Délai de réflexion et clause de conscience : obstacles au "droit normal" à l’IVG
Article rédigé par Christophe Foltzenlogel, le 23 mars 2015 Délai de réflexion et clause de conscience : obstacles au "droit normal" à l’IVG

Le 19 mars, lors de l’étude du nouveau projet de loi sur la santé, les députés ont voté en commission la suppression du délai de réflexion avant l'IVG, malgré l’opposition du ministre de la Santé, Marisol Touraine (cf. Libertepolitique.com, 20 mars). Un rapport d’information [1] déposé à l’Assemblée nationale le 18 février par deux députés socialistes proposait, inter alia, cette suppression ainsi que celle de la clause de conscience des médecins.

Au dire des rapporteurs, Catherine Coutelle (PS, Vienne) et Catherine Quéré (PS, Charente-Maritime), ces deux propositions de suppression d’articles seraient censées améliorer la santé des femmes. Dans leurs recommandations[2], les députés affirment que ce délai est « infantilisant », qu’il fait « perdre une semaine » et qu’il fait de l’IVG « un acte médical à part », alors que c’est « un droit normal ».

L’amendement visant à supprimer la clause de conscience spécifique des médecins pour l’IVG, a pour sa part été retiré, mais la question va revenir lors de la discussion du texte le 31 mars.

1- Le délai de réflexion

À l’évidence, les parlementaires oublient que la liberté de choisir nécessite la possibilité de réfléchir, de peser le pour et le contre. L’acte impulsif et irréfléchi n’est pas libre. Il n’est donc pas infantilisant de pousser une personne à réfléchir avant d’agir, surtout si elle ne peut revenir sur son acte.

Selon les rapporteurs, le délai de réflexion obligatoire avant l’avortement en ferait un droit à part, laisserait penser « que ce n’est pas un droit normal »[3]. C’est une réflexion absurde, car il n’y a rien de plus normal en droit qu’un délai de réflexion. Le délai de réflexion ou le droit de rétractation accompagnent presque tous les droits que les Français possèdent. Pour les choses les plus simples comme l’achat de biens dans le commerce ou la signature d’un contrat, le code de la consommation prévoit que « le consommateur dispose d'un délai de quatorze jours calendaires révolus pour exercer son droit de rétractation[4] ».

Un droit courant

De même, dans le domaine médical, le patient a également droit à une information claire (article 10, 2 de la Convention européenne des droits de l’homme) et à un délai de réflexion pour tous les actes médicaux pratiqués sur lui, sauf bien évidemment en cas d’urgence vitale.

Les rapporteurs affirment « qu’aucun délai de réflexion n’est imposé pour les autres actes médicaux » avant de lister… trois exceptions : l’aide à la procréation médicalement assistée, la stérilisation à visée contraceptive et la chirurgie esthétique où le patient doit disposer d’un délai de réflexion d’au moins 15 jours[5]. Et les députés constatent même que pour toute opération chirurgicale, « les médecins doivent laisser un délai de réflexion à leurs patients afin qu’ils puissent prendre leur décision en toute connaissance de cause ».

La Cour de cassation a rappelé en 2010 que s’il n’y a effectivement pas de délai de réflexion précis pour le patient, « le chirurgien doit […] laisser un temps de réflexion au patient suffisamment long pour que ce dernier puisse mûrir la décision et recueillir, s’il le désire, d’autres avis chirurgicaux ou d’autres informations[6] ».

Le délai de réflexion ne met pas la « demande d’IVG » à part, mais devrait permettre à la femme de mûrir un choix sur lequel elle ne pourra jamais revenir. Ce délai de réflexion est d’ailleurs commun en Europe. L’Allemagne, les Pays-Bas et le Portugal imposent un tel délai. L’Italie offre une semaine de réflexion à la femme enceinte, la Belgique six jours, et l’Espagne trois jours.

Ainsi, en supprimant le délai de réflexion pour la femme enceinte souhaitant avorter, le droit français protègerait mieux le client regrettant l’achat d’un livre, qu’une femme regrettant son geste.

II- L’objection de conscience

Le rapport d’information reproche à la clause de conscience d’être « redondante », car présente à l’article L. 2212-8 du code de la santé publique alors que « l’article R. 4127-47 du code de la santé publique prévoit déjà, de façon générale, qu’“un médecin a le droit de refuser ses soins pour des raisons professionnelles ou personnelles” ». Néanmoins ces deux textes n’ont pas la même valeur. Le premier a une valeur législative, il est particulier tandis que le second n’a qu’une valeur réglementaire et qu’il est de portée générale.

La suppression de cet article L. 2212-8 ne peut nullement être justifiée par une prétendue lutte contre « l’inflation législative ». Simplement elles savent qu’une fois le texte légal abrogé pour cause de redondance, le texte réglementaire, inférieur et contraire au prétendu « droit » légal à l’avortement, pourrait être supprimé par simple décret pris en Conseil des ministres…

Un droit européen réaffirmé malgré les attaques incessantes

Cela fait plusieurs années qu’une campagne européenne a cours contre la liberté de conscience des professionnels de santé face à l’avortement. Le 10 mars 2014, cette campagne a abouti à la condamnation de l’Italie par le Comité européen des droits sociaux (cf. commentaire de l’ECLJ). En raison du grand nombre de médecins italiens objecteurs de conscience (80% dans certaines régions), le Comité a considéré que l’État ne garantissait pas convenablement l’accès à l’avortement sur l’ensemble du territoire et qu’il devait prendre des mesures pour qu’il y ait plus de médecins prêts à pratiquer des avortements[7].

