Article rédigé par Philippe de Saint-Germain, le 14 février 2015
La droite la plus bête du monde a encore frappé. L’élection partielle de la 4e circonscription du Doubs a vu la victoire au deuxième tour du candidat socialiste contre le candidat du Front national. L’homme de l’UMP, un protégé d’Alain Juppé, a été éliminé piteusement après avoir déclaré qu’il voterait socialiste au second tour. Les électeurs ont préféré l’original à la copie.
L’AFFAIRE EST REVELATRICE d’un mal profond qui affecte la vie politique française, bien au-delà de la dérive intellectuelle et morale qui traverse toute la société. Ce mal profond, c’est l’esprit de parti.
Par définition, un parti est une division, et le système des partis, une mécanique de division dans un seul but : la croissance matérielle du parti aux dépens de tous les autres. Dans une société relativiste, le système des partis déploie toute sa nocivité : l’expression normale d’une pluralité dans la recherche des moyens visant le bien commun n’existe plus, puisque le bien commun n’existe plus. Seul demeure le bien du parti, confondu avec celui du pays.
C’est ainsi que les partis sont devenus totalitaires (Simone Weil). Ils ne sont plus que des écuries attrape-tout aux idées confuses, leur identité est purement commerciale et le FN lui-même ne fait plus exception. La bataille politique se réduit à la guerre des places et aux rapports de forces. La logique du parti est implacable : moi ou le chaos. Son résultat, systématique : moi et le chaos.
Comment résister à cette machine infernale ? On pourra toujours proposer des recettes magiques antisystème, mais tant qu’on ne s’attaquera pas à l’esprit de parti tel qu’il est ancré en chacun de nous, on entretiendra la structure du mal, véritable structure de péché. Ce mal est désormais culturel et moral, pour ne pas dire spirituel.
Jamais le diagnostic de Simone Weil n’a été aussi vrai : les partis sont devenus « des organismes publiquement, officiellement constitués de manière à tuer dans les âmes le sens de la vérité et de la justice ». Car dans un parti, il n’y a pas de vérité universelle, il n’y a que sa vérité.
L’esprit de parti est d’abord en nous quand on soumet le bien commun à ses ambitions personnelles. Certes, toute ambition est légitime, mais croire que l’efficacité politique dépend d’abord de la conquête du pouvoir est une erreur. Pour le citoyen, c’est une manière de se défausser ; pour le militant, c’est confondre le bien politique avec l’élimination de l’adversaire. Le pouvoir reçu est un service, le pouvoir voulu exacerbe les passions collectives qui desservent le bien commun et dispersent les énergies.
C’est dans cette perspective que bien souvent, on croit que tous les coups sont permis puisqu’il s’agit de « prendre le pouvoir » pour « faire le bien ». Le pape François a clairement identifié la dérive quand on privilégie « les espaces de pouvoir plutôt que le temps des processus » (Evangelii gaudium, 222).
Renoncer au service patient du bien commun dans le long terme pour faire grandir la société, à travers des projets humbles et subsidiaires « sans être obsédé par les résultats immédiats » est difficile, mais c’est la voie royale. Au contraire, explique le pape, « donner la priorité à l’espace rend fou, en voulant tout résoudre dans le moment présent, et tenter de prendre possession de tous les espaces de pouvoir et d’auto-affirmation » (ibid.).
Et quand il ne s’agit pas de conquérir une place, on s’oppose méchamment sur des détails. Ce que déplorait déjà le futur Pie XII dans sa prière pour la France : « Des frères, trop souvent oublieux des grands principes et des grands intérêts communs qui les devraient unir, s’attachent jusqu’à l’intransigeance aux opinions secondaires qui les divisent [1]. »
L’autre manifestation de l’esprit de parti est la sacralisation des partis eux-mêmes dans le jugement politique des citoyens. Témoin cette apostrophe entendue lors d’une réunion publique : « Telle année, vous étiez dans tel parti, donc vous êtes un fourbe. » Considérer les partis comme le sanctuaire déterminant de la conscience et du jugement des dirigeants politiques est une injure à la liberté humaine.
Si les partis ne sont plus que des machines électorales, ce ne sont justement que des instruments, quels que soient leurs défauts. Quand bien même la grande majorité des élus politiques sont de pures ambitions, et les partis des machines à broyer les personnalités, la liberté de l’homme est toujours possible. Il y a des hommes de bien partout. Anathémiser systématiquement les élus pour leur appartenance à tel ou tel parti, revient à pratiquer l’esprit de parti contre les partis. Il se trouve des hommes de bien partout, y compris dans les partis (même si tous les partis ne se ressemblent pas…).
Quelques semaines avant les élections cantonales, souvenons-nous qu’on ne choisit pas des partis, on choisit des hommes. Et parmi eux, on choisira — sans esprit de parti — des hommes et des femmes libres qui sauront faire du bien, avec notre aide,… malgré leur parti.
Ph. de St-G.
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[1] Citée par le Fr. François Daguet op, dans sa méditation de la Neuvaine pour la France