Départementales : un exploit du Parti socialiste
Article rédigé par Michel Pinton, le 02 avril 2015 Départementales : un exploit du Parti socialiste

La débâcle de la gauche aux élections départementales est d’abord l’échec de la « stratégie des valeurs ». En spéculant sur les revendications communautaires, les socialistes ont divisé les Français et creusé leur tombe.

LES ELECTIONS départementales de mars 2015 confirment les élections municipales de mars 2014. En ce sens, elles n’ajoutent rien à mon « décryptage » proposé alors aux lecteurs de Liberté politique (« Les illusions d’un résultat sans surprise »). Mais, en plus, elles exposent de façon crue, le désarroi dans lequel la pensée socialiste est plongée. Vues sous cet angle, elles me semblent mériter un commentaire.

Il faut rappeler comment les meilleurs esprits de la gauche voyaient la société française jusque récemment et par quelle stratégie ils comptaient conquérir et conserver le pouvoir. On en trouve une expression particulièrement claire dans les manifestes du club Terra nova. Essayons de les résumer.

La somme des valeurs minoritaires

Selon Terra nova, la gauche ne peut plus gagner d’élection présidentielle ou législative en unissant, comme jadis, les classes populaires contre les classes bourgeoises. L’érosion des masses ouvrières, la désaffection du monde des employés, le « repli identitaire » de l’ancien peuple des banlieues, concourent à affaiblir l’électorat traditionnel des candidats socialistes.

L’échec de Lionel Jospin en 2002 l’a prouvé. Il faut substituer une « stratégie de valeurs » à la vieille « stratégie de classe ». Les valeurs en question s’appellent tolérance, humanisme et ouverture. Si elle les incarne bien, la gauche sera capable de rassembler, autour des « classes moyennes progressistes » (c’est une expression enjolivée qui désigne les salariés du secteur public) qui sont le socle de son électorat, une coalition de minorités tenues à l’écart par les « Français de souche ».

Cette dernière expression est une trouvaille de François Hollande. Et Terra nova de citer quelques-unes des minorités à attirer : les immigrés, les musulmans, les homosexuels, les démunis que menacent le chômage et la précarité. En « donnant la prééminence aux valeurs culturelles » chères à ces minorités, la gauche est assurée « d’être toujours gagnante au deuxième tour de l’élection présidentielle ».

En bref, l’idée centrale des stratèges socialistes était une politique qui hâterait l’avènement d’une France multiculturelle.

L’absence de vote communautaire

Terra nova insistait sur trois catégories à « défendre » prioritairement : les « quartiers de la diversité » qui étaient susceptibles de voter à 80% pour la gauche, les jeunes (70%) et les femmes (60%). Toutes trois étaient considérées comme ayant d’importantes revendications culturelles à satisfaire tout en étant particulièrement ouvertes et tolérantes.

Un commentaire s’impose avant d’aller plus loin. La méthode qui consiste à découper le corps électoral en tranches culturelles pour les combiner ensuite en coalition politique, est une invention de communicants américains. Elle est systématiquement utilisée dans les campagnes électorales d’outre-Atlantique où le communautarisme facilite son application. On sait qu’il existe là-bas un vote noir, un vote juif, un vote évangélique protestant, etc. La méthode a eu aussi un succès certain dans des scrutins israéliens.

Mais elle convient mal à la société française qui n’a connu jusqu’à présent, aucune division communautaire. Il n’y a pas de vote juif chez nous, ni de vote féminin, ni de vote antillais. La seule exception notable concerne certains immigrés des quartiers sensibles, précisément parce qu’ils ne sont pas encore assimilés.

La déception de 2012

L’élection présidentielle de 2012 n’a d’ailleurs pas confirmé les prédictions des théoriciens de la stratégie culturelle. Le candidat Hollande n’a pu se contenter de faire une campagne de valeurs. Il a été obligé par les sondages de revenir à de bonnes vieilles promesses de classe.

Et puis les résultats du second tour ont été décevants : les femmes ne se sont pas portées à 60% sur son nom ; elles se sont presque également partagées entre Sarkozy et lui. Les jeunes ont préféré un Président de gauche mais dans une proportion moindre qu’espérée (60% au lieu de 70). Les quartiers de la diversité ont dans l’ensemble donné leurs suffrages au candidat socialiste mais l’abstention y a fait des ravages. Par une ironie des urnes, Hollande ne l’aurait pas emporté sans les voix de Français de souche, ouvriers et catholiques notamment, qu’il ne cherchait pas.

