Article rédigé par Nicolas Bonnal, le 03 octobre 2014
Sous la pression des lobbies sociétaux, le gouvernement Rajoy a annulé sa timide loi sur la protection de la vie, et tout le monde baille. La Catalogne veut fêter son départ, les Espagnols baillent aussi. Car si la France râle, l’Espagne baille...
Mais un historien a enfin fait sensation lors d’une interview. Pour l’Américain Stanley Payne, spécialiste incontesté de l’Espagne franquiste et du fascisme, professeur à l’université du Wisconsin, l’Espagne est contrôlée par des « antivaleurs qui démobilisent les gens, la télé-poubelle, les sports, l’hédonisme, le consumérisme ».
Nostalgique de temps bien plus braves, notre savant décalé a décrit dans des termes implacables l’Espagnol actuel, descendant des conquistadores, des phalangistes ou des guerriers républicains :
"« L’Espagnol moyen s’est converti en un être anesthésié avec peu d’ambitions transcendantales. Il demande quelque chose mais pas beaucoup. Il est modeste dans ses appétits. Il accepte le peu qu’il a et il cherche à en profiter au mieux. »
"
Cette remarque m’est apparue juste : nous demandons peu, et ce alors que nous sommes de plus en plus plumés par le système. La méthode Merkel-Valls marche très bien. Comme disait Nietzsche, annonciateur malgré lui du néolibéralisme ambiant, « chez le petit peuple l’appétit vient en mangeant ». Il suffit donc de lui couper cet appétit.
Payne tance ensuite le journaliste qui évoque les soi-disant innovations technologiques : « Les avancées technologiques ont juste réussi à atomiser les espagnols. »
Les piqûres de l’État providence
Il explique que l’implantation de l’État-providence a aussi anesthésié la société. On rappellera la nullité inculte du mouvement des indignés, contrôlé de A à Z par le PS local qui avait mené le pays à la ruine.
La droite revenue aux affaires s’est contentée de hausser les impôts et de taper sur le salarié et le retraité. Effrayé d’ailleurs par les deux partis politiques locaux, Payne a déclaré que « le député est dépendant de ce que son leader décide, de celui qui le met sur les listes, pas du citoyen qui vote ». C’est le Parlement européen ici qui peut être cité comme exemple. Ou notre UMPS.
Payne s’en est pris ensuite au “buenismo” des journalistes et de la politique : « Le culte de la bonté et le politiquement correct ne cherchent pas à provoquer de grande révoltes, bien au contraire. Il en impose à la société en la dominant et en promouvant le conformisme. » On est loin de la movida tant célébrée jadis par nos médias à la mode.
Matérialisme connecté
Enfin, dans une société de plus en plus homogénéisée, « il ne reste pour se différencier que la révolution culturelle, peu susceptible de remuer les masses. On pense alors changer non pas la société mais son identité sexuelle ».
Stanley Payne réagit comme Orson Welles ou Luis Buñuel, catastrophés par l’Espagne socialiste des années quatre-vingt ; mais il oublie que la société espagnole ressemble à toutes nos sociétés décrépites ; et qu’on nous a fait préférer une vie matérialiste et connectée à un idéal familial, spirituel ou national.
Il est vrai que ces idéaux sont considérés dangereux…
N. B.
Né en 1934, le professeur Stanley Payne a enseigné l'histoire au Hunter College de la City University of New York, à l'University of California Los Angeles (UCLA), puis à l'University of Wisconsin-Madison. Il est membre de l'American Academy of Arts and Sciences, et coéditeur de la revue « Journal of Contemporary History ». Il est l'auteur de nombreux ouvrages importants sur la guerre civile espagnole, le franquisme et l'analyse comparative des fascismes européens. A retenir, La Guerre d’Espagne, l’histoire face à la confusion mémorielle (Cerf, 2010).
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