Article rédigé par François de Lens, le 15 janvier 2015
Dimanche 11 janvier, une grande « marche républicaine » a mobilisé des centaines de milliers de Français en réaction aux évènements tragiques de la semaine. Symbole d’une unité nationale de façade, ce rassemblement fait-il le jeu de la France ?
L’UNITE NATIONALE s’est vite fissurée dans une hâte plutôt sordide, chaque camp tentant de s’approprier l’émotion populaire. On a vu d’abord des caciques du Parti socialiste refuser que le Front national soit officiellement invité à la manifestation. On les comprend : accepter le Front national, c’était en faire un parti comme les autres, ce à quoi ils se refusent depuis des lustres, bien que le parti soit légal et fonctionne selon les lois — républicaines — en vigueur.
Selon eux, l’unité nationale ne s’adresse qu’à une partie de la France. À ceux qui ont été désignés comme fréquentables par ceux qui décident ce qui est bien, ou mal. Quelles auraient été leurs réactions si l’attentat avait frappé le siège du Front national ? Dimanche, un mouvement prétendu « d’union nationale » a exclu de manière symbolique toute une part de la population (et non la moindre !) pour ses opinions politiques. Tout en invitant des chefs d’États peu réputés pour leur amour de la liberté, quand ils ne protègent pas eux-mêmes des forces terroristes.
Le bal des hypocrites
Ceux qui excluent sont les mêmes qui ne jurent désormais que par la liberté d’expression et d’opinion. Nous sommes en droit de craindre que l’avertissement terroriste n’ait rien changé à leurs pratiques. Les attaques contre la liberté passent, les hypocrites qui nous gouvernent conservent leur morale élastique. Dont acte.
Dans ce contexte, nous nous serions bien passés de la réaction de Jean-Marie Le Pen appelant à voter pour sa fille alors que la traque des tueurs était en cours. La première brèche a été ouverte par les socialistes, le mur de l’unité nationale s’est ensuite démonté pierre par pierre. Les réactions partisanes se sont enchaînées dans leur insignifiante et cruelle platitude.
Une marche aux contours flous
Pourquoi donc manifester ? On invoque les « valeurs de la République », la tolérance, la paix, le respect des droits de l’homme, etc. Mais précisément, s’agit-il de rendre hommage au journal Charlie Hebdo ? À ses dessinateurs ? Aux policiers ? Ou bien à toutes les victimes ?
Personne n’a défilé pour la même raison. Certains disaient : « Je suis Charlie ». D’autres ont marché pour la liberté d’expression. D’autres pour défendre les musulmans, qui, parait-il, ne sont pas assez grands pour le faire seuls. Certains ont manifesté au nom de la France, en tant que frères de tout autre Français. Le seul lien entre ces motifs est l’émotion partagée, rien de plus.
Sortirons-nous de l’émotion ?
Alors qu’une démarche de deuil doit être apaisante, la médiatisation de la « marche » et la communication gouvernementale n’ont fait que creuser l’émotion sans chercher à lui donner d’autre sens que celui d’une ferveur collective autour de « valeurs » abstraites et relatives plus ou moins partagée. Entendons-nous bien : il n’est pas question de dire que la mort de dix-sept personnes doit nous laisser de marbre. Mais tout hommage officiel, populaire ou non, doit être porteur de vérité s’il veut conserver sa part de thérapie légitime.
Dans le prémonitoire Camp des saints, Jean Raspail décrivait ainsi une manifestation orchestrée à grand coup de bons sentiments humanitaires : « Trop de bruit ! Trop de battage ! Trop de discours ! Trop d’amour débordant comme un sirop de trop de bouches célèbres ! Et si l’on était allé trop loin ? Trahi jour après jour, perdu dans la forêt des mensonges et des illusions, le bon sens populaire retrouve-t-il les sentiers effacés ? Pas tout à fait. […] Ils ne le savent pas encore, mais ce qui vient de naître en eux, c’est la panique. »
Il est difficile de nier la bonne volonté des personnes qui ont marché dimanche, mais le risque de l’écœurement existe. Et peut donner l’effet inverse que celui recherché.
Charlie Hebdo, ou les destructeurs déconstruits
La panthéonisation de Charlie-Hebdo comme œuvre emblématique des « valeurs de la République » n’a fait qu’ajouter au flou ambiant. D’autant plus que cette panthéonisation s’est faite contre l’esprit du journal lui-même, par définition hostile à toute espèce de sacralisation. Honorer ses morts comme des martyrs de la République était pour le moins décalé. C’est d’ailleurs le même problème pour le slogan « Je suis Charlie ». L’hommage national à ceux qui vomissent les hommages et le national : belle trouvaille. Sans parler de la marginalisation des autres victimes.
Comme l’a dit le dessinateur Luz, « la charge symbolique actuelle est tout ce contre quoi Charlie a toujours travaillé : détruire les symboles, faire tomber les tabous, mettre à plat les fantasmes ». Willem, lui, explique que « nous vomissons sur tous ces gens qui, subitement, disent être nos amis ». Ce qui témoigne d’un esprit de tolérance pour le moins… surprenant. Pourtant, dimanche, des personnes ont marché pour la tolérance. Il est vrai qu’il n’existe plus de « maisons pour cela ».
Un triste révélateur
Cette manifestation est révélatrice de l’état de la France. Un peuple qui sait vibrer quand il est attaqué, un peuple au grand cœur, et des gouvernants qui pataugent dans la politique des droits de l’homme, privilégiant les querelles politiques sur fond d’indécence, de récupération et de guerre des egos. Ce refus de voir les problèmes en face et cette obstination à continuer les vieilles querelles de clocher creusent de jour en jour le décalage entre le peuple et ses dirigeants. Et ce n’est pas l’augmentation des moyens militaires et policiers à grands coups de menton qui résoudra le problème.
La lutte contre le terrorisme s’annonce rude.
Fr. de L.
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