Article rédigé par Père Jean-Jacques Flammang, scj, le 04 octobre 2013
Faut-il parler de Dieu à l’école, et si oui dans quelles matières ? Pour le moment, c’est surtout au cours de religion où il est question de Dieu, alors que le fait religieux est abordé dans d’autres matières comme l’histoire ou la littérature, les sciences sociales ou la philosophie. Une chose est claire : la transmission de la culture européenne ne peut se faire sans référence à Dieu et aux religions. Se pose alors la question de savoir sous quel angle aborder tout ce qui concerne le religieux.
UNE NEUTRALITE en la matière n’est pas possible. Chacun de nous se rappelle ses professeurs et leurs attitudes. Les uns ne rataient jamais une occasion pour attaquer la religion ou pour se moquer des croyances religieuses, les autres étaient plutôt discrets et on ne savait pas s’ils croyaient ou pratiquaient une religion, d’autres encore ne cachaient nullement leurs opinions religieuses et communiquaient librement sur ce sujet. Du côté des élèves se retrouvaient des attitudes semblables, de sorte que vouloir éliminer la religion de l’école, c’est finalement en éliminer et les professeurs et les élèves.
Après les essais du XXe siècle de vouloir donner à l’école un enseignement sans les religions, des pays comme la France ont dû se rendre compte qu’un tel programme est néfaste pour les élèves. Il néglige tout un volet de la culture et donc ne permet pas de comprendre le monde dans lequel on vit. Il a donc fallu réintroduire à l’école, sous une forme ou une autre, sinon Dieu au moins le phénomène religieux.
Les religions et le savoir sur Dieu
Mais comment le faire ? Ici il est utile de distinguer au moins deux aspects. Il y a les religions, les croyances, les valeurs et les opinions que l’on peut étudier, discuter, juger et apprécier ; et il y a le savoir sur Dieu.
Le premier aspect peut être traité dans un cours de religion ou d’opinions, de culture générale ou d’histoire des civilisations. Il s’agit d’approcher de façon critique ses propres croyances ou opinions en les confrontant aux autres aussi objectivement que cela puisse se faire en ce domaine toujours imprégné de subjectivité et d’absolu.
Pour éviter une mainmise trop idéologique, il faut proposer différents cours selon les sensibilités religieuses des élèves. Ces cours peuvent se faire à l’école ou en d’autres lieux à côté des programmes scolaires. Mais ils ne peuvent en aucun cas se réduire à un cours unique qui endoctrinerait les élèves loin de leur tradition religieuse ou philosophique.
Les valeurs ne sont jamais neutres ; elles sont toujours liées aux groupes qui les vivent et les transmettent. Dans nos sociétés plurielles ces groupes sont multiples, et leurs valeurs ne sont pas nécessairement réductibles les unes aux autres. Les respecter dans leur diversité, c’est certes les reconnaître dans leur spécificité, mais c’est aussi les mettre en dialogue entre elles. Et ceci ne peut pas se faire sérieusement dans un cours unique, confié à un seul titulaire. Une éducation en vue de la paix et de la solidarité doit initier au dialogue dans le respect critique de la diversité des valeurs en présence.
Si l’école accueille des jeunes de diverses cultures et religions, elle ne peut pas proposer un seul et unique cours d’instruction religieuse et morale. Elle doit tenir compte de la diversité, tout en stimulant l’échange et le dialogue réciproque.
Reste le second aspect : celui de parler non plus des valeurs ou des religions, mais bien de Dieu lui-même.
La question de Dieu lui-même
Depuis le développement moderne de la rationalité, toutes les sciences ouvrent sur la réalité de Dieu, aussi bien la logique et les mathématiques que les sciences physiques, cosmologiques, biologiques, neurologiques et cognitives… Copernic, Galilée, Newton, Leibniz, Pasteur, Mendel, Einstein, Lemaître, Whitehead, Gödel, Eccles… tous les grands scientifiques modernes ont rencontré et traité la question de Dieu.
Certes, il y a aussi ceux, moins connus, qui oublient Dieu ou même qui nient son existence, mais un questionnement logique conséquent fait à chaque fois réapparaître Dieu à l’horizon de la réflexion scientifique.
