste de centre gauche, va réaliser au fur et à mesure que l’ascension politique d’Éric Zemmour était prévisible et prenait appui sur l’essoufflement des partis politiques et le décalage entre les élites et le peuple.
Ce narrateur est l’incarnation du système médiatique actuel : il est parisien, il ne s’intéresse pas aux vrais enjeux et il n’a pas vraiment d’avis si ce n’est qu’il aime la modération incarnée par Alain Juppé ou Bruno Lemaire. Il ne comprend pas que ses analyses relèvent de l’idéologie, et qu’il est en fait un pion manipulé par un système.
Pourquoi Éric Zemmour présente-t-il un tel intérêt dans la vie politique française ?
Les préoccupations des Français en 2015, comme l’immigration et la sécurité, ne sont pas suffisamment incarnées, ni par la droite ni même par le Front national dont le discours vire à gauche. D’autre part, la classe politique est complètement coupée des réalités. Éric Zemmour, qui a su tisser un lien fort avec le peuple dans son rôle de journaliste, évoque ces sujets dont les Français veulent entendre parler malgré le règne du politiquement correct. Il est aujourd’hui la figure de proue d’une révolution conservatrice.
À la base, ses idées ont déjà gagné mais les élites redoutent une seule chose : qu’elles arrivent au pouvoir. La victoire de Zemmour serait aussi celle, posthume, des mousquetaires de Maastricht : Philippe de Villiers, Charles Pasqua, Jean-Pierre Chevènement et Philippe Séguin.
Vous connaissez Éric Zemmour et sa pensée. Participer à une campagne pour faire gagner ses idées l’intéresserait-il ?
Éric Zemmour tient absolument à sa liberté et il pense être plus efficace dans son rôle actuel que dans l’action politique. On lui a déjà fait des propositions que j’évoque dans le livre. Nicolas Dupont-Aignan lui a demandé de faire un discours devant les adhérents de son parti par exemple. Il a toujours refusé.
Vous citez Philippe de Villiers dans le livre : Éric Zemmour est, dit-il, le « dernier homme politique », seul capable d’inscrire sa lecture de l’époque dans la profondeur de l’Histoire. Mais aurait-il les moyens de mener une campagne électorale ?
Dans un contexte normal, il faut un parti qui donne de l’argent, des signatures et qui organise des déplacements. Mais aujourd’hui nous sommes dans une situation anormale. Aucun des futurs candidats n’a plus de 50 % d’opinions favorables, donc le vainqueur serait élu par défaut. Cette situation se prête à la candidature de quelqu’un qui n’appartient pas à la classe politique.
Vous faites jouer un rôle important à La Manif pour tous. Ludovine de la Rochère intègre même le nouveau gouvernement en tant que ministre de la Famille. Ce mouvement a-t-il un avenir ?
Tous les partis politiques ont intérêt à ce qu’elle disparaisse : la gauche parce que c’est un opposant, les Républicains parce qu’ils ne veulent pas avoir à s’engager sur l’abrogation de la loi Taubira, et le FN qui n’est pas clair non plus sur cette question. Pourtant, le mouvement de La Manif pout tous me semble durable et profond. Il doit veiller à ne pas se laisser étouffer par les partis politiques.
Vous accordez dans le livre une place encore plus considérable au Front national. On a longtemps minimisé la portée du changement opéré par Florian Philippot et Marine le Pen à la tête du parti. Le FN choisit-il une bonne stratégie ?
Le programme économique explique énormément la rupture entre Jean-Marie le Pen et Marine le Pen. L’affaire du « détail de l’histoire » a servi de prétexte, et Jean-Marie le Pen a immédiatement répliqué en se portant sur le terrain politique, c’est-à-dire en s’en prenant à Florian Philippot. Quand le FN a annoncé la venue au Rassemblement Bleu Marine de Sébastien Chenu, le fondateur de Gaylib, la grande majorité des cadres du FN étaient furieux.
Cette stratégie est mauvaise électoralement et elle freine aussi l’arrivée de cadres des Républicains. En début d’année, le FN a perdu des départements à cause d’un mauvais report des électeurs de droite sur leurs candidats au second tour. Depuis, Marine le Pen a commencé à « redroitiser » son discours et les experts économiques du FN retravaille le programme afin qu’il soit davantage tourné vers les artisans et commerçants.
Marion Maréchal-Le Pen est en désaccord idéologique avec Marine Le Pen. Comment vit-elle cette opposition et pourrait-elle casser le parti pour reconstruire un mouvement davantage tourné vers la droite traditionnelle ?
Marion Maréchal, presque malgré elle, réussit à incarner une ligne politique, celle de la droite traditionnelle déçue par le discours de Marine le Pen, alors qu’il n’y avait jamais eu deux lignes au sein de ce parti. Pour autant, elle ne tient absolument pas à casser le Front national, qui est l’œuvre familiale. L’hypothèse la plus probable serait qu’elle quitte la vie politique.
Propos recueillis par Laurent Ottavi.
