Article rédigé par Guillaume Bernard, le 15 avril 2014
Dans une indifférence quasi générale, le projet de loi sur l’égalité femmes-hommes revient, en deuxième lecture, au Sénat. S’il est adopté en l’état, il sera considéré comme définitivement voté puis promulgué, à moins toutefois qu’il ne soit déféré au Conseil constitutionnel par des parlementaires.
Ce texte contient une disposition plus que discutable : la condition de détresse, prévue depuis 1975 pour qu’une femme puisse demander une interruption de grossesse, a été supprimée. Désormais, une femme pourrait avorter uniquement si elle ne veut pas poursuivre sa grossesse et non plus parce qu’elle connaît une situation l’empêchant de le faire.
Fin de l’exception
Cette évolution est loin d’être anodine. Car l’IVG a – tant dans la loi que dans la jurisprudence constitutionnelle (15 janvier 1975), judiciaire (Chambre criminelle, 27 novembre 1996) et administrative (21 décembre 1990) – toujours été conçu comme une exception au principe de respect de tout être humain dès le commencement de la vie. Il ne peut être porté atteinte à celui-ci qu’en cas de nécessité.
Certains politiques ont affirmé que la disposition sur la détresse conditionnant l’accès à l’avortement n’avait été introduite dans la loi de 1975 que par concession, pour satisfaire les moins convaincus. Mais, cette interprétation viole, à l’évidence, l’esprit de la législation. Au cours des débats parlementaires, Mme Simone Veil n’a-t-elle pas expliqué, le 26 novembre 1974, que « l’avortement doit rester l’exception, l’ultime recours pour des situations sans issue » ? N’a-t-elle pas ajouté que si la loi « n’interdit plus, elle ne crée aucun droit à l’avortement » ?
Les nouvelles dispositions transformeraient une dérogation (sans fait justificatif, l’acte est une infraction pénale) en un droit (subjectif), une possibilité ouverte dans certaines circonstances en une créance opposable à la société. Comme le droit positif ne reconnaît pas la personnalité juridique à l’enfant à naître, cela a conduit certaines juridictions (pas toutes) à estimer que l’incrimination d’homicide ne pouvait pas être retenue quand un tiers provoque sa mort, même si la mère n’entendait pas avorter et que les délais pour y recourir étaient dépassés !
Toutefois, n’y aurait-il pas une inconciliable contradiction entre la protection (civile) de tout être humain dès le commencement de sa vie et la suppression des faits justificatifs exonérant de leur responsabilité (pénale) ceux qui interrompent la vie d’un enfant à naître ?
Vers la chosification de l'enfant à naître
La mise à mort d’un être humain est un homicide ; seules des causes exonératoires de responsabilité (comme la légitime défense) peuvent conduire à ne pas le sanctionner. Par conséquent, s’il n’y a plus besoin de justifier le recours à l’avortement, si celui-ci n’est plus une exception à l’infraction pénale d’homicide, s’il est possible d’arrêter la vie de l’enfant à naître sans qu’aucune véritable condition restrictive ne soit exigée, c’est que celui-ci est rejeté hors de l’humanité. Ne pas maintenir la condition de détresse pour recourir à un avortement conduit à la chosification de l’enfant à naître.
Quelle philosophie peut bien inspirer un droit positif qui s’arroge la compétence de dire qui est humain et qui ne l’est pas ? Il y a, là, une conception artificialiste de l’homme qui nie la nature qui lui est donnée pour ne reconnaître que celle qu’il construit par sa seule volonté ; l’idéologie du gender (à distinguer des études sur le genre) repose sur ce fondement. Voici l’éclosion d’une nouvelle génération des droits de l’homme : si l’autonomie, physique ou intellectuelle, n’est pas jugée suffisante, l’être n’est pas considéré comme authentiquement humain et les droits attributs de son humanité lui sont refusés.
Désormais, ce n’est pas l’ontologie qui fait l’homme, mais l’exercice de sa liberté (y compris et peut-être surtout lorsqu’elle est transgressive). C’est ainsi que l’enfant à naître peut être éliminé, même s’il est génétiquement humain, puisqu’il ne respire pas seul. Mieux (ou pire) : n’étant pour rien dans son existence, son absence de volonté se retourne contre lui, malgré sa parfaite innocence !
Guillaume Bernard est maître de conférences (HDR) à l’ICES (Institut catholique d’études supérieures).
Addendum : le communiqué de la fondation Jérome Lejeune après le vote au Sénat.
POUR AGIR :
Ecrivez à votre sénateur pour demander la suppression de l’article 5 (quinquies C) et le maintien de la notion de détresse dans la loi.
Modèle de lettre proposé par la Fondation Jérôme-Lejeune :
"Madame, Monsieur le sénateur,
J’ai appris que le projet de loi pour l’égalité entre les femmes et les hommes (n°1380) serait débattu en séance plénière à partir du 20 janvier 2014. Figurent dans ce projet de loi différents amendements qui conduisent à banaliser l’avortement.
Le respect de la vie de l’être humain est une valeur qui est antérieure à la loi. Ce n’est pas parce que l’avortement a été dépénalisé dans certains cas que cet acte peut être érigé en droit. Au nom de quoi le non respect du principe de protection de l’être humain dès le commencement de sa vie (article 16 du code civil) quitterait le régime d’exception sinon pour instaurer un droit de vie et de mort ?
De mon point de vue, il s’agit d’enjeux trop importants qui ne peuvent être votés sans un vrai débat national, c’est pourquoi je vous demande de voter contre ces amendements concernant l’avortement.
Confiant dans votre souci de l’intérêt général, je vous prie de croire, Madame, Monsieur le sénateur, à l'expression de ma considération,
(signature)"
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Pour en savoir plus :
L'IVG sans détresse : Simone Veil trahie
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