Article rédigé par Michel Pinton, le 12 mars 2015
Faute d’avoir reçu et adopté une culture fondée sur la relation entre raison et foi, de nombreux immigrés cherchent un salut existentiel dans le fondamentalisme et le refus de la France. Le relativisme du modèle multiculturel ne fait qu’aggraver la situation.
EN FRANCE, l’immigration a deux faces : d’un côté, des descendants d’étrangers venus de tous les pays du monde participent activement à notre vie sociale. On les trouve jusque dans les premiers rangs de nos écrivains, hauts fonctionnaires et chefs d’entreprise. De l’autre, des habitants de « quartiers sensibles », dont les parents sont venus le plus souvent du Maghreb et du Sahel, qui se plaignent d’être « écartés » et demeurent dans la marginalité.
Les premiers sont assimilés. Les seconds en sont loin et ils le montrent : ils ont sifflé la Marseillaise au Stade de France en 2001, brûlé des écoles pendant les émeutes de 2005, chassé les représentants de l’ordre à coups de pierres à multiples reprises et, ces derniers mois, trouvé beaucoup d’excuses à des assassins de citoyens français, au motif que ces derniers étaient juifs ou caricaturistes.
Pourquoi leur rejet de notre nation ? Notre système scolaire est-il en cause ? Doit-on plutôt incriminer, comme le Premier ministre, une sorte d’apartheid dans l’habitat et l’emploi ? À moins que le ferment de leur haine soit à chercher dans certaines interprétations de l’islam ?
Fausses solutions
Faute d’y voir clair, notre gouvernement a décidé de s’attaquer à toutes les causes possibles en même temps. Il réorganise le culte musulman, rend obligatoire l’enseignement de la laïcité, durcit les lois contre les discriminations, renforce le soutien scolaire dans les établissements difficiles, octroie de nouveaux crédits pour l’aménagement des banlieues, etc. Bref, il amplifie une politique qui a été suivie depuis plus de deux décennies sans donner de résultats convaincants, en espérant que, cette fois, elle réussira.
Elle ne réussira pas. C’est du moins ma conviction. Selon moi, elle revient à multiplier les bandages sur une plaie qui suppure, mais sans soigner le mal lui-même. Nos ministres se préoccupent des symptômes d’un abcès, mais ils n’osent pas le traiter. Il y a peu de chances qu’il guérisse spontanément.
Les cultures ne se valent pas
C’est que le mal est de nature culturelle. Ses manifestations sociales, religieuses et politiques ne sont que des conséquences.
Qu’est-ce qu’une culture ? Je reprends la définition profonde qu’en donnait le pape Jean-Paul II : elle est le patrimoine des valeurs qui sont transmises à une communauté humaine donnée — la nation le plus souvent — par les générations qui l’ont précédée. Les expériences que fait cette communauté mettent les valeurs reçues à l’épreuve. Elles doivent être rajeunies et purifiées avant d’être transmises, à leur tour, à la génération qui suit. C’est ainsi que, de siècle en siècle, une culture se renforce et se rapproche de la vérité.
Le cœur de toute culture est le rapport qu’elle établit entre la raison et la foi, parce que c’est ce rapport qui détermine la façon dont elle appréhende la dignité humaine. Les cultures ne sont pas toutes au même niveau de qualité. Certaines ont une idée de la dignité humaine plus haute que d’autres et cela se manifeste dans leurs mœurs et dans leurs lois.
Le cas de la France
Appliquons ces considérations générales à la particularité de la France. Notre culture ne se limite pas à un trésor plus que millénaire de chefs-d’œuvre littéraires et artistiques. Son cœur, toujours vivant, est une certaine idée des relations entre raison et foi.
Cette idée nous est propre et c’est elle qui détermine la conception française de l’État ainsi que la place de la religion dans notre vie sociale. Elle est consubstantielle à la France. Elles sont nées ensemble à l’époque de Clovis. Nos lointains ancêtres en avaient, il est vrai, un entendement fruste. Les générations de Français qui se sont succédé jusqu’à nous, ont peu à peu purifié cette idée.
Leur tâche n’a pas été aisée. Elles ont procédé par tâtonnements pénibles, remises en cause déchirantes, voire guerres civiles Mais le principe qui définit chez nous le rapport entre raison et foi n’a pas bougé depuis l’origine et notre génération a la responsabilité de le transmettre, si possible un peu plus pur, à celle qui va nous suivre.
