Le pape François et l’islam : l'enjeu, c'est la paix
Article rédigé par Henri Hude, le 03 février 2015 Le pape François et l’islam : l'enjeu, c'est la paix

Quel doit être aujourd’hui notre rapport à l’islam ? C’est une des questions qui importent le plus au bien commun. Voici quelques remarques sur la façon dont le pape François touche la question et sur la façon dont sa réponse est reçue.

Certains demandent pourquoi le pape ne dénonce pas chaque jour à plus haute voix les cruelles persécutions que des groupes islamistes font subir aux chrétiens et à d’autres minorités, au Proche-Orient et en Afrique. La réponse est d’abord que le pape est déjà allé loin en justifiant en août, à son retour de Corée, l’idée d’une intervention internationale.

Mais enfin, François est tenu à une certaine réserve. Il se trouve dans une situation analogue à celle de Pie XII durant la Seconde Guerre mondiale. Il parle avec grande prudence, n’agit pas en partisan, et stimule énormément ses subordonnés sur le terrain pour qu’ils diminuent les souffrances des persécutés. Tout bien considéré, c’est là ce qui est juste et raisonnable.

Chacun se souvient des réactions disproportionnées au discours pourtant si rationnel et apaisé de Benoît XVI à Ratisbonne. Chacun vient d’être témoin de l’hypersensibilité de toute une partie du monde musulman à quelques stupides caricatures. Que ne dirait-on donc pas, si à la suite d’un discours trop énergique de François, des centaines de chrétiens étaient lynchés en terre d’islam ?

L’analogie des deux situations me paraît frappante. Aussi je renvoie aux citations choisies du livre de Pierre Blet sj, Pie XII et la Seconde Guerre mondiale, Perrin, 1997, 2005 (un concentré de ses études monumentales [1]).  

Une interprétation réaliste de la doctrine de la guerre juste

François n’est pas un utopiste pacifiste. 

Du point de vue de la doctrine sur la guerre, son enseignement marque même une inflexion par rapport au pacifisme plus marqué de ses prédécesseurs, un certain retour à une application plus « réaliste » de la doctrine classique de la guerre juste. Au cours de sa conférence de presse dans l’avion de retour d’Asie (curseur : 7min, 6s), il n’hésite pas à dire que l’agression injuste doit être « arrêtée », sans entrer dans la détermination des moyens.

Tout en démarquant la théorie de la guerre juste de l’impérialisme qui peut en abuser, il légitime le recours à la force armée contre le terrorisme islamiste. Il ajoute que c’est aussi un droit pour l’agresseur que de se voir opposer une résistance, sans laquelle il deviendrait toujours plus mauvais. 

Irénisme ?

Indépendamment de sa prudence, compréhensible et justifiable, François est accusé parfois d’irénisme. Le beau prénom Irène vient du mot grec signifiant « la paix ». L’irénisme est un amour exagéré de la paix, valorisée au détriment de ce qui est dû par ailleurs à la vérité ou à la justice.

François pècherait-il par irénisme ?

Il déclare, lors de sa conférence de presse au retour de Turquie, le 30 novembre 2014 : « Sur l’islamophobie : il est vrai que devant ces actes, commis pas seulement dans cette zone [au Proche Orient] mais aussi en Afrique, il y a une réaction d'aversion : si c'est cela l'islam ! Et tant de musulmans sont offensés, tant, tant de musulmans. Ils disent : “Non, nous ne sommes pas ces gens-là. Le Coran est un livre de paix, c’est un livre prophétique de paix. Ça, ce n’est pas l’islam”. » 

Ces paroles s’inscrivent dans la continuité de sa Lettre apostolique La joie de l'Évangile, dont les n. 250-254 sont consacrés au dialogue interreligieux. Le n. 254 en particulier se termine par cette phrase : « Face au fondamentalisme violent qui nous inquiète, l’affection envers les vrais croyants de l’islam doit nous porter à éviter d’odieuses généralisations, parce que le véritable islam et une adéquate interprétation du Coran s’opposent à toute violence. » Cette phrase vient sans doute juste après une revendication de la pleine liberté religieuse et de l’égalité des droits civils pour les chrétiens en pays musulmans, mais cela ne change pas son contenu.   

À qui parle le pape ?

Le pape parle aux musulmans et aux chrétiens qui parlent avec eux. Pourquoi l’affirmons-nous ?

Parce que le pape s’exprime en fonction de l’annonce du Christ de bouche à oreille. Bien sûr, l’annonce du Fils de Dieu fait Homme sonne rudement aux oreilles d’un musulman. Elle est interdite et punie en pays strictement soumis à la loi musulmane. « L’association est pire que le meurtre », dit en effet le Coran (S.2, 191). Et l’« association », c’est ici la foi en la Trinité.  

Toutefois, le pape est parfaitement informé. Tout comme Jean-Paul II savait que Gorbatchev voulait réellement débloquer le communisme et que la pérestroïka n’était pas une ruse, de même François sait que l’islam est dans une période de transition intellectuelle et politique terrible. Dans cette maturation interne du monde musulman sont en jeu des éléments fondamentaux.

Le monde musulman subit à la fois une islamisation accélérée et une sécularisation accélérée. Peut-être même que l’islamisme idéologique est une forme de sa sécularisation. Il ne se rallie pas à l’Occident postmoderne, qui lui-même cherche à s’inventer un autre avenir, cependant que ses oligarchies fuient en avant à toute allure dans leur impasse. Le monde musulman aussi cherche sa voie. Les djihadistes sont paradoxalement utiles, en ce qu’ils sont une sorte de démonstration par l’absurde de l’impossibilité d’une certaine solution.  

