Article rédigé par Roland Hureaux, le 28 novembre 2014
Il y a un mois, l'idée que la droite revenue au pouvoir pourrait toucher à la loi Taubira instituant le mariage homosexuel n'était pas prise au sérieux dans les hautes sphères de l'UMP. Comme elle l'avait fait tant de fois dans le passé, la droite ne saurait remettre en cause une évolution sociétale allant dans le sens de l'histoire. Et quel intérêt de se mettre à dos de puissants lobbies pour une question dont, au fond, presque tous le monde se moquait…
Nicolas Sarkozy se montrait irrité par la question. François Fillon avait dit, au moment du vote, que « ce qu'une loi a fait, une autre ne peut la défaire », mais il n'était pas revenu sur ce sujet depuis lors.
Alain Juppé, en bon Bordelais pragmatique, ne cachait pas son refus de remettre en cause la loi Taubira.
Hervé Mariton, candidat à la présidence de l'UMP et décidé, lui, à abroger la loi, paraissait dans ce contexte marginal.
Commet s'étonner d'ailleurs de cette position puisque nul n'ignore que si la droite avait vraiment voulu bloquer la loi au Sénat, elle en avait les moyens. Ne l'ayant pas fait, elle en partage un peu la paternité.
Et pourtant, n'était-ce pas faire là un peu bon marché de l'immense mouvement qui s'était levé pour combattre la loi ? On a beau se gausser de la dominante catho, BC BG, de La Manif pour tous, son rassemblement du 17 mars 2012 rassemblant près de 1,5 million de personnes, est déjà inscrite comme la plus grosse manifestions de l'histoire de France.
« Si ça vous fait plaisir »
C'est Nicolas Sarkozy qui a le premier rompu le tabou par son discours devant le club Sens commun, tendance de l'UMP animée par des jeunes militants issus de La Manif pour tous, en concédant qu'il fallait réécrire la loi mais la réécrire tant que cela ressemblerait « si ça vous fait plaisir » à une abrogation. Le débat était ainsi relancé. Nicolas Sarkozy a sans nul doute réussi une bonne opération, pas tant parce qu'il a fait immédiatement un bond dans les sondages, mais parce que le thème de l'abrogation de la loi Taubira lui permet de se replacer au cœur de la droite.
Le temps où les élections présidentielles se gagnaient au centre gauche est bien terminé. Il faut être, comme disait François Hollande, le candidat « normal » de son camp. Avoir un programme sérieux et lisse, politiquement correct n'y suffit pas. Il faut un thème fort et emblématique. Ce thème doit correspondre à un certain moment de l'histoire politique française : deux ans après les grandes manifestations, celui du mariage homosexuel s'imposait. Et la position prise doit avoir du relief. Pour cela, il faut qu’elle soit d'une manière ou d'une autre transgressive ; sinon elle passe inaperçue dans l'immense buzz médiatique.
François Mitterrand, le premier, avait compris en 1981 qu'en adoptant presque tout le programme de nationalisation du Parti communiste, malgré les réticences de beaucoup de socialistes et l’obstacle du « mur d'argent », il faisait une double opération : il gardait le PC, auquel Moscou demandait de voter Giscard ; il s'installait dans le champ symbolique comme un vrai candidat de gauche. Qu'importe que le Parti socialiste ait été quelques années après le champion des privatisations.
Nicolas Sarkozy n'a sans doute pas fait tant de calculs ; mais son instinct lui a dicté la même conduite aux élections de 2007 quand il a évoqué l'identité nationale. Sa proposition transgressive d'abroger la loi Taubira s se situe dans la même ligne.
Pas d’illusions
Il ne faut naturellement pas se faire d'illusions sur la proposition de Nicolas Sarkozy. Il l'a faite du bout des lèvres, sous l'effet de l'ambiance (comme le général de Gaulle prononça une fois la formule “Algérie française”) et le lendemain s'attachait même à minimiser la portée de sa sortie.
En pratique, sa proposition risque de s'avérer difficile à mettre en œuvre. Deux mariages, bi sexe et unisexe ? Les opposants la loi Taubira ne seront pas satisfaits que demeure un mariage homosexuel (au pire, ils lui préféreront l'union civile chère à Frigide Barjot), et le lobby LGBT n'acceptera jamais qu'on remette en cause de quelque manière que ce soit la théorie du genre en introduisant une discrimination entre deux types de mariage. Ses protestations servent d'ailleurs Sarkozy dans la mesure où elles semblent prendre au sérieux ses propositions.
