Article rédigé par Nicolas Bonnal, le 29 mai 2015
Vladimir Poutine a accueilli jeudi 28 août Valéry Giscard d'Estaing pour s'entretenir de la crise ukrainienne et de ses conséquences sur les relations entre Moscou et Paris. Dans le numéro d’hiver de Politique internationale, l’ancien président français avait exposé son analyse de la situation… iconoclaste.
DANS LA REVUE Politique internationale, d’obédience atlantiste, l’ancien président de la République Valéry Giscard d’Estaing, que la gauche avait taxé jadis de « petit télégraphiste au service de Moscou » (on croit rêver), brave la colère d’une journaliste du Figaro muée en gardienne de la pensée américaine, et défend la position russe – sans soutenir la méthode d’annexion de la Crimée.
Ayant réétudié son histoire impériale, voici ce que le Président écrit sur ce sujet flambant :
« La conquête de la Crimée fut assez dure. Elle ne s'est pas faite au détriment de l'Ukraine, qui n'existait pas, mais d'un souverain local qui dépendait du pouvoir turc. Depuis, elle n'a été peuplée que par des Russes. Quand Nikita Khrouchtchev a voulu accroître le poids de l'URSS au sein des Nations unies qui venaient de naître, il a “inventé” l'Ukraine et la Biélorussie pour donner deux voix de plus à l'URSS, et il a attribué une autorité nouvelle à l'Ukraine sur la Crimée qui n'avait pas de précédent. À l'époque, déjà, je pensais que cette dépendance artificielle ne durerait pas. Les récents événements étaient prévisibles. D'ailleurs, le retour de la Crimée à la Russie a été largement approuvé par la population. Ce n'est que lorsque les problèmes se sont étendus à l'est de l'Ukraine qu'on s'en est inquiété... »
La patte de la CIA
L’ancien président voit, comme tous les observateurs sérieux, la patte de la CIA et une inquiétante ingérence américaine dans les affaires européennes.
« Il faut se demander ce qui s'est réellement passé il y a un an dans la capitale ukrainienne. Quel rôle la CIA a-t-elle joué dans la révolution du Maïdan ? Quel est le sens de la politique systématiquement antirusse menée par Barack Obama ? Pourquoi les États-Unis ont-ils voulu avancer leurs pions en Ukraine ? Existe-t-il un lobby ukrainien influent aux États-Unis ? Les Américains ont-ils voulu “compenser” leur faiblesse au Moyen-Orient en conduisant, sur le continent européen, une politique plus “dure” contre la Russie ? »
Il dénonce même durement la politique de sanctions et les menaces sur les hommes politiques russes menacés par une justice mondialisée aux ordres de Washington.
« Les États-Unis ont probablement soutenu et encouragé le mouvement insurrectionnel. Et, ensuite, ils ont pris la tête de la politique de sanctions visant la Russie — une politique qui a enfreint le droit international. Qui peut s'arroger le droit, en effet, de dresser une liste de citoyens à qui l'on applique des sanctions personnelles sans même les interroger, sans qu'ils aient la possibilité de se défendre et même d'avoir des avocats ? Cette affaire marque un tournant préoccupant. »
Des sanctions pour tous
Enfin il remarque que les sanctions risquent de nuire à tout le monde.
« Concernant les sanctions économiques visant non des personnes mais l'État russe, comment ne pas considérer qu'elles font du tort aux deux protagonistes — Russie et Occident — en altérant leurs échanges commerciaux ?
Les Américains ont-ils intérêt à provoquer la chute de l'économie russe ? Pour l'Europe, les Russes sont des partenaires et des voisins. Dans le désordre international actuel, face à la flambée des violences au Moyen-Orient, devant l'incertitude provoquée par les élections de mi-mandat aux États-Unis, il serait irresponsable de souhaiter que l'économie russe s'effondre. »
Comme on sait, l’économie russe tient bon, et le risque pour cette fin d’année est surtout la chute économique des États-Unis et du dollar. Les Russes y travaillent de concert avec les Chinois et l’Inde.
L’option fédérale
Sur le futur de l’Ukraine, le président conclut sobrement : pour ce malheureux pays livré par les Américains et leur agent Yatsenyouk (« c’est notre homme ici », disait Victoria Nuland) à l’anarchie, la guerre et à la ruine, il veut une « solution fédérale de type suisse, comprenant trois provinces », et il donne enfin son point de vue sur les aberrations géostratégiques des élites financières occidentales :
« Quant à l'adhésion de l'Ukraine à l'Otan, il n'en est, bien évidemment, pas question et la France a raison d'y être défavorable ! À présent, voulez-vous ma prophétie ? La voici : l'Ukraine risque la faillite financière. Elle demandera des aides. Qui les lui donnera ? Sans doute le FMI puisque l'Union européenne n'a pas le dispositif pour le faire. »
On peut espérer que pour le bien de la démocratie et la punition des rebelles du Donbass la France, aux ordres de Washington, paiera, dût-elle le faire toute seule !
Nicolas Bonnal
En savoir plus :
On peut trouver sur le site de Politique internationale cette interview où Valéry Giscard d’Estaing aborde, avec le brio de ses grands jours, d’autres thèmes importants de notre temps compromis. NB
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