Article rédigé par Roland Hureaux, le 09 mars 2015
Manuel Valls n'a pas mâché ses mots à la suite de l'affaire Charlie en dénonçant le 24 février dernier l'« apartheid territorial, social, ethnique » à l’œuvre dans les quartiers populaires, en fustigeant « la relégation périurbaine, les ghettos », généralement musulmans. Le train de mesures annoncé le 6 mars pour y mettre fin se réduit à une opération de communication de plus sur "l'égalité et la citoyenneté".
Ghettos ? Rien que ça. Il faudrait y regarder de plus près avant d'appliquer un tel qualificatif aux banlieues françaises.
À Berlin, oui, il y a un ghetto turc : des quartiers turcs sans Allemands et des quartiers allemands sans Turcs. À Londres aussi, jusqu'à un certain point. Mais à Paris ? Dieu merci une certaine mixité demeure. Jusqu'à quand ?
L’insécurité
Si ghetto immigré il y a en France, n'en déplaise à M. Valls qui préfère culpabiliser les Français que chercher les vraies responsabilités, c'est essentiellement en raison de la délinquance et de l'insécurité qui règnent dans ces quartiers où les immigrés sont nombreux, spécialement pour ceux qu'il faut bien appeler les indigènes, c'est-à-dire les Français de souche.
Tous ceux qui en ont les moyens s'évertuent désormais à quitter ces quartiers, ce qui rend d'autant plus dramatique la situation de ceux qui ne le peuvent pas, en particulier les Français sans ressources, notamment les personnes âgées. Mais l'insécurité est également pénible pour la grande majorité des habitants issus de l'immigration qui souhaiteraient eux aussi y vivre tranquillement. Le premier moyen de réduire les ghettos est donc que les forces de police reconquièrent les « territoires perdus de la République ».
Mais si la sécurité représente 80 % du problème de la ségrégation, de nombreuses logiques administratives, parties des meilleures intentions, génèrent aussi un sentiment de ségrégation.
La chasse aux classes moyennes
C'est le cas de la loi Boutin du 25 mars 2009 réformant le logement social. Cette loi tend à pousser hors du parc social tous ceux qui se trouvent au-dessus du plafond de ressources. On sait que les plafonds de ressources sont limitatifs à l'entrée, mais qu'une fois la famille logée en HLM, elle peut y rester même si ses ressources augmentent dans le courant de sa vie, ce qui est cas le plus général. Une grande partie des locataires, les plus anciens, généralement nationaux, se trouve donc au-dessus du plafond de ressources.
La rationalité administrative à l'état brut impose que les subventions de l'État dont bénéficient les sociétés HLM ne profitent qu'à « ceux qui en ont vraiment besoin » et que donc que l'on chasse par différents moyens (surloyers, etc.) ceux qui ont atteint ou dépassé le plafond. Il est aisé de comprendre que cette politique, poussée depuis des années par l'Inspection des finances, en éliminant les classes moyennes du parc social, tend elle aussi à renforcer la ségrégation, ce qui est fort dommage.
La perversité des zonages administratifs
Avec les meilleures intentions du monde ont été délimitées en 1981 des ZEP (zones d'éducation prioritaire), devenues ECLAIR, majoritairement peuplées d'immigrés et où les écoles reçoivent pour cela des moyens supplémentaires. L'existence de ce zonage a, qu'on le veuille ou non, un effet psychologique disqualifiant sur les élèves du quartier et même sur leurs parents. Les jeunes qui y habitent n'étant pas plus bêtes que les autres savent qu'ils se trouvent dans une ZEP ; ils ont ainsi le sentiment d'une ségrégation, même si elle apporte à leur école des avantages. D'ailleurs est-ce bien d'une pédagogie de luxe que les élèves en cause ont besoin, n'est-ce pas plutôt d'une discipline plus rigoureuse ?
Le zonage urbain dépasse largement la question scolaire. En matière de police, ont été ainsi délimitées 49 zones de sécurité prioritaire.
En matière de « politique de la ville », il y avait jusqu'à une date récente 751 zones urbaines sensibles (ZUS), parmi lesquelles 416 zones de redynamisation urbaine (ZRU), comprenant elles-mêmes 100 zones franches urbaines (ZFU), sans compter 2.493 quartiers ciblés par les 497 contrats urbains de cohésion sociale. Rien que ça !
Une réforme récente a tenté de simplifier ces zonages : en lieu et place des différents périmètres que nous venons d'évoquer, sont identifiés 1.300 quartiers sensibles. Mais le principe d'un zonage subsiste.
Ces zonages s'ajoutent à d'autres, plus anciens, qui ont eu, eux aussi, des effets pervers moins connus. Ainsi les plans d'urbanisme qui tendent depuis longtemps à séparer les zones d'activité des zones d'habitation et, parmi celles-ci, en fonction du COS, les zones pavillonnaires et les zones d'habitat collectif.
Une psychologie désastreuse
Zoner, ça fait rigoureux, ça fait technocratique. Mais le résultat est, qu'on le veuille ou non, toujours psychologiquement désastreux.
Comment un jeune qui sait qu'il se trouve dans une ZEP, une ZSP, une ZUS, une ZRU et une ZFU ne se sentirait-il pas quelque part victime d'une sorte d'apartheid, au moins psychologique ?
Il serait tellement plus subtil de mettre fin une fois pour toutes à tous ces zonages, tout en demandant aux différentes administrations concernées de garder une différenciation des moyens et des actions selon les quartiers mais de manière pragmatique, non systématique et surtout non écrite.
Combien de problèmes sociaux naissent ou sont aggravés par un excès de rationalité administrative ?
Roland Hureaux est essayiste et élu local. A publié notamment La Grande Démolition – La France cassée par les réformes, Buchet-Chastel, 2012.
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