L’attentat de Grenoble, prélude à de futures attaques sur le territoire français
Article rédigé par Thomas Flichy de La Neuville, le 29 juin 2015 L’attentat de Grenoble, prélude à de futures attaques sur le territoire français

L’attentat du 26 juin 2015 s’inscrit dans une logique de conquête religieuse par la terreur diffuse. Cet attentat révèle les limites du système de surveillance mis en place, mais une solution technique au défi djihadiste ne suffira pas. Sans réponse culturelle, les pouvoirs publics pourront toujours discourir, leur action restera vaine. L’analyse de la chaire Terrorisme des écoles de St-Cyr Coëtquidan.

IDENTIFIÉ comme un danger potentiel par une fiche S (2006) en raison du maniement d’armes et d’explosifs, Yassin Salhi a fait l’objet de deux fiches supplémentaires en 2013 et 2014 par les services d’informations du Doubs en raison de ses absences répétées de deux à trois mois dans les pays sensibles au contact de musulmans salafistes adeptes du djihad. Sa perte de poids et le fait qu’il se soit rasé la barbe sont les signes habituels du djihadiste se préparant spirituellement à une attaque suicide.

Le système de surveillance français déjoué par la tactique djihadiste de la taquiyya

Ces actions s’inscrivent dans l’idéologie salafiste djihadiste de la taquiyya (sourate 3, verset 27), bien connue des juges antiterroristes, où le futur criminel cache ses intentions à sa famille. Yassin Salhi semble avoir caché son intention à son épouse et à ses proches. Il a modifié son apparence pour ressembler à un Occidental. Il possédait un badge pour entrer sur le site chimique et y travailler.

Ce type de stratégie est très difficile à détecter par les services de renseignement : au moment où ils transmettaient son dossier à la DGSI, en mai 2014, les services étaient incapable de surveiller Yassin Salhi, dépassés qu’ils étaient par l’ampleur des départs de djihadistes français vers la Syrie. Manquant de moyens humains, la DGSI n’a donc pu exercer une surveillance efficace sur l’individu. La surveillance statique ou mobile du Plan Sentinelle n’a eu aucun impact pour empêcher l’attentat de se faire.

L’auteur a soigneusement évité des cibles religieuses, politiques ou militaires. Il a visé une cible économique, non surveillée par les forces de l’ordre. Le journal de l’ÉI, Dar-al-islam n°3 de mars 2015, demandait de « ne pas chercher de cibles spécifiques. Tuez n’importe qui. Tous les mécréants sont des cibles pour nous ».

Redéfinir l’opération Sentinelle

Le malheureux chef d’entreprise décapité par ce djihadiste a été une cible car il était considéré comme un mécréant. Or, en dispersant nos forces sur des cibles potentielles, en les épuisant et en ne les entraînant pas, nous les avons rendues plus vulnérables et peu préparées à réagir à une attaque sur une autre cible. Il est par conséquent nécessaire de redéfinir l’opération Sentinelle à l’aune des expériences d’Ahmed Ghlam et de Yassin Salhi.

Il faudrait que chaque commissariat ait des policiers entraînés en alerte 24 h sur 24 et dispose d’armes automatiques. Les policiers et les gendarmes seraient alors aux premières loges pour intervenir, comme ils l’ont montré par quatre fois lors des attentats de janvier. L’infériorité de leur armement, malgré leur bravoure, a expliqué leur incapacité à réduire les terroristes.

Le prélude à de nouveaux attentats

L’attentat se déroule, une semaine après le début du Ramadan, le mois le plus sacré des musulmans. Le terroriste djihadiste en se sacrifiant sauve l’âme de ses proches (sa femme et ses trois enfants), il ne s’agit donc pas clairement d’un abandon de famille, mais de préparer la vie éternelle pour ses proches et lui-même.