Sarkozy réélu abrogerait-il davantage la loi Taubira qu'il n'a nettoyé les banlieues au karcher entre 2007 et 2012 ? On peut se poser la question. Et, malgré leur naïveté, les membres de Sens commun se la demandent sans doute. Il reste la percée symbolique que Sarkozy leur promet en les sortant de la marginalité artificielle où ils étaient enfermés il y a quelques semaines.
Si l'ancien président apparait comme le gagnant de l'opération, on ne saurait oublier que la longue marche à laquelle il se prépare reste parsemée d'embûches : sans s'attarder sur les aléas judiciaires possibles, il est clair que son retour a suscité moins d'enthousiasme au sein même de l'UMP que sans doute il en l'espérait.
Cette prise de position a sans nul doute contribué à donner un surcroît de crédibilité à Hervé Mariton, jusque-là peu audible, mais qui présente au gré de beaucoup de militants l'avantage de ne pas être candidat à la primaire. Son élection garantirait que le présidant jouerait vraiment le rôle d'arbitre évitant une probable scission si le scrutin apparaissait entaché de partialité.
Inodores et sans saveur
Bruno Le Maire. Jeune et excessivement talentueux, normalien et énarque (comme Alain Juppé et Laurent Wauquiez, alors que Hervé Mariton est polytechnicien) risque d'être, malgré les apparences, le perdant de l'opération « Sens commun », non pas tant parce qu'il s'est fait copieusement huer par le public très particulier de Sens commun, mais parce que sa position sur le mariage homosexuel se retrouve complètement décalée par rapport au centre de gravité de la droite. N'étant transgressif sur rien, il risque d'apparaitre avec ses beaux yeux clairs et son teint blanc comme incolore, inodore et sans saveur. S’il veut être le candidat de la droite en 2017, il lui faut un marqueur fort, il n'en a pas.
On peut en dire autant d'Alain Juppé dont les positions contre la révision du mariage homosexuel sont tout à fait dans la ligne centre gauche de celui dont il est l’héritier direct, Jacques Chirac.
L'un et l'autre peuvent se laisser abuser par des sondages nationaux qui leur sont étonnamment favorables et qui les placent tous deux avant même Nicolas Sarkozy. Phénomène classique propre aux candidats d'un camp qui, par leur modération ou certaines positions décalées par rapport à ce camp, reçoivent des suffrages du camp d'en face. Simone Veil, Bernard Kouchner, Jacques Delors : il n'est pas sûr que l'ambition des deux précités soit de terminer comme ces derniers.
L'un et autre risquent de s'ajouter à la longue liste des victimes politiques de la loi Taubira : Nathalie Kosciuszko-Morizet a sans doute perdu une part de sa légitimité à droite en s'abstenant sur ce vote ; la droite parisienne a certes voté pour lui mais sans enthousiasme et sans véritable mobilisation. même chose pour la sénatrice Fabienne Keller qui a sans doute perdu Strasbourg pour avoir voté pour cette loi. Les deux grandes capitales françaises, ce n'es pas rien ! Une seule grande ville a été gagnée par le droite : Toulouse, où Jean-Luc Moudenc a joué le jeu normal de la droite en participant à toutes les manifestions et votant contre la loi Taubira.
Changement de paradigme
Jean-Pierre Michel, le sénateur socialiste ardent propagateur des droits des homosexuels et ancien fondateur du Syndicat de la magistrature, a été battu à plate couture dans la Haute-Saône lors des dernières sénatoriales.
Roger Karoutchi qui s'était positionné in extremis pour que la droite laisse passer la loi Taubira au Sénat a été battu à la présidence du groupe UMP par Bruno Retailleau, issu du villiérisme.
Il est temps que la droite française reconnaisse le changement de paradigme de la politique occidentale dont avait joué aux États-Unis Karl Rove auprès de Bush. Dans un système bipartisan, on n'est pas élu à la limite des deux camps mais en son sein.
L'autre version de ce paradigme : il n'y a plus de sens de l'histoire. Le temps où la droite venant au pouvoir ne pouvait qu'avaliser les réformes de la gauche, surtout s'il s'agissait de réformes sociales parfaitement utiles, est terminé. Une gauche idéologique de plus en plus délirante a beau se prévaloir du sens de l’histoire, le peuple l'admet de plus en plus difficilement et ne prendra pas au sérieux un candidat de droite qui se proposerait de consolider ses acquis.
R. H.
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