Laïcité chrétienne
Comment le définir ? Son caractère saillant, c’est de considérer que foi et raison sont des puissances autonomes et de distinguer rigoureusement leurs domaines propres. La culture américaine, par exemple, est moins stricte. Elle se satisfait d’une frontière floue et accepte des connivences qui nous paraîtraient intolérables. En Algérie, la distinction des deux domaines est encore moins nette. En Arabie saoudite, elle disparaît complètement.
Nous avons donné à l’équilibre français entre foi et raison le nom de laïcité. Ce n’est pas un hasard si ce mot est intraduisible en anglais, en arabe et dans la plupart des autres langues : notre laïcité n’est pas transposable dans n’importe quelle culture. Elle est, dans son principe, une exigence très forte. En pratique, elle dégénère souvent en abus de la raison contre la foi ou, plus rarement, en empiètements de la foi sur le domaine de la raison. Dans un cas comme dans l’autre, la dignité humaine est rabaissée. Il est arrivé que notre nation en fasse la pénible expérience.
Devenir français
Revenons à l’immigration. Contrairement à une idée reçue, il n’est pas si facile de devenir Français. On devient Américain plus aisément. Notre culture est, je le répète, particulièrement exigeante. Notre pays a pu assimiler, sans trop de difficultés, des vagues de Polonais, Espagnols et Portugais parce que leurs cultures n’étaient pas éloignées de la nôtre. Ils ont vite monté la marche qui les conduisait à une bonne compréhension de notre laïcité. Mais l’ascension est beaucoup plus laborieuse pour les étrangers venus de très loin.
Considérons les immigrés qui nous arrivent en masse du Maghreb et du Sahel. Ils sont pour la plupart totalement ignorants de notre culture. Ils apportent la leur avec leurs familles. Le choc entre les valeurs conservées au sein du foyer et celles pratiquées à l’extérieur peut être rude. Il devient brutal dès que ces familles envoient leurs enfants à l’école de la République. Comme, dans leur pays d’origine, religion et vie sociale sont étroitement liées, elles s’offusquent du refus que nos collèges et lycées opposent à toute référence de foi. Elles croient y voir un rejet de leurs croyances.
De façon moins visible mais plus pernicieuse encore, les cultures importées par ces mêmes familles ignorent tout de l’autonomie de la raison. Les parents sont incapables d’apporter la moindre contribution à l’éducation rationnelle que nos enseignants prodiguent à leurs enfants. D’où cette impression de démission des familles dont se plaignent les pédagogues.
Choc des cultures
Les conséquences de ce choc de cultures sont graves. Elles se manifestent en échecs scolaires, formations inachevées, voire illettrisme irrémédiable. Ces trois fléaux ravagent les quartiers où habitent les familles venues du Sahel et du Maghreb. L’insuccès des jeunes se tourne en rancœur contre l’école. Ce n’est pas un hasard si les émeutiers de 2005 ont brûlé leurs établissements d’enseignement.
À mesure que les adolescents deviennent adultes, leur absence de qualification les marginalise. Ils sont massivement condamnés au chômage, dont ils ne sortent qu’en acceptant des emplois précaires ou illicites. Mais il ne faut s’arrêter à ce symptôme social de leur mal-être. La source de toutes leurs difficultés est le gouffre culturel dans lequel ils sont tombés. Leur identité malienne ou algérienne s’effiloche et ils ne parviennent pas à accéder à une identité française. Faute d’avoir assimilé ce que sont, chez nous, les relations entre religion et foi, ils cherchent un salut existentiel dans un écrasement de la raison par une foi totalitaire : le fondamentalisme musulman offre à leur désespoir ses séductions dangereuses.
Le vide du modèle « multiculturel »
Notre classe dirigeante sent vaguement que le malaise des banlieues a un aspect culturel. Comme elle est toute imprégnée d’une conception relativiste des valeurs, elle s’imagine que la solution est simple : elle s’appelle « société multiculturelle ».
On cite en modèle les États-Unis et leur apparente réussite d’intégration des immigrés. Les institutions européennes poussent la France dans la même direction. Une directive bruxelloise proclame qu’il faut, chez nous comme ailleurs, « une volonté politique ferme et un engagement clair à promouvoir des sociétés pluralistes ».
Mais qu’est-ce qu’une société pluraliste ou multiculturelle ? Si les mots ont un sens, c’est une société dans laquelle plusieurs cultures coexistent, avec leurs idées propres du rapport entre la raison et la foi et, par voie de conséquence, des appréciations divergentes de ce qui fait la dignité de l’homme.