Le terroriste est un martyr. Le djihad est avant tout médiatique. L’effet de sidération à l’égard de l’opinion occidentale est obtenu par décapitation du patron. Celle-ci est renforcée par la mise en scène de la tête plantée sur le grillage avec des drapeaux noirs et des inscriptions en arabe. Si cet acte a été longuement préparé, il faut s’attendre à une vidéo de revendication sur le modèle d’Amedy Coulibaly. En frappant six mois après les attentats de Kouachi et Coulibaly et trois mois après celui d’Ahmed Ghlam, le nouveau terroriste provoque une impression d’insécurité en France et peut servir de modèle à d’autres apprentis terroristes.

L’entreprise ciblée est une entreprise américaine, Air Products, dont le pays est à la tête de la coalition anti-ÉI. Un attentat commis dans une autre entreprise Seveso dans cette zone d’activités de 400 entreprises aurait probablement eu plus de dégâts. Mais la possession d’un badge lui permettant l’accès à la première partie du site et la nationalité de l’entreprise constituaient deux atouts pour le terroriste.

N’oublions pas que la France est une cible, au même titre que les États-Unis, peut-être même plus encore, puisqu’elle est la plus proche des théâtres d’opération où l’islam semble attaqué. Trois jours après l’entrée de la France au sein de la coalition anti-Daesh, l’État islamique demandait à ses adeptes de commettre des attentats en France par voiture bélier, égorgement, destruction de biens.

Menaces sur la France

En février 2015 une vidéo de l’ÉI, après avoir évoqué les attentats de Paris, menaçait la France en affirmant : « Sachez qu’ils n’attendent qu’un ordre pour se faire exploser, pour vous tuer, vous égorger, le cauchemar ne fait que commencer. » Yassin Salhi a suivi à la lettre cette procédure à Grenoble. L’attentat obéit aussi au message du porte-parole de Daech, al- Adnani, du 24 juin dernier : « Précipitez-vous et participez à une expédition pendant ce mois et cherchez le martyre pendant celui-ci [...]. Et il se peut qu'Allâh augmente la récompense du martyr pendant ce mois pour atteindre la récompense de dix martyrs pendant un autre mois [...]. Élancez-vous afin de faire du Ramadan un mois de calamités pour les mécréants. » Même s’il est évident qu’il n’y a aucun lien direct entre Salhi et la hiérarchie de Daech, il en a suivi toutes les méthodes, tous les principes et les mises en scène médiatiques.

Une réponse militaire et culturelle

Pour éviter ce type d’attentat, tous les employés des sites Seveso doivent être contrôlés et les adeptes d’un islam salafiste violent, écartés. Dans les circonstances actuelles, notre pays doit se préparer à d’autres attentats de ce type dans les mois et les années à venir jusqu’à ce que l’idéologie salafiste djihadiste soit vaincue par les armes en Syrie, qu’un travail pédagogique de fond soit effectué par les autorités musulmanes de France et des grandes universités de théologie du monde musulman.

Au-delà du problème djihadiste, la France est confrontée à une montée de l’opinion salafiste favorable à Daech, ainsi que le révélait le 25 juin dernier le magazine Newsweek : 16 % des Français interrogés se déclaraient favorables au groupe terroriste. Un grand nombre d’entreprises font désormais appel à des consultants sur des problèmes de radicalisation dans les unités de production, particulièrement dans la manufacture, l’industrie automobile, l’agro-alimentaire. Les cas rencontrés remettent en question la culture d’entreprise et le savoir-vivre.

Il faut donc que la France élabore une réponse culturelle adaptée au défi que constituent le djihadisme et son marchepied qu’est le salafisme. Cette réponse ne peut être puisée que dans sa construction historique plurimillénaire.

 

Gregor Mathias,
Thomas Flichy de La Neuville,
Olivier Hanne,
chaire Terrorisme des écoles de St-Cyr Coëtquidan.

 

Sur ce sujet :
Attentat en Isère :un acte de guerre, par Olivier Hanne

 

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