Article rédigé par Stanislas de Larminat, le 15 octobre 2014
Le cardinal Pietro Parolin est intervenu le 24 septembre 2014 au sommet sur le Climat de la 69e Assemblée générale des Nations-unies [1]. La qualité de l’intervenant est de premier rang puisque le cardinal a été nommé par le pape François au poste de secrétaire d'État. Créé cardinal le 22 février 2014, il a défendu la doctrine écologique du Saint-Siège : priorité à la lutte contre les effets des dérèglements environnementaux sur les plus pauvres.
LA DOCTRINE ÉCOLOGIQUE du magistère est constante. L’intervention du cardinal en reprend, en particulier, trois fils directeurs : 1/ protéger la nature et respecter la nature humaine vont de pair ; 2/ la justice et la solidarité avec la famille humaine appellent un changement de modes de vie ; 3/ mettre la science à sa place.
Respecter la nature et la nature de l’homme vont de pair
Pour le cardinal, la question climatique ne peut pas se comprendre sans une éthique de la protection de l’environnement dans son ensemble. Quand il parle d’un « impératif moral à agir », c’est au niveau du respect de la Création qu’il se place, et au centre de la création, il y a l’homme.
Le secrétaire d’État répète le lien sur lequel le magistère insiste de façon constante avec l’écologie humaine pour orienter les décisions : « La dignité de chaque personne humaine et la poursuite du bien commun sont autant de préoccupations qui doivent façonner les politiques économiques » (Gaudium Evangelii, 203), car « le plus grand défi à mener est celui des valeurs humaines et de la dignité humaine ».
Autrement dit, on ne lutte pas pour le bien de l’homme sans l’homme : il appelle de ses vœux une « innovation économique et technologique, grâce auxquelles il est possible de cultiver deux objectifs interdépendants : la lutte contre la pauvreté et l'assouplissement des effets du changement climatique ».
Sans se prononcer sur les causes du changement climatique et ses hypothèses, dont le débat montre qu’il peut entraîner des orientations contreproductives, d’inspiration malthusienne, il insiste sur les « effets » de ce changement. « En ce sens, dit le cardinal, le changement climatique devient une question de justice, d'équité et de respect, une question qui doit éveiller nos consciences ».
C’est là le second fil directeur de son intervention :
La justice et la solidarité appellent à un changement de modes de vie
Le cardinal reprend le concept, souvent développé par le pape François, de la « culture de la solidarité, de la rencontre et du dialogue » comme instrument pour « vraiment être efficace ». C’est la fameuse économie du don, largement développée dans Caritas in veritate qui est notamment sous-jacente. En effet, ajoute-t-il, « les seules forces du marché, en particulier lorsqu'elles sont privées d'un sens éthique approprié, ne peuvent pas résoudre la crise globale du réchauffement climatique, de la pauvreté et de l'exclusion ».
Nos changements de mode de vie ont donc pour objectif de « corriger les nombreux dysfonctionnements et déséquilibres » et « les nombreuses crises que la société actuelle rencontre dans les contextes économiques, financiers, sociaux, culturels et éthiques ».
Évoquant les « efforts importants [du Vatican] pour réduire sa consommation d’énergie fossile », il précise que « parler de la réduction des émissions est inutile si nous ne sommes pas prêts à changer notre mode de vie et les modèles dominants actuels de consommation et de production ». Autrement dit, la priorité est éthique, pas technique.
Comme le rappelle le Compendium de la doctrine sociale de l’Église (n. 63), nos modes de vie ne peuvent être fondés sur un rêve d’efficacité humaine directe : c’est dans le respect de la cohérence globale de la création qu’on obtient indirectement une véritable « efficacité de la vérité ». Benoit XVI disait qu’« aucune structuration positive du monde ne peut réussir là où les âmes restent à l'état sauvage » (Spe salvi, n. 15). C’est probablement dans cet esprit que le cardinal Parolin parle de la « nécessité de promouvoir l'éducation à la responsabilité environnementale, qui vise également à protéger les conditions morales d'une authentique écologie humaine »
Car l’enjeu est culturel : « La dégradation de la nature est directement liée aux cultures qui façonne la communauté humaine [...]. Il faut intensifier notre engagement vers un profond renouvellement culturel et une redécouverte des valeurs fondamentales sur lesquelles un avenir meilleur pour la famille humaine entière peut être construit ».
La prudence scientifique
L’Église respecte l’autorité de la science, mais veille à lui donner la place qui est la sienne, dans les limites des théories et des hypothèses qui sont les siennes. Le cardinal insiste à plusieurs reprises pour situer les consensus existants, les certitudes mais aussi les incertitudes, appelant à la prudence.