Récemment, le grand public fut informé au sujet de la démonstration de l’existence de Dieu telle qu’elle avait été élaborée vers 1970 par le logicien Kurt Gödel[1]. On sait que Gödel a longtemps travaillé sur son argumentation logique avant de la communiquer à ses amis. Depuis une décennie, cette démonstration réapparaît dans de nombreux travaux logiques, et deux logiciens allemands l’ont vérifiée grâce à leur ordinateur. Conclusion : la démonstration du génial logicien Gödel est correcte.
Une démarche scientifique
L’attitude de méfiance envers tout ce qui concerne Dieu fait resurgir la critique classique que Dieu relèverait exclusivement de la croyance, peu importe les démonstrations[2]. C’est là une attitude largement partagée, mais non pas justifiée logiquement, comme le montre de façon convaincante Lorenz B. Puntel dans ses livres magistraux Struktur und Sein et Sein und Gott[3].
Une théorie générale systématique de l’être ne peut pas ignorer Dieu. Dans sa Réponse à Stephen Hawking[4], le physicien Wolfgang Smith montre lui aussi qu’une attitude athée ne peut être une conclusion des sciences cosmologiques.
Les recherches récentes en théologie naturelle se sont donné comme objectif de revisiter tous les domaines scientifiques pour voir comment y apparaît la question de l’existence de Dieu[5].
Que Dieu existe, semble de nos jours plus probable que sa non-existence. Ainsi le fameux défenseur de l’athéisme classique, Antony Flew, a montré dans son dernier livre[6] que vu les arguments scientifiques récents, il ne faut plus dire que Dieu n’est pas, mais plutôt que Dieu est. D’où le titre de son étude « There is no a God » : le « no » est barré et remplacé par « a ».
A-t-il raison comme le croient bon nombre de scientifiques contemporains ? Si oui, que faut-il en conclure pour la question de Dieu à l’école ?
Ici nous ne sommes plus dans le domaine des valeurs ou des croyances qui à la limite pourraient quitter une école qui se donne comme objectif d’enseigner le savoir. La question de Dieu se traite aujourd’hui de plus en plus dans le domaine scientifique proprement dit. L’ignorer ou ne pas en parler à l’école, ce n’est certainement pas rendre des services aux générations futures.
P. Jean-Jacques Flammang scj
Sur ce sujet :
Notre colloque "Les libertés éducatives", Nantes, ce 5 octobre 2013
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[1] cf. Tobias Hüter : Formel von Kurt Gödel. Mathematiker bestätigen Gottesbeweis. Spiegel On-lin Wissenschaft. http://www.spiegel.de/wissenschaft/mensch/formel-von-kurt-goedel-mathematiker-bestaetigen-gottesbeweis-a-920455.html
[2] cf. Tobias Hürter : « Auch wenn seine (= Gottes) Existenz tausendmal bewiesen würde : Gott bleibt Glaubenssache. » Cela n’est juste qu’en partie, car même si notre foi en Dieu est essentielle, l’existence de Dieu ne dépend pas de notre foi en Lui. Et donc Dieu n’est pas seulement une affaire de croyance ou de foi.
[3] Lorenz B. Puntel : Struktur und Sein. Ein Theorierahmen für eine systematische Philosophie. Tübingen, Mohr Siebeck, 2006, 687 pages. ISBN 987- 3-16-148964-0 et Sein und Gott. Ein systematischer Ansatz in Auseinandersetzung mit M. Heidegger, E. Lévinas und J.-L. Marion, Tübingen, Mohr Siebeck, 2010, 444 pages. ISBN 978-3-16-150146-3.
[4] Wolfgang Smith : Réponse à Stephen Hawking. De la physique à la science-fiction. Préface de Jean-Jacques Flammang. Traduit de l’anglais par Ghislain Chetan (Métaphysique au quotidien), Paris, L’Harmattan, 2013, 95 pages. ISBN : 978-2-434-00466-2.
[5] cf. The Blackwell Companion to Natural Theology, edited by William Lane Craig and J.P. Moreland. Oxford, Blackwell Publishing Ltd, 2012, 683 pages. ISBN 978-1-444-35085-2.
[6] Cf. Antony Flew with Roy Abraham Varghese : There is a God. How the world’s most notorious atheist changed his mind, Harper Collins, 2008, 222 pages. ISBN 978-0-06-133530-3. Il importe peu qui a finalement écrit ce livre, Varghese ou Flew. Ce qui importe ce sont les arguments qui y sont avancés et auxquels souscrit Antony Flew.