Article rédigé par Xavier Lemoine, le 20 février 2015
Le maire de Montfermeil (Seine-St-Denis) possède une réelle connaissance de l’islam tel qu’il est vécu sur sa commune, où les musulmans sont nombreux. Il dénonce le piège du slogan « pas d’amalgame », chiffon rouge agité par les médias et les responsables publics pour cacher les vrais enjeux soulevés par les attentats commis en France au nom de l’islam.
LIBERTE POLITIQUE. — Après les attentats commis en France au début du mois de janvier, les médias et les hommes politiques ont insisté sur la nécessité de ne pas faire d’amalgame entre le terrorisme islamiste et l’islam. Dans quelle mesure l'emploi de cette expression vous a-t-elle gêné, en tant que maire d’une commune où la communauté musulmane est fortement représentée ?
XAVIER LEMOINE. — Cette expression n'est pas acceptable, car elle porte en elle plusieurs mensonges qui interdisent la juste compréhension des faits et des enjeux.
C’est un mensonge de faire croire que les terroristes se réclament « à tort » de l'islam. Les terroristes disposent, et dans le Coran et dans la Sunna, de toutes les justifications à leurs actes.
C’est aussi un mensonge par omission de ne pas vouloir interpeller l'islam, je parle de l'islam comme système politico-religieux, dans son rapport à la violence et dans la manière dont il conçoit l’altérité.
Devant ce déni et cet empêchement de discerner et de hiérarchiser les questions, c'est bien un amalgame que l'on pratique et qui génère une défiance généralisée à l'encontre de l’ensemble des musulmans, ce qui renforce les réflexes communautaires.
Ces phénomènes, une fois enclenchés, se renforcent l'un l'autre et sont à terme porteur de graves désordres.
Au-delà du « pas d’amalgame », on a entendu des responsables publics qualifier les musulmans de « premières victimes des attentats ». La concurrence victimaire, que l’on a pu connaître à travers les questions de mémoire, n’est-elle pas en train de prendre un tour inquiétant pour la paix civile ?
Il eut été possible de soutenir que certains musulmans étaient aussi des victimes, dès lors qu'ayant pu interpeller l'islam dans son rapport à la violence et à l'altérité nous aurions pu reconnaître que des femmes et des hommes de confession musulmane, de par leurs propres réflexions et par des actes concrètement posés, indiquaient très clairement leur réprobation à l'encontre et des actes criminels et de leur justification.
Non seulement le slogan « pas d’amalgame » a stérilisé toute réflexion, mais l’emploi du mot « apartheid » a voulu, en culpabilisant la France, laisser entendre que nous avions nous-mêmes suscité ces actes terroristes par nos comportements. Ainsi, il n’y avait pas lieu d’examiner leurs justifications, les terroristes relevant de notre propre responsabilité devenaient alors victimes. Par ricochet, la communauté musulmane devenait elle aussi victime de ce que nous pouvions penser d’elle au travers du jugement posé sur ces actes terroristes. Superbe subversion mettant à mal en effet la paix civile.
Comment en sommes-nous arrivés là ?
Une abondante littérature de qualité existe qui inventorie l’ensemble des renoncements et des lâchetés dont la France est coupable et qui nous vaut de connaître une situation si instable et aux capacités destructrices inouïes. Je ne vois pas, à vue humaine, que nous puissions en retarder beaucoup plus longtemps les conséquences dramatiques, et quand bien même nous seraient épargnés ces funestes effets, la question est surtout : comment remettre l'ensemble de notre société d'aplomb, en harmonie avec sa vocation ?
Si j'invoque directement la vocation de la France, c'est pour trancher le nœud gordien de ces interminables et stériles discussions sur ce qui serait à condamner ou pas, à faire ou pas… Je me souviens personnellement de cette vigoureuse exhortation du pape Jean-Paul II au Bourget, en 1980. Elle est toujours d’une brûlante et urgente actualité. Chacun d’entre nous se mettant dans son devoir d’État, au service de la vocation de la France, c’est alors une multiplicité, une diversité incroyable et infinie d’initiatives qui toutes répondront aux malheurs du temps présent et aux aspirations les plus hautes du monde entier.
Autre expression souvent entendue : la France est « en guerre contre l’islamisme ». Est-on en guerre et, si oui, de quelle nature est-elle ?
D'abord mettons-nous d'accord sur le concept d’islamisme. S’agit-il d’une réalité spécifique circonscrite dans un temps et dans un lieu, sans rapport réel avec l'islam ? C'est en tout cas l'explication servie par les grands médias. Ce peut être une commodité de langage, mais aussi un leurre dangereux.
En effet, il est faux d’exonérer l'islamisme de tout lien avec l'islam, qualifié de modéré pour mieux indiquer la différence. Il n’y a aucune différence de nature, car les deux se justifient auprès des mêmes textes prescriptifs de droit (Coran et Sunna). Il n’y a qu’une différence de degré selon la lecture qui est faite de ces mêmes textes, lectures qui, là encore, peuvent varier soit en raison des circonstances (situation de minorité ou de majorité, rapports de force successifs…) ou en fonction de choix personnels, arrêtés en toute liberté et maintenus comme tels par une volonté constante en dépit des pressions qui peuvent survenir. C’est donc bien un phénomène d'ensemble qu'il faut prendre en compte, même si seul l’islamisme semble appeler des moyens contraignants pour le contrecarrer.
Pour répondre à la question de la nature du conflit, il est multisites et multiforme et à ce jour encore, de basse intensité au regard de ses potentiels considérables de développement, pour peu qu’en simplifiant à l’extrême la situation internationale et nationale l’on sous-estime ses multiples ramifications et leurs effets d’engrenage.
La France doit-elle revoir également sa politique étrangère, et notamment se rapprocher de la Russie dans sa lutte contre l’islamisme ?
Il serait intéressant sur ces trente dernières années de relever les inflexions de notre politique étrangère, inflexions davantage motivées par des considérations internes dues à l’influence, voire à la pression, de populations étrangères et d’origine étrangère sur le sol national. À cela, il conviendrait de considérer la manière dont nous nous sommes de plus en plus conformés aux injonctions de l’Union européenne, de l’OTAN et des États-Unis, faisant perdre de la force à cette voix singulière qui était celle de la France. L’abandon de notre pacte multiséculaire de protection des chrétiens d’Orient, notre alignement inconsidéré sur les positions des États-Unis à l’encontre de la Russie, notre complicité active ou passive avec certaines « révolutions de couleur », parfaites entreprise de déstabilisation, notre scandaleuse virée en Libye, notre ambiguïté vis-à-vis de la Syrie en sont quelques exemples.
À propos de la Russie, qui possède une réelle expérience de l’islam sur ces terres, une des grandes œuvres de saint Jean-Paul II, pape politique par excellence, a été d’ouvrir la réconciliation entre le catholicisme et l’orthodoxie en espérant voir un jour l’Europe respirer de ses deux poumons. Saurons-nous déjouer les pièges mortels de ceux qui combattent cette perspective ?
Propos recueillis par Laurent Ottavi.
Photo : TVLibertés/YouTube
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