Article rédigé par , le 13 août 2015
Fauché en pleine ascension, Roger Nimier est considéré comme le chef de file des Hussards, ces écrivains anars de droite des années cinquante, esthètes souvent tentés par la posture, prenant le contrepied systématique des idées de leur époque, et refusant d’être enfermés les cases du prêt-à-penser.
En 1950, Paul Morand est en Suisse. Ambassadeur sous le régime de Vichy, il a préféré s’y installer vers la fin de la guerre, pour éviter d’avoir à subir l’épuration. Il fut élu à l’Académie française en 1968, et mourut en 1975. Avec son ami Chardonne, il avait pris sous son aile les Hussards, et notamment le plus prometteur d’entre eux, qu’il couvait d’une affection presque filiale.
Roger Nimier écrit alors sa légende. Par sa plume, d’abord : cinq romans écrits entre 1948 et 1951. Mais aussi par sa manière de se placer au dessus de la mêlée, par son ironie mordante et son destin fulgurant d’étoile filante de la littérature de l’après guerre.
La correspondance entre ces deux « grands » de la littérature donne pâle figure à nos mails et à nos SMS. Le rythme des échanges est enlevé : nos amis s’écrivent tous les jours, parfois plusieurs fois par jour. Mais les deux écrivains ne se racontent pas. Est-ce dû à l’époque ou à leurs tempéraments, plutôt pudiques ? Sans doute un peu des deux. Si l’on ouvre ce livre pour y trouver des grandes envolées ou de profondes réflexions, on sera sans doute un peu déçu. Il s’agit de très prosaïques tranches de vie quotidienne, comme à propos de l’édition, qui est le métier de Nimier, mais aussi de leurs agapes : « Nous sommes sortis de table à neuf heures du soir. Il y avait vingt-quatre bouteilles de champagne vides. Ce résultat peut être considéré comme satisfaisant. » Des matchs de rugby : « S’il n’y a pas d’espoirs en littérature, il y en a un en rugby, l’ailier Gachassin. » De la difficulté de ne pas se voir souvent : « C’est un peu triste de se voir si rarement. Que faire ? Établissement d’un pont aérien Paris-Vevey ? Pipeline de vin du Valais ? Ligne télégraphique privée ? Croisière sur le lac de Genève ? » Ou encore de l’inconfort d’un « poulover » récemment acheté.
Nimier recevra la dernière lettre de Morand quelques jours avant sa mort, dans un accident de voiture. À vrai dire, c’est plus un simple mot : « Je suis triste, pour diverses raisons ; on l’est ensemble. Mais la liberté c’est sans prix. À condition de ne plus jamais l’aliéner. » Puis Morand écrira à Chardonne, après la mort de Nimier : « C’est affreux ; je ressens comme une blessure qui ne guérira plus jamais. Il était ma liaison avec la jeunesse, avec la vie. »
Plus de cinquante ans après sa mort, Nimier reste l’icône d’une jeunesse éprise de liberté, qui ne veut pas se conformer à l’ambiance mortifère et liberticide de la société dans laquelle elle est plongée. Ayant vécu toute sa vie à plus de cent à l’heure, le voici désormais figé dans le marbre. Le destin des étoiles filantes, c’est de briller, puis d’éclairer les souvenirs.
Théophane Leroux
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