Dans la vie sociale, le multiculturalisme conduit nécessairement au communautarisme, c’est-à-dire à des regroupements autour de valeurs différentes. Dans chaque communauté, on cultive un patrimoine particulier et on le protège par des lois civiles autonomes. Le Liban en est un exemple. Les États-Unis ne le sont que partiellement, les lois civiles étant uniformes. Le Canada aussi. Il reste qu’aucune société multiculturelle n’est un exemple de fraternité citoyenne. Les communautés tendent à se fermer sur elles-mêmes, devenir inégales, voire hostiles les unes aux autres. Les Noirs américains l’éprouvent dans leur vie tous les jours.
Communautarisme officiel
Nul ne peut dire ce que serait un multiculturalisme à la française. Nos dirigeants en sont donc réduits à avancer à petits pas, par mesures prudentes et empiriques, vers un but encore nébuleux. Mais ils avancent. Ils nous habituent peu à peu à voir les relations entre Français passer par des filtres communautaires.
Limitons-nous aux actions récentes de François Hollande. En présidant un dîner du Crif, et en y prononçant un discours qui oppose les Juifs aux « Français de souche », il apporte la caution de l’État à une vision communautariste de notre société ; lorsqu’il apaise officiellement une brouille entre MM. Cukierman et Boubakeur, il n’est plus le Président de tous les Français mais le conciliateur de deux communautés ; en proclamant sa volonté de durcir les sanctions contre les propos racistes, antisémites et homophobes, il annonce que la loi protègera particulièrement et en tant que telles, les communautés musulmane, juive et homosexuelle.
Nous sommes un peu moins des citoyens égaux en droit et un peu plus des membres de communautés culturelles entre lesquelles l’État s’efforce non plus d’établir une justice impartiale mais des compromis en vue d’un « vivre ensemble » fragile. Et il y a plus grave que ces anecdotes : en imposant le « mariage pour tous », François Hollande a-t-il fait autre chose qu’accorder une reconnaissance officielle à une communauté gay et à ses valeurs propres ?
Résistances
Le lent glissement de la société française vers le communautarisme est une rupture profonde avec notre culture et, pour commencer, avec sa laïcité. Mais notre peuple est trop attaché à son histoire et à sa manière de vivre pour ne pas résister.
L’Éducation nationale en donne l’exemple le plus frappant. Ni les enseignants ni l’opinion publique dans sa majorité, n’acceptent qu’elle soit détournée de sa mission exclusive : l’émancipation de la jeunesse par la raison, rien de plus ni de moins. Du coup, nos dirigeants ont été contraints de lui donner des garanties qui contrarient leur marche vers le multiculturalisme. Jospin s’est vu obligé de défendre l’école contre le communautarisme musulman ; Chirac l’a suivi en légalisant certaines propositions du rapport Stasi ; Hollande s’y plie à son tour, à sa manière confuse et louvoyante : en même temps qu’il promeut le communautarisme par des paroles et des actes dont je viens de citer quelques exemples, il impose bruyamment une « charte de la laïcité à l’école » et en fait une matière d’enseignement.
Il faut sortir des équivoques. Je suis convaincu que l’objectif d’une France multiculturelle est une chimère. Parions sur notre culture au lieu de nous perdre dans une illusion. Qu’il nous faille l’épurer, c’est certain. Nous ne ferons que prendre notre part dans un effort plus que millénaire. Mais n’ayons pas l’arrogance de penser que nous sommes capables de la dépasser. Nous mènerions notre pays vers des malheurs dont l’actualité récente nous donne une pâle préfiguration.
Que faire ?
Alors que faire des étrangers qui ont tant de mal à assimiler notre culture ? D’abord, il est impératif de ne plus laisser leur masse gonfler inconsidérément. Pour leur bien autant que pour le nôtre, l’État a le devoir de prendre les mesures strictes et efficaces qui limiteront la venue de familles vouées à l’exploitation, la marginalisation et la révolte. Il n’est besoin pour cela que de gouvernants énergiques.
Ensuite ceux qui sont installés chez nous, s’ils ont le droit d’être accueillis dans le respect des valeurs éthiques universelles, ont le devoir d’observer celles qui sont propres à notre culture. Nous n’avons pas à transiger sur ce point.
Enfin, il serait sage que nos gouvernants mettent un terme clair et définitif à toute équivoque communautariste. Ils y perdront peut-être quelques avantages démagogiques de court terme ; mais ils ne répandront plus des germes redoutables de discorde sociale et politique.
Rien ne permet malheureusement d’espérer une application prochaine de ces trois principes.
Michel Pinton
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