S’il parle d’un « consensus scientifique plutôt net » à propos de la réalité du réchauffement climatique, il se garde de se prononcer aussi nettement sur sa cause, une question où les interprétations idéologiques les plus diverses instrumentalisent les théories scientifiques qui ne peuvent être acceptées que comme des hypothèses : « Depuis la seconde moitié du siècle dernier, le réchauffement du système climatique est sans équivoque. […] C'est un problème très grave qui, comme je l'ai dit, a des conséquences pour les secteurs défectueux aux plus vulnérables de la société et, évidemment, pour les générations futures. » Évoquant les « grands risques et les coûts économiques » qui résulteraient d’une absence de réaction humaine face à ce phénomène, il ne parle plus de consensus, mais fait référence seulement à « de nombreuses études », dont il ressort que ces risques et coûts « semblent » dire que les gaz à effet de serre en sont la cause.
« Face à ces risques et coûts, la prudence est à prévaloir » dit le cardinal, qui ne parle pas de la « précaution », dont on a fait un principe. Celui-ci postule un danger a priori des actions humaines, là où la vertu de prudence s'appuie sur une recherche de la conformité de l’action avec la loi morale universelle et des conséquences du bien qui en découlent. Le principe prudentiel relève d’une pesée des bénéfices et des risques face à l’action.
C’est dans cette perspective que le cardinal souligne la nécessité « de réflexions approfondies sur une analyse précise de l’impact de nos actions sur l’avenir ».
Dans l’avion qui le ramenait de Corée, un mois auparavant, le pape François ne disait pas autre chose, à propos d’une éventuelle encyclique sur les questions écologiques : cet acte du magistère « ne devra s’avancer que sur des éléments sûrs. Parce que si le Pape dit que le centre de l’univers est la terre et non le soleil, il se trompe parce qu’il dit quelque chose qui n’est pas scientifique et cela n’irait pas... Il faut aller à l’essentiel, à ce qui peut être affirmé avec sûreté ».
Traduction française Les2ailes.com
VERTICE ONU SUL CLIMA Monsieur le Secrétaire général, Je suis heureux de transmettre les salutations cordiales de Sa Sainteté le Pape François à toutes les personnes présentes ici pour cet important sommet, qui a réuni de hauts responsables gouvernementaux et civils, ainsi que des dirigeants du secteur privé et de la société civile, afin d'identifier des initiatives significatives concernant le phénomène du changement climatique. Il est bien connu que le changement climatique soulève non seulement des considérations scientifiques, environnementales et socio-économiques, mais il concerne aussi et surtout le plan éthique et moral, car il affecte tout le monde, et en particulier les plus pauvres d'entre nous, ceux qui sont les plus exposés à ses effets. Un impératif moral Pour cette raison, le Saint-Siège a souvent souligné qu’il y a un impératif moral à agir, car nous portons tous la responsabilité de protéger et de valoriser la création pour le bien des générations actuelles et futures. Le Pape François, depuis le début de son pontificat, a souligné l'importance de " la sauvegarde de notre environnement, que trop souvent nous n’utilisons pas pour le bien, mais que nous exploitons avec avidité sans souci du prochain" (Discours au Corps diplomatique accrédité près le Saint-Siège, le 22 Mars 2013). Le consensus scientifique est plutôt net sur le fait que, depuis la seconde moitié du siècle dernier, le réchauffement du système climatique est sans équivoque. C'est un problème très grave qui, comme je l'ai dit, a des conséquences sérieuses pour les plus vulnérables de la société et, évidemment, pour les générations futures. L’aspect scientifique : la prudence s’impose De nombreuses études scientifiques, en outre, ont mis l'accent sur le fait que l'inaction humaine face à ce problème, présente de grands risques et des coûts socio-économiques. Ceci est dû au fait que la principale cause semble l’augmentation de la concentration des gaz à effet de serre due à l’activité humaine. Face aux risques et aux surcoûts prévus, la prudence doit prévaloir, ce qui nécessite des réflexions approfondies sur une analyse précise de l'impact de nos actions sur l'avenir. Cela nécessite une forte volonté politique et économique de la part de la communauté internationale, à laquelle le Saint-Siège souhaite apporter sa propre contribution, conscient que «le don de la connaissance nous aide à ne pas tomber dans les excès ou les erreurs. La Création, un don pour tous La première erreur serait de nous considérer les maîtres de la création. La création n'est pas un bien que nous pouvons utiliser pour notre propre plaisir, ni, encore moins, la propriété d’un petit nombre de personnes : la création est un don, c’est un don merveilleux que Dieu nous a fait, afin que nous en prenions soin, et que nous l’utilisions au profit de tous, toujours avec un grand respect et gratitude" (Pape François, Audience générale, le 21 mai 2014).
