Article rédigé par Roland Hureaux, le 16 juin 2015
La campagne de l'élection présidentielle américaine de 2016 est désormais lancée. Qui sera le 45e président des États-Unis ? Alors que Jeb Bush vient de se porter candidat aux primaires républicaines, c’est Hillary Clinton qui attire tous les regards côté démocrate, y compris en France… et pas pour de bonnes raisons.
IL EST STUPEFIANT de voir que, à peine annoncée, la candidature d’Hillary Clinton à l'investiture démocrate pour la présidence des États-Unis, ait reçu par tweet l'appui du Premier ministre français, Manuel Valls, et de l'ancien président de la République, Nicolas Sarkozy.
Première question : de quoi se mêlent-ils ? En quoi une personnalité politique française de premier plan a-t-elle le droit d'interférer dans ce qui reste une affaire intérieure américaine ?
Plus inquiétant : un tel appui fait l'impasse sur le fait que la présidence Clinton (1992-2000) a été sans doute la plus hostile aux intérêts français qu'il y ait jamais eue dans l'histoire de ce pays.
Au Rwanda : le prix du massacre
Deux affaires méritent d'être rappelées : celle du Rwanda qui a vu les États-Unis appuyer dans le courant des années 1990 avec discrétion mais efficacité l'équipée de Paul Kagamé, parti de l'Ouganda voisin pour reconquérir le pouvoir à Kigali au bénéfice de la minorité tutsie chassée du pays en 1959, contre un gouvernement issu de la majorité hutue soutenu par la France.
Les dégâts furent considérable : au moment de l'ultime offensive des rebelles, l'accident d'avion qui coûta la vie aux deux présidents hutus du Rwanda et du Burundi le 6 avril 1994, dont des proches de Kagamé eux-mêmes ont reconnu qu'il en était l'instigateur, fut le déclencheur de ce qui fut présenté comme le massacre de la minorité tutsie de l'intérieur ; ce massacre justifia après coup l'invasion, commencée plus tôt, du pays par les troupes de Kagamé. Cette invasion peut être interprétée aussi bien comme la conséquence du massacre que sa cause.
Mais une fois au pouvoir, le président Kagamé, envahit en 1995-96 le Congo (RDC) voisin pour exercer des représailles terribles contre les réfugiés hutus et, de fait, mettre la main sur la province du Kivu, riche en minerais de toute sorte. Si les massacres du Rwanda avaient fait près d' 1 million de morts, pas tous tutsis et pas tous du fait de l'ancien gouvernement hutu, l'invasion du Kivu est, elle, selon les chiffres de l'UNHCR directement ou indirectement responsable de 4 millions de morts.
Si le gouvernement Clinton n'avait pas appuyé la rébellion de Kagame, tous cela ne serait pas arrivé. Le gouvernement hutu de Habyarimana n'était certainement pas tendre pour les Tutsis (pas plus que la Révolution française ne l'avait été pour l'ancienne aristocratie), mais il restait dans le registre des dictatures africaines ordinaires, alors que ce qui est arrivé au cours de la guerre de 1994-1996 dépasse toutes les bornes de l'horreur.
Éliminer la France
L'aboutissement de cette opération a été que le Rwanda de Kagamé a quitté la francophonie pour adhérer au Commonwealth ! Son but, auquel le gouvernement Clinton ne saurait être étranger, même si la crise avait commencé avant lui, était d'éliminer la France de la région des Grands Lacs. Cette élimination fut complète quand Jacques Chirac renonça en 1996 à appuyer l'armée congolaise qui faisait face au Kivu à une armée rwandaise tutsie encadrée par des officiers US. Ces événements avaient, entre autres, fait dire à Mitterrand vieillissant : « La France ne le sait pas, mais nous sommes en guerre avec l’Amérique. Oui, une guerre permanente, une guerre vitale, une guerre économique, une guerre sans mort apparemment et pourtant une guerre à mort » (cité par Georges-Marc Benhamou, Le Dernier Mitterrand).
Une guerre sans mort français évidemment, avec 5 millions de morts africains tout de même !
Contre la Serbie
Affaiblir les intérêts français et en tous les cas les méconnaître, c'est ce qu'on voit aussi dans la guerre de Yougoslavie et notamment dans sa phase la plus aiguë, la guerre dite du Kosovo de 1999, où les forces de l'OTAN, à l'instigation des États-Unis et de l'Allemagne, bombardèrent pendant des semaines, le territoire de la Serbie, faisant 20 000 morts, tous civils.
Tout au long de ce conflit, les États-Unis prirent systématiquement le parti des alliés historiques de l'Allemagne : Croates, Albanais, Kosovars, Bosniaques musulmans, les mêmes qui avaient fait bon accueil à la Wehrmacht en 1941 et combattirent au contraire avec un rare acharnement les Serbes, alliés historiques de la France et de l'Angleterre et ennemis de l'Allemagne. Il est vrai que le président Chirac s'est montré complice de cette opération qu'il aurait pu empêcher. Mitterrand, avait dit : « Moi vivant, la France ne fera pas la guerre à la Serbie. » Margaret Thatcher ne pensait pas autrement. Dépourvu de cette conscience historique, Jacques Chirac, pour des raisons qui restent à éclaircir, n'eut pas ces scrupules.
On objectera que les entreprises de Clinton allaient dans le sens des droits de l’homme frappant les « méchants » ou protégeant les « bons ». Qui est encore dupe de cette rhétorique, composante de la guerre médiatique et psychologique qui accompagne désormais toutes les opérations militaires et dont les clefs se trouvent outre-Atlantique ? Quand un régime est diabolisé dans l'opinion mondiale, nous ne savons pas s'il le mérite vraiment, mais nous savons qu'à coup sûr il n'est pas dans le camp des États-Unis !
La guerre commerciale et agricole
À ce bilan peu glorieux des relations franco-américaines au temps de Clinton, on pourrait ajouter l'offensive commerciale de l'Amérique contre la politique agricole commune, dans le cadre des négociations du GATT, offensive qui conduisit l'Europe, au dépens des intérêts français, à démanteler partiellement les protections de son agriculture, au travers de la réforme de la politique agricole commune (1992) et de l'accord de Blair House (1993). L'agriculture française ne s'en est jamais remise.
Il est difficile de trouver d'autres présidents des États-Unis qui aient été aussi hostiles aux intérêts français que Bill Clinton. La France n'eut guère à se plaindre de la plupart des présidents républicains : Eisenhower, Nixon (qui ne cachait pas son admiration pour le général de Gaulle), Reagan et même Bush père et fils, quelque contestables qu'aient été les initiatives internationales de ces derniers. Pas davantage de certains démocrates comme Truman, Carter et même Obama : que la présidence de ce dernier coïncide avec une inféodation sans précédent de notre pays est à mettre au passif, moins du président américain lui-même que de ceux qui acceptent cette inféodation. Kennedy ne fit rien pour faciliter la solution de la guerre d'Algérie et sabota les initiatives européennes de la France, ce dont le général de Gaulle ne lui tint pourtant pas grief. Il devait s'entendre beaucoup plus mal avec son successeur Johnson.
Sans doute Mme Hillary Clinton n'était-elle entre 1992 et 2000 que la première dame d'Amérique, sans responsabilité officielle dans la politique étrangère américaine. Mais on doute qu'une personnalité de cette envergure ait pu être totalement étrangère aux événements que nous avons évoqués. Le nom de Clinton ne devrait inspirer aucune sympathie en France.
Roland Hureaux
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