Article rédigé par Philippe de Saint-Germain, le 23 mai 2014
Ce dimanche, élection des membres du Parlement européen. Chaque scrutin permet de s’interroger sur le sens de son vote : pourquoi voter, comment voter ? C’est surtout l’occasion de réfléchir à sa responsabilité politique. Car l’élection est un acte politique avant tout. « Politique », pas religieux, ni même moral.
Une tentation revient toujours à chaque élection chez les citoyens de conviction : voter pour le bien, ou contre le mal. Autrement dit, choisir comme si le bien et le mal dans la société dépendaient des urnes. Cette vision relève d’un moralisme inspiré par un certain relativisme démocratique : le bien et le mal ne dépendent d’aucune majorité.
L’élection est un acte purement pratique : elle a pour objet de désigner des élus qui, selon le mandat pour lequel ils auront été désignés, devront gouverner, légiférer, administrer, avec une autorité leur permettant de résoudre des problèmes pratiques, ou de porter une parole influente dans le débat public. Ni plus, ni moins. Quand la démocratie tend à se considérer comme une norme morale en elle-même, il n’est pas inutile de rappeler la dimension avant tout technique de l’élection, aussi digne soit-elle.
En désignant les responsables de la cité, le citoyen électeur n’abdique pas sa responsabilité. Celle-ci doit s’exercer chaque jour à travers toutes ses décisions et ses engagements. Une politique transférée aux seuls élus serait plus ou moins despotique.
Il en va de la politique intérieure comme de la politique étrangère. Si la politique consiste à défendre des valeurs, et non poursuivre des intérêts, ses acteurs finissent toujours par basculer dans l’idéologie et la démesure. La politique se réduit au conflit : les protagonistes ne sont plus que des adversaires, même s’ils partagent les mêmes buts ! L’engagement se définit comme une lutte.
A contrario, dans la perspective de la politique classique, ni idéologique ni doctrinaire, chercher l’intérêt de sa communauté, comme lorsqu’il s’agit de son intérêt propre, commande toujours la modération, et un compromis dans la paix pour progresser utilement.
Ainsi, pour un chrétien, la politique n’est pas un message, mais un service. Faire progresser le bien, avec les moyens du bord, et la sérénité de ceux qui savent que la politique n’a pas les promesses de la vie éternelle : « Des pauvres, vous en aurez toujours parmi vous » (Jn 12, 18).
L’enjeu n’est pas de construire un modèle, mais de rendre service, dans la société telle qu’elle est. Et pour que la société change — Dieu sait si elle en a besoin — le premier service à apporter, c’est de libérer la société des idées qui dressent les hommes et les peuples les uns contre les autres, quand leur bien est au contraire de s’entraider les uns les autres : la paix est la première condition du bien commun.
On objectera qu’on ne peut faire de la politique sans conviction. Oui ! mais la politique ne consiste pas d’abord à proclamer des convictions : il n’y a pas de politique sans action. La conviction guide l’action, elle ne l’éteint pas, ni ne l’enferme dans un hypothétique résultat électoral. C’est ainsi que saint Jean-Paul II définit la doctrine sociale de l’Église : « une orientation pour l’action ». On ne vote donc pas pour ses convictions, on vote pour agir selon ses convictions. C’est en progressant dans la société que le bien progressera dans les partis, et non l’inverse.
Alors, qui choisir ? Non pas des valeurs, ni des partis, mais des hommes libres au sein des partis. Pour le reste, in dubiis libertas : voter pour un candidat qui sera élu selon toute vraisemblance, n’apporte pas grand-chose ; voter pour un candidat qui ne sera pas élu, n’apporte rien, sinon une voix de moins à celui plus proche de ses buts, qui a peut-être une chance. L’effet dynamique d’un nombre de voix inutiles pour une élection, mais qui amorce un mouvement de conquête est un argument : c’est celui des partisans qui espèrent progresser. La raison se plaide, mais elle doit s’apprécier dans le temps : il est parfois contreproductif d’afficher sa faiblesse numérique. À chacun de juger.
Quoiqu’il arrive, il y aura des élus, et ce sont ces élus qui auront le pouvoir. Un citoyen responsable ne peut pas se laver les mains le soir du scrutin, comme si son devoir était rempli pour cinq ans. C’est au lendemain de l’élection que tout commence, pour l’élu, et pour l’électeur par conséquent. Entre eux, si leur volonté est de servir le bien, il faudra coopérer. On ne se déteste pas sous prétexte que « nous n’avons pas les mêmes valeurs ». C’est le bien commun qui commande, et le bien commun, c’est le meilleur possible.
Pour aller plus loin :
Notre dossier "L'Europe que nous voulons"
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