L’eau de Sivens : « Appeler M. Hulot » (II)
Article rédigé par Stanislas de Larminat, le 06 novembre 2014 L’eau de Sivens : « Appeler M. Hulot » (II)

Dans la série « Une catastrophe, il faut appeler M. Hulot [1] », le barrage de Sivens. Oui, pour éviter le drame du 25 octobre [2], il aurait encore fallu appeler M. Hulot. Mais ce n’est que dix jours après l’accident qui coûta la vie au malheureux Rémi Fraisse, que l'écologiste de référence sort de son silence ! Pour exiger : « Il faut abandonner le barrage de Sivens » (Le Parisien, 3 novembre). Et assécher la nature ?

Comme le célèbre héros de Tati, Nicolas Hulot ne se contente pas de godiller contre la raison : il rame à sec ! En effet, si réchauffement climatique il y a, Nicolas Hulot se rend-il compte que le Tescou sera rapidement une rivière sèche chaque été ? Il ajoute : « C’est une question de bon sens » ! On se demande où est le bon sens : que vont devenir les « zones humides » du Tescou quand c’est d’abord la rivière elle-même qui a besoin de conserver son eau ?

Quels sont les enjeux ?

La problématique générale de l’eau agricole

La crainte de manquer d’eau est un réflexe normal car elle reflète une inclination naturelle à la survie. L’opinion publique réagit donc avec émotion à la question de l’eau.

Le rat des villes et le rat des champs

Marsilly

Paradoxalement cette émotion se manifeste dans les villes, alors que le problème est dans les champs. 70% des Français, majoritairement urbains, seraient prêts à changer de comportement quand survient une sècheresse, mais souhaitent au préalable imposer des contraintes aux agriculteurs. Pourtant, la consommation citoyenne urbaine, au robinet, ne représente pas 5% des besoins de l’agriculture et de l’élevage ! En effet, la consommation d’eau nécessaire à la production de notre alimentation représente plus de 1.000 m³/habitant/an, alors que celle que nous tirons du robinet n’est que de 50 m³/habitant/an.

Or l’eau nous est donnée en abondance (voir encadré). La problématique de l’eau ne se pose donc pas tant en termes écologiques qu’en termes économiques, avec ces deux défis :

- l’accès aux réserves naturelles d’eau, rivières, lacs ou nappes phréatiques : plus d’un milliard d’habitants n’y a économiquement pas accès. 
- l’accès à sa potabilité : plus de 2 milliards d’habitants vivent dans des zones sans assainissement !

Tout cela a un coût ! Il suffirait, estime-t-on, de quelques 20 milliards $/an pendant 10 ans pour résoudre l’essentiel de ces problèmes d’accessibilité. Il s’agit donc d’une question de volonté politique et économique.

L’eau, un enjeu agricole 

L’agriculture est une solution pour l’eau et non un problème ! Puisque la production de nos aliments est la plus grosse consommatrice d’eau, on peut donc dire qu’une région, obligée d’approcher ses consommations alimentaires, serait en quelque sorte importatrice de l’eau qui a servi à les produire ! Au niveau de la région de Sivens, l’enjeu est de un ou deux milliers de tonnes de maïs par an. Mais au niveau mondial, le problème est considérable et porte sur plusieurs centaines de millions de tonnes.

Dit autrement, quand un pays importe des aliments, il importe de l’eau en quantité considérable. Quand un pays perd sa capacité de production alimentaire, il perd donc la bataille de l’accès à l’eau. En effet, sans agriculture, les équipements hydrauliques deviennent très difficiles à rentabiliser. Or ces barrages apportent l’eau aux populations par surcroit des objectifs agricoles.

L’agriculture : un moyen de stocker de l’eau ! De tout temps, les agriculteurs ont stocké des récoltes. Disposer d’un an de consommation revenait, virtuellement, à stocker l’eau qui avait été nécessaire pour la production des récoltes ainsi stockées !

