Article rédigé par , le 12 juin 2015
Nul ne sait vraiment qui est Nicole Esterolle, auteur de cet essai corrosif sur l’art contemporain. L’éditeur lui-même garde le mystère. Artiste, galeriste… peut-être, critique, sûrement, et très critique, notamment sur son blog dédié à l’art contemporain, le Schtroumpf émergent. Une chose est sûre, elle connaît son sujet.
Bainville écrivait en 1924 : « On peut contester les progrès de l’art. On ne contestera pas la progression des recettes[1]. » Aujourd’hui, on ne peut même pas contester ce qu’on nous présente comme une « œuvre ». Des Dirty Corner (Kapoor à Versailles), des arbres de Noël-godemichets, des homards gonflables… fabrications faites sur commande de l’« artiste » par des ouvriers – mal payés – pour « questionner » les « regardeurs ». Cette planche à billets autoproclamée « art contemporain » terrorise tout ce qui n’est pas conforme à la doxa. La soupe est bonne, mais il ne faudrait pas trop partager…
C’est ce qui est érigé en art officiel qui est dénoncé dans cet opus férocement ironique. Le rire gras de nos prétendus artistes leur restera dans la gorge s’ils s’avisent de le lire. « Il apparaît donc que la totalité du champ de l’art dit contemporain est soumis à la dictature de la bouffonnerie institutionnelle et marchande. C’est la permanente apologie de la dérision, du kitch, de la farce de mauvais goût, du désenchantement, de la déconstruction, de la transgression, du cynisme odieux, du questionnement sociétal pervers, de la pantalonnade grossière et du vulgaire foutage de gueule… » Anish Kapoor, qui trouve qu’il fait trop de cadeaux à la France appréciera sans aucun doute ce costard taillé à sa mesure, en guise de remerciement.
Des bouffons bien cotés
Ce système désopilant ne crée pas des bouffons par pure philanthropie. Au contraire, il s’agit d’un marché bien juteux. Pourri par le fric, « l’art institutionnel [est] payé par le bon peuple », permettant à quelques « ultra-riches » de spéculer allègrement. Le contribuable moyen appréciera cette faculté de créer de l’argent avec du rien. Là où la culture donnait auparavant à réfléchir, la culture contemporaine crie, mais ne dit rien, pour paraphraser François-Xavier Bellamy. Il s’agit d’une basse manœuvre financière, dont le but n’est que de faire grimper la cote de rigolos sponsorisés.
La face cachée de l’AC
Cependant, hors des lumières des projecteurs et des caméras, un grand nombre d’artistes – de vrais artistes, cette fois-ci – tentent d’échapper aux tenailles du mécénat officiel, ceux-ci qui « ne veulent pas s’inscrire dans cette gigantesque farce totalitaire […] sont disqualifiés, isolés, humiliés, démoralisés, rayés de l’histoire ». Les retrouvailles avec un art vrai passent par leur reconnaissance. Et par la destruction du piédestal artificiel sur lequel sont placés les sinistres lurons appointés par la commande publique.
La solution se trouve aussi dans une véritable information sur ce qu’est l’art dit contemporain. Sa déliquescence bouffonne est un des symptômes d’une société qui se vide « de son sens, de son contenu, de son mystère, de sa spiritualité ». Mettre ses grossières ficelles à nu, c’est montrer son absurdité complète, pour rendre son humanité à notre société. Comprendre cette sinistre farce permettra peut-être d’éviter le sort de ces musiciens qui continuèrent de jouer lorsque le Titanic coulait : la mort en rigolant.
T. L.
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[1] Jacques Bainville, Doit-on le dire ?, rééd. Les Belles lettres, 2015, p. 100.