Article rédigé par , le 11 août 2015
Doit-on présenter Jacques Bainville ? Journaliste, historien, Bainville fut l’un des plus grands intellectuels du début du siècle dernier. Entré en journalisme grâce à Maurras, il est aussi connu pour ses travaux d’historien, qui font toujours référence. Son Histoire de France fait encore autorité. Les Belles Lettres rééditent Doit-on le dire, un recueil d’articles publiés entre 1924 et 1936 dans le journal Candide, hebdomadaire politique au ton parfois léger.
Le moins qu’on puisse dire de cet ouvrage posthume, c’est que Bainville y traite de nombreux sujets. Dans ses chroniques écrites entre 1924 et 1936 – l’année de sa mort –, il passe de l’un à l’autre sans difficultés, non sans une légère ironie. Du théâtre aux crises ministérielles, en passant par le pacifisme, l’Allemagne ou la finance, peu de domaines ont échappé à sa plume acérée.
La plupart des réflexions présentées sont toujours d’actualité : « Le malade qui ne se trouve pas bien sur le côté gauche se met sur le côté droite. Comme ça ne va pas mieux, il se remet sur le côté gauche. C’est ce qu’on appelle se retourner sur son lit de mort. La France ne fait pas autre chose depuis quelques années. » Voici le jeu de l’alternance politique résumé en trois lignes.
Car si les politiques, les économistes et les artistes changent, leurs travers restent les mêmes. « Une crise ministérielle », article de 1924, écrit sous la forme d’une scénette de théâtre pourrait bien être rejouée aujourd’hui. Les erreurs commises par les gouvernements ne changent point. « La faute la plus lourde qu’un gouvernement puisse commettre, c’est de s’aliéner les deux forces : la jeunesse et l’intelligence. » Gageons que MM. Hollande, Valls et consorts n’ont pas lu Bainville (contrairement à Mitterrand et Chevènement…). Surtout lorsqu’ils s’enferrent dans leurs errances. « C’est le moment où tout ce qu’essayent de dire les dirigeants qui ont perdu la tête devient gaffe, où ils n’ouvrent plus la bouche sans qu’une divinité leur souffle le mot qui les perd. »
Visionnaire et lucide, Bainville décrit un pays, la France, et montre que, finalement, les défauts qui lui font tort aujourd’hui ne sont pas propres à notre époque. Il raille l’angélisme de ses contemporains, et celui des nôtres : « Beaucoup de gens ont besoin, pour croire au mal, que le crime soit commis. C’est très touchant de pleurer les morts. Il vaudrait mieux ne pas laisser faire les assassins. » Il brocarde l’intérêt variable des politiques pour l’armée. « On se comporte dans la paix avec les militaires comme avec les médecins comme on est en bonne santé. Les gens biens portant raillent volontiers la médecine. » Il moque les promesses de ceux qui ne les tiendront pas. « À condition de ne donner ni chiffres ni dates, vous pouvez conjecturer tout ce que vous voudrez. » Notamment la reprise.
Si Bainville était mort en 2015, il n’aurait guère eu d’efforts à faire pour mettre à jour ses observations politiques.
Théophane Leroux
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