Or, sous la pression de la concurrence mondiale, les producteurs agricoles sont acculés à réduire leurs coûts, et donc leurs stocks : nos économies sont régies par le concept du stock zéro

Si donc, on ne stocke plus d’eau dans les greniers sous forme de récoltes, il faudra bien, qu’on le veuille ou non, stocker l’eau autrement avec des investissements hydrauliques. Or les ONG sont souvent opposées à ces aménagements pour, disent-elles, ne pas perturber la biodiversité et les écosystèmes.

L’homme passerait-il après la faune et la flore ? Il ne servirait à rien de mettre en place une nouvelle autorité mondiale de l’eau, comme le propose les ONG écologistes, si on oublie deux priorités :

- redonner un potentiel aux agricultures locales pour qu’elles puissent investir dans les équipements hydrauliques,

- ne pas considérer le financement des stocks agricoles comme des subventions illicites, mais au contraire faciliter leurs constitutions, puisque, indirectement, cela revient à stocker de l’eau…

Cette mise en perspective n’est jamais prise en compte. Qu’en pense M. Hulot ? Où est le bon sens ?

Le cas particulier de Sivens

Quelques chiffres pour comprendre

Sivens-Fig

Les travaux de la retenue de Sivens coûteront 8,4 millions d'euros et seront financés :

- à 50 % par l'agence de l'eau. Or les redevances des agences de l’eau sont payées par les usagers pour les “prélèvements” et “pollutions”. En 2012, selon les bassins, 80 à 90 % des recettes de redevances provenaient de la facture d’eau ;

- à 50 % par le Conseil régional et l'Union européenne et les conseils généraux concernés.

Le barrage de Sivens est donc, typiquement, un dossier de fiscalité régionale.

Que pense M. Hulot de la régionalisation ? Sera-t-il l’ambassadeur du Président Hollande sur tous les dossiers régionaux, comme il l’est sur les dossiers écologiques mondiaux ? Où est le bon sens ?

Quelle alternative au volet agricole du dossier ?

Dans son interview au Parisien, Nicolas Hulot se drape dans son bon sens à lui : « Ce n’est pas une question d’écologistes contre agriculteurs. » Il n’empêche qu’il apporte indirectement son soutien aux écologistes qui ont parlé d’agriculture industrielle, alors qu’en réalité il s’agit du développement de petites exploitations, à haute valeur ajoutée, mais pauvres, insérées dans le terroir local.

On dit qu’il s’agit d’un investissement démesuré. Or 4 tonnes de maïs supplémentaires/ha, sans autre coût marginal supplémentaire que l’irrigation, produites sur 400 ha pendant 50 ans au prix de 100 €/T, rapportent 8 millions d’€. Ce n’est pas dans un court article qu’on peut émettre une conclusion en matière de rentabilité : il faudrait vérifier que l’eau était bien le facteur limitant.

Mais il faut dépasser les visions de rentabilité immédiate, car si on n’avait pas su construire un réseau de routes, y compris de certaines moins rentables que d’autres, nous roulerions dans les champs assez souvent pour nous déplacer.

Qu’en pense M. Hulot, qui prétend qu’« on aurait déjà dû ... étudier [plus tôt] d’autres alternatives au barrage » ? Mais qui ne dit rien de ces alternatives ! Où est le bon sens ?

Comment augmenter le marché du « locavore » ?

Nicolas Hulot a financé, dans sa fondation, le Guide du locavore pour mieux consommer local. Mais, à raison de 160 kg de fruits et légumes consommés par habitant et par an, il faudrait augmenter la production régionale de 200.000 tonnes pour satisfaire les 1,3 millions d’habitants supplémentaires attendus d’ici 2050 dans la région de la Garonne.

Certes, on peut importer des légumes d’autres régions. Une chose est certaine, si réchauffement climatique il y a, la production de maraîchage local n’augmentera pas : elle diminuera. Ne parlons pas de la consommation de lait qui devra régionalement augmenter d’ici 2050 de 75 millions de litres de lait par an, c’est-à-dire l’équivalent de plus de 10.000 vaches alors que le Tarn-et-Garonne en a perdu… 10.000 depuis dix ans ! Serait-ce du développement durable d’importer le lait en poudre depuis la Nouvelle Zélande ?