LE DERNIER HOMME POLITIQUEDans son premier roman, très riche en informations, Geoffroy Lejeune raconte avec talent la campagne présidentielle qui porterait Éric Zemmour au pouvoir en 2017. Une élection ordinaire est un livre bien curieux. Par son sujet, d’abord. Après les attentats contre Charlie Hebdo, Philippe de Villiers et Patrick Buisson avaient supplié Éric Zemmour de se présenter à la présidentielle de 2017. C’est le point de départ du roman. Le panorama politique actuel, lui disaient-ils, ne laisse guère d’espoir à la droite nationale : Nicolas Sarkozy a trahi le mandat qui lui a été confié par le peuple et Marine le Pen, sous prétexte de se dédiaboliser, se gauchise au risque de perdre ses électeurs (priorité aux questions économiques au détriment des questions dites « sociétales », retraite à soixante ans, abandon du concept de « grand remplacement [1] »). Sous l’emprise de Florian Philippot, la présidente du FN courrait à sa perte, répétant l’erreur de Chevènement en 2002. Éric Zemmour serait par conséquent le dernier atout des opposants au système. Il est le seul à avoir à la fois une forte popularité, particulièrement auprès des classes populaires, et un système de pensée cohérent appuyé sur une solide culture. Il n’est pas un saltimbanque, un nouveau Coluche comme se plairont à le décrire ses adversaires lors de la campagne imaginée par Geoffroy Lejeune. Au contraire, il a fait la preuve dans ses livres et ses interventions télévisées qu’il était le « dernier homme politique [2] », pour reprendre le mot de Philippe de Villiers, dans une époque où les représentants du peuple ne sont plus que des gestionnaires et des commentateurs. Cependant, pour qui l’a lu, que ce soit dans Mélancolie française ou le Suicide français, l’idée d’une candidature semble totalement impensable [3]. L’Histoire, chez Éric Zemmour, a des lois implacables contre lesquelles on ne peut rien. « La France est morte », écrit-il en conclusion de son dernier livre. Autrement dit, tout est déjà joué et l’islam bâtit son empire sur les décombres de notre civilisation. Zemmour, en se présentant à la prochaine campagne présidentielle, aurait donc tout à perdre. Une radiographie politiqueDans le roman de Geoffroy Lejeune, c’est bien maladroitement qu’Éric Zemmour se retrouve candidat. Il entre dans la campagne par « accident » après des propos tenus dans l’effervescence d’une réunion publique et mal interprétés par les journalistes. Une fois qu’a été admise cette situation, le lecteur se laisse porter par un scenario très bien pensé et un style agréable. Marion Maréchal-Le Pen exécute le testament politique posthume de son grand-père en rejoignant Éric Zemmour et l’aide avec Nicolas Dupont-Aignan à obtenir les 500 parrainages. Le « parti zemmourien » est fait de bric et de broc, mais il prend forme progressivement dans un contexte très violent, notamment marqué par un attentat et une tentative d’assassinat contre le candidat. Geoffroy Lejeune, cyniquement caché derrière son narrateur, un journaliste de centre-gauche, démontre dans ces pages une très grande connaissance du milieu politique et de ses personnages. On rit souvent tant les portraits, de Zemmour chantant du France Gall ou de Nicolas Sarkozy prenant conseil dans les bras de Carla Bruni, sont faits avec précision et justesse. Le portrait le plus dur est sans doute celui de François Hollande, dépeint comme un monstre froid, un cynique absolu bien loin de l’image du grand benêt, « un serpent qui ne mord que pour tuer ». Le président ordonne à ses troupes de diaboliser Éric Zemmour pour le renforcer et diviser ainsi les forces de droite. Par cet habile calcul, il accède au second tour de la présidentielle, qu’il perd finalement face à celui qu’il a favorisé. Happy-end étonnantEn revanche, à la fin du livre, c’est-à-dire après l’élection d’Éric Zemmour, le lecteur sera sans doute un peu troublé. On s’étonne en effet de certaines nominations, comme celle à Matignon d’Henri Guaino, ami du nouveau président mais sans doute trop gouverné par ses passions pour une telle fonction. Marion Maréchal, en échange de son soutien pendant la campagne, reçoit l’Éducation nationale. Laurent Wauquiez obtient les Affaires étrangères, Ludovine de la Rochère le ministère de la Famille. On s’étonne surtout de la tranquillité qui règne et qui contraste avec la violence de la campagne électorale : l’opposition politique est laminée (la gauche meurt comme le craignait Valls), les gardiens du système sont incapables de riposter quand on les imaginerait plutôt acharnés à conserver leurs privilèges, et la concorde civile est intacte [4]. La fin du livre trahit le grand enthousiasme de l’auteur pour la candidature du polémiste, jusqu’ici masquée par le choix habile d’un narrateur de centre-gauche. On peut aussi y voir une volonté de choquer le bobo, trop prompt à annoncer le retour des années 1930 et 1940 au moindre espoir de sursaut populaire. À rebours des deux cents autres pages, elle est toutefois trop rose bonbon pour être crédible. Ce n’est surement pas le pessimiste Éric Zemmour qui dirait le contraire. L. Ot.
Geoffroy Lejeune
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Photo : Ring
[1] De là à dire, cependant, que Marine le Pen est devenue partie intégrante du système qu’elle prétend combattre, il y a plus d’un pas. Les discours très porteurs électoralement sur l’immigration et la sécurité, certes, sont moins nombreux mais ils sont toujours là.
[2] Voir sur ce point l’article consacré à son dernier livre : « Le Suicide français : morne plaine et décadence » (LP.com, 5 décembre 2014).
[3] Sans compter le caractère d’Éric Zemmour, bien plus timide et pudique qu’il n’y paraît.
[4] Dans son roman noir Le Bloc (Folio), l’écrivain Jérôme Leroy décrivait l’arrivée au pouvoir de Marine le Pen dans un contexte bien plus terrible, avec de grands désordres dans les banlieues. L’affrontement repoussé pendant des années par la séparation des populations, analysée par le géographe Christophe Guilluy dans Fractures françaises (Champs), commençait à se faire réalité. L’armée était mobilisée pour ramener l’ordre.