L’expérience historique nous démontre que le peuple égyptien est descendu en masses colossales dans les rues (peut-être plus de dix millions), en juin 2013, pour chasser le président Morsi, ce qu’a fini par faire l’armée. Les Égyptiens ont fait cela en dépit de l’appui constant fourni aux Frères Musulmans par le gouvernement des États-Unis d’Amérique. De même, la Tunisie s’en est débarrassée plus pacifiquement. Ils ont même été chassés d’Arabie Saoudite récemment, et des Émirats. Le président Sissi a même tout récemment appelé à une révolution morale et intellectuelle à l’intérieur de l’islam. Ce que le pape dit donc aux musulmans, c’est qu’il regarde avec amitié et respect leur réflexion collective. Il s’exprime de manière à ne pas lui faire obstacle.

La guerre n’arrangerait les affaires que des idéologues libéraux et ceux des fanatiques. Car c’est commode pour les libertaires d’avoir en face d’eux des fanatiques. Et c’est reposant pour des fanatiques de pouvoir réduire l’Occident à certaines absurdités.  

Ne pas se faire du souci. Ne pas avoir peur d’exprimer ses soucis

Même compte tenu de cette contextualisation, et aussi d’une légitime prudence visant à ne pas mettre en danger la vie des croyants chrétiens en pays musulman, ces paroles et ces propos ont pu laisser perplexes :

a/ des citoyens pensant à la sécurité de leurs nations,
 b/ des universitaires connaisseurs du sujet,
 c/ des croyants tentés d’attribuer au pape, ou à ses collaborateurs, un aveuglement politique joint à une grande ignorance et à un déni de réalité, ou, plus grave, un langage insincère.

François serait le premier à encourager ces trois catégories de personnes à exprimer leurs préoccupations avec liberté, avec parésie, comme il aime dire.

Faire confiance à François. Essayer d’entrer dans sa perspective

Il n’est pas rationnel d’accuser d’ignorance crasse des décideurs de ce niveau, ayant reçu de surcroît une très longue préparation intellectuelle. Les islamologues de l'Institut pontifical d'études arabes et islamiques, auxquels François vient de s'adresser, ne sauraient ignorer, par exemple, l'existence du livre 19 du Sahih Muslim, un des deux plus sacrés parmi tous les recueils de hadiths, qui s'intitule Le Livre du Djihad et des Expéditions (Kitab Al-Jihad wa'l-Siyar). Ces textes sont librement accessibles et n’importe qui peut voir l’image que la tradition islamique se fait de son fondateur.  

Ce que nous savons aussi avec certitude, c’est que les collaborateurs ou conseillers du pape, tels le cardinal Tauran, par exemple, ne manquent ni d’information sur les faits, ni de lucidité sur le fond du problème, ni de jugement sur la situation. Mais, c’est précisément parce que la situation est si complexe et si préoccupante, parfois même sans issue apparente, qu’il convient d’agir avec tact et retenue.

Ce dont nous sommes sûrs, également, c’est que le pape se moque tout à fait du « politiquement correct ». Nous en avons eu bien des preuves. Son intention n’est donc ni de se conformer à des éléments de langage, ni de parler la langue de bois des politiciens occidentaux.

Il n’entre pas non plus dans son intention d’exiger des peuples l’oubli de faits importants, ou le sacrifice d’intérêts vitaux, tout simplement parce que ce ne serait ni prudent, ni juste.

Pourquoi le pape parle-t-il ainsi ?  

La préoccupation du pape n’est pas d’abord politique, mais religieuse. Son optique est celle de la « gloire de Dieu » et du « salut des âmes ». De ce point de vue, la paix des religions est évidemment le premier souci du Saint-Père. Pourquoi ?

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D’abord, parce que la loi morale naturelle est une loi de paix ;

ensuite, parce que le Christ a confirmé cette loi : « Heureux les artisans de paix. Ils seront appelés fils de Dieu » ;

enfin, parce que François veut mettre les hommes en relation avec le Christ. Or, les principaux interrupteurs des relations entre les hommes et Dieu dans les temps modernes, ce sont la guerre des religions et la dictature au nom de la religion. La meilleure façon de détruire la religion, c’est d’en faire un facteur de guerre, d’oppression et de despotisme. C’est aussi de la rendre trop solidaire d’intérêts politiques ou économiques, nationaux ou partisans, toujours moralement assez ambigus.

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François sait très bien que les idéologies sont moribondes, notamment parce qu’elles ont été l’occasion de guerres d’idéologies (les deux guerres mondiales, entre autres) qui ont causé plus de massacres que toutes les guerres de religions réunies. Les idéologies ne peuvent donc ressusciter pour un temps que si les religions tombent dans certains errements. La moins avertie à cet égard étant l’islam, il n’est pas étonnant qu’elle soit la plus travaillée par ces tentations et sans doute aussi par des manipulations.

Divise et domine, divide et impera. Si une idéologie veut dominer puis éliminer les religions, elle doit susciter la guerre des religions. Le pape ne veut pas se laisser manœuvrer ainsi. Il a mille fois raison.

Il faudrait en dire plus pour répondre pleinement aux demandes des auditeurs perplexes. Donc, à suivre.

 

Henri Hude est philosophe, directeur du pôle Ethique et déontologie des Écoles de Saint-Cyr Coëtquidan.

 

 

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[1] http://www.henrihude.fr/mes-reflexions/49-philosophieetspiritualie/95-notes-de-lecture-pie-xii-et-la-seconde-guerre-mondiale
http://www.henrihude.fr/mes-reflexions/49-philosophieetspiritualie/94-note-de-lecture-pie-xii-et-la-seconde-guerre-mondiale-2

 

 

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