Qu’en pense M. Hulot ? Comment concilier consommation locale et production locale sans passer par le stockage de l’eau ? Où est le bon sens ?

Comment assurer un débit au Tescou chaque été ?

L’objectif de Sivens est aussi de maintenir le niveau annuel le plus bas du Tescou. Pour les porteurs du projet, la retenue d’eau répond à des objectifs de salubrité et de préservation de la ressource en eau. En effet, c’est la rivière elle-même qui a le plus besoin d’eau : la rivière est à sec l’été… et, évidemment, les villages bordiers y rejettent leurs eaux purifiées en station d’épuration. Si réchauffement climatique il y a, cela ne s’arrangera pas, même en réduisant le gaspillage aux robinets d’eau potable.

Qu’en pense M. Hulot ? Où est le bon sens ?

Comment approvisionner en eau les villes proches de Sivens en 2050 ?

Sachant qu’un individu consomme 50 m3 d’eau potable par jour et que la région Garonne prévoit 1,3 millions d’habitants supplémentaires d’ici 2050, il faudra 65 millions de m3 d’eau pour l’eau potable, sans compter les productions maraichères locales nécessaires.

L’aménagement du territoire ne doit pas être un mot tabou. Tout le plan Garonne 2050 est donc en jeu avec 720 millions de m3 de retenues à mettre en œuvre. Sivens et ses 1,5 millions de m3 représente une goutte d’eau dans ce schéma. Si on écoute les écologistes, ce sont toutes les retenues en Hautes-Pyrénées qui ne verront jamais le jour. Quelles seront les conséquences pour l’agriculture et pour l’approvisionnement en eau potable, si aucun des ouvrages à l’étude, l’Ousse, la Géline ou le Louet, ne voient le jour, à l’horizon 2021 ?

Qu’en pense M. Hulot ? Où est le bon sens ?

Comment sauver les zones humides sans leur assurer un minimum d’eau ?

Les écologistes parlent de « zones humides » comme des lieux propices pour la biodiversité. Mais les berges d’un lac ne constituent-ils pas une zone humide en soi… propice au développement d’une nouvelle faune aquatique, d’une biodiversité reconstituée, enrichie même grâce au lac, avec des oiseaux migrateurs jamais vus auparavant ? Faut-il préférer voir agoniser les poissons dans les flaques d’eau du lit asséché de la rivière en été et en automne ?

La question de la biodiversité est de savoir si on veut privilégier des sortes d’écomusées, ou la gérer de manière dynamique.

Qu’en pense M. Hulot ? Où est le bon sens ?

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Le 27 mai 2008, Nicolas Hulot déclarait : « On ne doit plus hésiter à avoir de la décroissance. Par cela j’entends diviser notre consommation d’eau ou d’énergie. C’est de la décroissance, mais il vaut mieux l’organiser. La croissance ne pourra pas perdurer avec l’épuisement des ressources et matières premières ».

La vraie question posée par les écologistes, Nicolas Hulot en tête, est, une fois de plus, celle de nos modèles de développement économique : si l’on décide d’entrer dans un système de décroissance, il faudra assumer ce choix. Et ne pas s’étonner qu’un jour, le progrès technique au service de l’homme sera sujet à caution, même quand il s’agira de sa santé et de son alimentation. Le concept même d’investissement n’aura plus aucun sens.

 

Stanislas de Larminat a publié L'écologie chrétienne n'est pas ce que vous croyez (Salvator, 2014), préface de Mgr André-Joseph Léonard, archevêque de Malines-Bruxelles.

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[1] Cf. Transition énergétique : « Appeler M. Hulot », Libertepolitique.com, 31 octobre 2014
[2] Les jeunes doivent être mis en garde sur le fait qu’il n’est jamais innocent de venir sur des lieux où la violence potentielle fait partie du système d’expression d’opinions opposées à un projet. Une chose est sûre, il s’agit d’une mort injuste et dramatique. Le temps du deuil doit être respecté, mais il faut aussi arriver à prendre du recul sur les enjeux du projet, celui de la gestion de l’eau pour l’agriculture, pour la consommation des urbains, et pour l’environnement.

 

 

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