Accélérer la « politique des valeurs »

Les chefs socialistes en tirèrent la conclusion qu’ils devaient accélérer leur politique de valeurs afin de renforcer leur emprise électorale. C’est ce qui explique par exemple l’opiniâtreté de François Hollande à imposer le « mariage pour tous », valeur fondamentale d’une supposée communauté homosexuelle, l’attention persévérante portée à la condition des femmes (avortement gratuit, aménagement du congé parental, quotas dans les assemblées politiques et les conseils d’administration) en application des valeurs féministes, et la bienveillance manifestée au culte musulman, expression visible des valeurs des immigrés.

Les mesures économiques et sociales furent négligées parce que la nouvelle stratégie socialiste les considérait comme secondaires. Le Président savait bien qu’une récession de l’activité inquiétait les Français mais il était certain qu’elle allait se résorber toute seule. Elle ne devait pas détourner le gouvernement de l’essentiel.

Contradictions multiculturelles

Comme chacun le sait, les faits n’ont pas ratifié les prévisions des penseurs de la gauche. Le multiculturalisme a buté sur des contradictions insurmontables, en opposant, par exemple, les forces laïcistes aux musulmans, comme l’ont illustré « la charte de la laïcité à l’école » et l’affaire « Charlie-hebdo ». Les féministes n’ont pas réussi à rallier l’électorat féminin, qui semble peu intéressé par leur soif brûlante de pouvoir. Un progrès dans l’emploi des jeunes s’est avéré incompatible avec les protections auxquelles les syndicats, tous de gauche, sont farouchement attachés.

L’art du compromis flou, sur lequel François Hollande a construit sa carrière, n’a pu cacher les divisions ni apaiser les mécontentements de ses partisans.

Déroute stratégique

Le scrutin départemental montre l’étendue des dégâts. Passe encore que les ouvriers ne votent plus guère pour les socialistes : les stratèges du parti y sont résignés depuis longtemps. Mais les catégories convoitées se sont aussi enfuies.

Les « quartiers de la diversité » sont devenus méfiants ou indifférents. Les « démunis », chômeurs et précaires, se sont détournés des candidats de gauche. De même les jeunes. Seul le soutien féminin est demeuré à peu près stable, mais à un niveau qui n’a rien de majoritaire.

Les sondages postélectoraux illustrent, avec des chiffres cruels, la déroute de la pensée socialiste. Le parti subit plus qu’une défaite tactique. Sa stratégie est en lambeaux. François Hollande en est réduit à mettre tous ses espoirs dans l’arrivée d’une embellie économique. Sur le plan des idées comme sur celui de l’action, c’est une politique de résignation.

Où sont passés les déçus du socialisme ?

Que sont devenus les électeurs qui ont quitté la gauche en perdition ? L’examen des sondages montre qu’ils n’ont guère rallié la droite « républicaine ».

L’UMP continue de recruter ses partisans dans le bloc puissant des catégories âgées : retraités, pensionnés ou rentiers. Si elle parait avoir remporté la victoire, c’est parce que l’abstention massive — près de la moitié du corps électoral — a laissé le champ libre aux citoyens les plus assidus, c'est-à-dire aux seniors. Leurs suffrages ont compté double.

C’est au Front national que les déçus de la gauche se sont réfugiés. Les études d’opinion nous apprennent qu’il est désormais le parti qui accueille le plus de jeunes (10 points de plus qu’à l’élection présidentielle de 2012), le plus d’ouvriers (15 points de gagnés), le plus de précaires, le plus de chômeurs, le plus de sans-diplômes.

L’extrême droite attire les marginalisés, exclus, humiliés de l’ordre socialiste. La stratégie des penseurs de la gauche n’a pas seulement échoué à former la coalition dont ils rêvaient. Elle a envoyé les citoyens qu’ils courtisaient chez leur pire adversaire. C’est un exploit qui est digne de figurer dans les annales politiques de notre pays.

 

Michel Pinton est ancien secrétaire général de l’UDF.

 

 

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