De même, en 2010, un rapport de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe, initié par le député britannique McCafferty, voulait recommander aux États de restreindre le droit à l’objection de conscience. Grace à une forte mobilisation, en particulier de l’ECLJ, le droit à l’objection de conscience a finalement été renforcé en séance plénière par l’adoption d’amendements, en particulier un article 1er pose le principe suivant :

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« Nul hôpital, établissement ou personne ne peut faire l'objet de pressions, être tenu responsable ou subir des discriminations d'aucune sorte pour son refus de réaliser, d'accueillir ou d'assister un avortement, une fausse couche provoquée ou une euthanasie, ou de s'y soumettre, ni pour son refus d'accomplir toute intervention visant à provoquer la mort d'un fœtus ou d'un embryon humain, quelles qu'en soient les raisons[8]. »

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Enfin, devant la Cour européenne des droits de l’homme plusieurs requêtes ont vainement été déposées pour restreindre cette liberté de conscience. Néanmoins la Cour a toujours réaffirmé que « les États sont tenus d’organiser leur système de santé de manière à garantir que l’exercice effectif de la liberté de conscience des professionnels de la santé dans le contexte de leurs fonctions n’empêche pas les patients d’accéder aux services auxquels ils ont droit en vertu de la législation applicable[9] ».

Mises à part la Suède et la Finlande, « l’Europe des 47 » (47 pays membres du Conseil de l’Europe) reconnaît légalement ou constitutionnellement un droit à la liberté de conscience[10], ainsi que le recommande l’Organisation mondiale de la santé[11]. Pour achever d’expliciter ce consensus on pourra encore citer la Fédération internationale des gynécologues et obstétriciens (FIGO) qui affirme dans une résolution de 2006 que « les médecins ont droit au respect de leur liberté de conscience[12] ».

La crainte des générations pro-life

En réalité, derrière les propositions des députés socialistes français, se trouve une peur de voir l’avortement remis en question et la volonté de tout faire pour le rendre irrémédiable avant que la génération qui « a porté ce droit » ne quitte le pouvoir. Les rapporteurs le reconnaissent d’ailleurs, en écrivant que le « phénomène de vieillissement du corps médical est aggravé par le départ à la retraite des “générations militantes” […]. [L]a génération des médecins qui a mis en œuvre la loi Veil et qui est à l’origine de la création des centres autonomes d’IVG va prochainement partir à la retraite et la relève de ces médecins n’est pas assurée pour la pratique d’un acte considéré trop souvent comme “peu attractif”. »

« [L]e manque de personnel […], la formation insuffisante des professionnel-le-s (sic) de santé, qui conduit à des représentations empreintes d’une approche conservatrice de l’IVG, ainsi que les difficultés liées à un métier sous-estimé au statut peu valorisé » sont des motifs d’inquiétudes pour les rapporteurs.

C’est toute l’angoisse des militants de l’avortement : ils n’ont pas réussi à transmettre le goût de l’IVG à leurs enfants, et ces derniers ne se pressent pas pour faire carrière dans ce domaine médical.

De fait, le discours idéologiques des années 1970 est usé, mais la triste réalité de l’avortement demeure en revanche toujours aussi cruelle. Aussi comprend-on l’impérieuse nécessité d’ancrer l’avortement comme un droit fondamental afin que la jeune génération n’ait surtout pas l’idée de remettre en cause les règles posées par ses parents…

 

Christophe Foltzenlogel est juriste à l’European Center for Law and Justice (Strasbourg).

 

 

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[1] Rapport complet accessible à l’adresse suivante : http://www.assemblee-nationale.fr//14/rap-info/i2592.asp#P567_124273

[2] Id., p. 75

[3] Id., p. 106

[4] Article 121-29 du Code de la consommation.

[5] « En application de l'article L. 6322-2, un délai minimum de quinze jours doit être respecté après la remise du devis détaillé, daté et signé par le ou les praticiens mentionnés aux 1e, 2e et 4e de l'article D. 6322-43 devant effectuer l'intervention de chirurgie esthétique. » Article D 6322-30 Modifié par Décret n. 2005-1366 du 2 novembre 2005 - art. 1, JORF 4 novembre 2005.

[6] Cour de cassation, 1e Chambre civile, 11 mars 2010, n. 09-11270.

[7] Comité européen des droits sociaux, Fédération Internationale pour le planning familial – Réseau européen (IPPF EN) contre Italie, réclamation n° 87/2012, décision adoptée le 10 septembre 2013, publiée le 10 mars 2014.

[8] APCE, Le droit à l’objection de conscience dans le cadre des soins médicaux légaux, Résolution 1763, 7 octobre 2010.

[9] CEDH, P. et S. contre Pologne, n° 57375/08, 30 octobre 2012, §106. Principe déjà affirmé dans l’arrêt R. et R. contre Pologne, n° 27617/04, 26 mai 2011, §206.

[10] ECLJ, Memorandum on the Pace Report, Doc. 12347, 20 July 2010 “Women’s access to lawful medical care : the problem of unregulated use of conscientious objection”, Strasbourg, 17 septembre 2010, accessible à l’adresse suivante :

http://www.eclj.org/pdf/ECLJ_MEMO_COUNCIL_OF_EUROPE_CONSCIENTIOUS_OBJECTION_McCafferty_EN_Puppinck.pdf

[11] Organisation mondiale de la santé – World Health Organization: Safe Abortion: Technical and Policy Guidance for Health Systems, Geneva, 2003, p. 66. Document accessible à : http://whqlibdoc.who.int/publications/2003/9241590343.pdf

[12] FIGO, Resolution on ‘Conscientious Objection’, Kuala Lumpur, 2006.

 

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