Monsieur le Secrétaire général, Apporter une réponse collective Un élément principal qui a émergé de l’étude sur le phénomène de réchauffement de la planète de ces trente dernières années est la prise de conscience croissante que la grande famille humaine est une communauté internationale entière. Les décisions et les comportements de l'un des membres de cette famille ont de profondes conséquences pour les autres ; il n'y a pas de frontières politiques, ni de barrières ou murs derrière lesquels nous pouvons nous cacher ou nous protéger des effets du réchauffement climatique. Il n'y a pas de place pour la mondialisation de l'indifférence, ni pour l'économie de l’exclusion ou de la culture du rebut si souvent dénoncées par le pape François (cf. Exhortation apostolique Evangelii Gaudium, 52, 53, 59). Dans les actions entreprises pour lutter contre le réchauffement climatique, nous avons vu trop souvent la prédominance des intérêts particuliers sur le bien commun ; nous avons trop souvent remarqué une certaine suspicion ou un manque de confiance face aux États, ou à d’autres participants. Cependant, si nous voulons vraiment être efficace, nous devons mettre en œuvre une réponse collective basée sur une culture de la solidarité, de la rencontre et du dialogue, qui devrait être la base des relations au sein de chaque groupe, ce qui exige la collaboration pleine, responsable et dévouée de tous, selon les possibilités de chacun et les circonstances. La primauté de l’éthique sur la politique et de la politique sur l’économie À cet égard, il semble opportun de rappeler un concept qui a également été développé au sein du Forum des Nations-unies, qui est la responsabilité de bonne gestion. Les États ont tous la responsabilité de protéger le monde par des mesures adaptées face aux changements climatiques, ainsi que par le partage de technologies et de "savoir-faire". Mais surtout, ils ont une responsabilité partagée pour protéger notre planète et la famille humaine, assurer aux générations actuelles et futures la possibilité de vivre dans un environnement sûr et digne. Les bases technologiques et opérationnelles nécessaires pour faciliter cette responsabilité mutuelle sont déjà disponibles et à notre portée. Nous avons la capacité de lancer et de renforcer un processus véritable et bénéfique qui irrigue, pour ainsi dire, par l’adaptation et l'atténuation des activités, le domaine de l'innovation économique et technologique, où il est possible de cultiver deux objectifs interdépendants : la lutte contre la pauvreté et l'assouplissement des effets du changement climatique. Les seules forces du marché, en particulier lorsqu'elles sont privées d'un sens éthique approprié, ne peuvent pas résoudre la crise globale du réchauffement climatique, de la pauvreté et de l'exclusion. Le plus grand défi à mener est celui des valeurs humaines et de la dignité humaine ; celui de ne pas réduire la dignité humaine des individus et des peuples à de simples problèmes techniques. En ce sens, le changement climatique devient une question de justice, d'équité et de respect, une question qui doit éveiller nos consciences.
Monsieur le Secrétaire général, Dans cette perspective, un changement de culture authentique est nécessaire, pour renforcer notre formation et faire les efforts nécessaires pour l'éducation des jeunes au sens de la responsabilité en vue du développement intégral de tout l'homme, de tous les hommes, d’aujourd’hui et de demain. Une priorité culturelle Pour sa part, la Cité du Vatican, bien que petite, a entrepris des efforts importants pour réduire sa consommation d’énergie fossile, grâce à la diversification de projets énergétiques efficaces. Toutefois, comme la délégation du Saint-Siège l’a indiqué à la COP-19 à Varsovie, « parler de la réduction des émissions est inutile si nous ne sommes pas prêts à changer notre mode de vie et les modèles dominants actuels de consommation et de production ». Le Saint-Siège attache une grande importance à la nécessité de promouvoir l'éducation à la responsabilité environnementale, qui vise également à protéger les conditions morales d'une authentique écologie humaine. Il existe de nombreuses institutions éducatives catholiques, ainsi que des Conférences épiscopales, des diocèses, des paroisses et des ONG d'inspiration catholique qui travaillent dans ce sens avec la conviction que la dégradation de la nature est directement liée aux cultures qui façonnent la communauté humaine. Le respect de l'écologie de l'environnement est lié et conditionné par le respect de l'écologie humaine dans la société. Face à la problématique importante du réchauffement climatique, non seulement il faut renforcer, approfondir et consolider le processus politique au niveau mondial, mais aussi intensifier notre engagement vers un profond renouvellement culturel et une redécouverte des valeurs fondamentales sur lesquelles un avenir meilleur pour la famille humaine entière peut être construit. Le Saint-Siège s'engage à cette fin, afin que la communauté internationale puisse être guidée par l'impératif éthique d'agir, inspirée par les principes de solidarité et de promotion du bien commun, en sachant que « la dignité de chaque personne humaine et la poursuite du bien commun sont autant de préoccupations qui doivent façonner les politiques économiques » (Gaudium Evangelii, 203).
Traduction Les2ailes.com
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[1]. Le texte intégral de la communication du cardinal en anglais : Bulletin de la salle de presse du Saint-Siège. La traduction française proposée par le site Les2ailes.com, ci-dessus.