Article rédigé par Thomas Flichy et Oliver Hanne, le 03 août 2015
Les violences qui ont marqué les territoires palestiniens au cours des derniers jours ne peuvent être dissociées des bouleversements géopolitiques qui viennent de frapper le Moyen-Orient, qu’il s’agisse des avancées de l’Etat islamique au Sinaï ou bien du rapprochement occidental avec l’Iran. Devant ces inflexions, génératrices de tensions, Israël pourrait surprendre l’ensemble des acteurs par son imprévisibilité, qui constitue l’un des principaux ressorts de sa puissance.
Le regain de tension dans les territoires palestiniens ne doit surprendre personne. Les deux mois d’été – pendant lesquels les opinions publiques se détournent de la conflictualité ambiante – constituent des temps d’opportunité stratégique de premier ordre. Au cours desquels le faible écho médiatique des mouvements de troupes est exploité par l’ensemble des acteurs. Sans remonter à août 1914, il n’est que de se souvenir des fulgurantes avancées de l’État islamique au cours de l’été 2014 pour s’en persuader.
Des objectifs symboliques et stratégiques
Au Moyen-Orient, l’équilibre des forces s’est doublement modifié. D’une part, l’État islamique a progressivement fait reculer ses frontières mouvantes, notamment dans le sud syrien, dans la vallée de l’Euphrate et dans la province irakienne de Diyala. Au nord d’Israël, l’EI et ses groupes jumeaux et concurrents, dont Jabhat al-Nosra balaient la résistance syrienne et menacent toujours le Liban. Au Sud, son influence croit dans le Sinaï, territoire qui cherche à se connecter à l’Émirat islamique libyen. Sur les marges immédiates d’Israël enfin, l’État islamique pourrait fédérer les mécontentements arabes de la Bande de Gaza au détriment du Hamas, contourné politiquement par le salafisme jihadiste. Certes, Israël ne constitue pas un objectif immédiat pour l’État islamique, qui vise avant tout Damas.
L’objectif d’une conquête de Jérusalem, souvent rappelé par l’EI, est d’abord une référence symbolique, et non un but stratégique réaliste. Toutefois, l’on ne peut exclure que Daech devienne incontrôlable au point de menacer brusquement Israël tout comme l’Arabie Saoudite. D’autre part, l’accord signé entre les puissances occidentales et l’Iran force les acteurs régionaux à sortir de leurs ambiguïtés stratégiques. C’est le cas de la Turquie, qui s’est officiellement lancée dans la guerre contre l’État islamique tout en concentrant ses feux sur les Kurdes, son adversaire de toujours. C’est aussi le cas d’Israël, sujet à une isolation diplomatique difficilement tenable.
L’imprévisibilité d’Israël, gage de sa puissance… et de sa survie
Dans ce contexte, les territoires palestiniens constituent à l’évidence un enjeu qui dépasse de loin la stabilité propre de l’État hébreu. Qu’attendre d’Israël dans ces circonstances ? La question n’est pas simple dans la mesure où cet État se caractérise par une intelligence diplomatique à la hauteur de sa puissance militaire et politique. Jouant sa survie – et très conscient des menaces de destruction qui pèsent sur lui – l’État d’Israël s’apprête à nous surprendre.
Certes, l’imprévisibilité propre aux nations créatrices échappe à tout pronostic, toutefois, il y a fort à parier qu’Israël jouera simultanément des jeux diplomatiques apparemment contradictoires mais dont le but est de sortir de son isolement grandissant : il s’agira d’une part d’approfondir ses pourparlers secrets avec le régime de Bachar-al-Assad et de tenter une normalisation des relations avec le Hamas afin d’exclure toute menace de l’État islamique du champs de sa politique interne, et d’autre part, de s’appuyer sur le monde turc, seule force à pouvoir faire reculer l’EI. Une telle ouverture rapprocherait Israël de l’Iran, qui est associé à Damas et au Hamas. Mais l’État hébreu peut-il aller jusque-là ? Daech suscite des retournements inédits dans l’histoire du Moyen-Orient…
Olivier Hanne et Thomas Flichy de La Neuville sont professeurs à l'Ecole Spéciale Militaire de Saint-Cyr
***