Hélie de Saint-Marc : un mystique de la fidélité et du pardon
Article rédigé par Denis Lensel, le 26 août 2013 Hélie de Saint-Marc : un mystique de la fidélité et du pardon

Hélie Denoix de Saint-Marc est mort ce matin, 26 août, à l’âge de 91 ans : sa vie aura suivi une trajectoire exceptionnelle à la mesure des cruelles épreuves qui ont ébranlé la France au XXe siècle.

RESISTANT dès 1941 à l’âge de 19 ans après avoir assisté à Bordeaux à l’arrivée du gouvernement en pleine débâcle, dénoncé, arrêté et déporté par les nazis en 1943 au camp de concentration de Buchenwald, il est envoyé dans un « kommando » de travail où la mortalité dépasse les 90%. Sauvé de justesse par un camarade letton, il se trouve cependant dans une baraque de mourants quand le camp est libéré par les Américains : inconscient, il a oublié momentanément jusqu’à son propre nom. Il figure parmi les trente survivants d’un convoi d’un millier de déportés.

Élevé dans la tradition de la démocratie chrétienne, il aurait pu faire carrière dans la politique sans difficulté avec ce passé de très jeune résistant déporté. Mais il veut servir autrement son pays. En 1945, il entre à Saint-Cyr. Trois ans plus tard, il part en Indochine comme officier de la Légion étrangère.

La blessure jaune

Il apprend le vietnamien, et parle longuement avec les prisonniers du Vietminh pour mieux comprendre tant leurs motivations que leur tactique… Il vit comme un drame l’ordre reçu lors d’un repli d’abandonner des populations locales qui faisaient confiance à la France… et qui seront massacrées, comme viendront en témoigner des survivants. Il restera profondément marqué par cette « blessure jaune »…

Nommé en Algérie, notamment aux côtés du général Massu, puis commandant par intérim du 1er Régiment étranger de parachutistes, en avril 1961, il participe au « putsch des généraux » d’avril 1961 contre la décision de De Gaulle de quitter l’Algérie : à ses yeux, c’est un abandon de trop pour l’armée française.

Sur ce point, le massacre ultérieur de nos alliés harkis restés sur place apportera une terrible justification à sa révolte. Toutefois, dans l’immédiat, il donne l’ordre à ses soldats d’éviter toute effusion de sang et de contenir la colère des civils « pieds-noirs ». C’est un « putschiste » à la fois calme et résolu qui ne tire pas de coup de feu inutile. Quand l’opération échoue, il se constitue prisonnier.

Cependant, lorsque la légalité de la Ve République est rétablie, il est condamné à dix ans d’incarcération. Mais il sera gracié en 1966, après cinq ans de détention à la prison de Tulle.

Les mémoires d’un sage

L’ancien officier commence une nouvelle carrière comme directeur du personnel dans l’industrie avec l’aide du président de la Fédération des déportés. Discret et serein, il ne fait aucune déclaration publique. En 1978, il est réhabilité dans ses droits civils et militaires.

En 1995, son neveu éditeur publie ses mémoires. Il fait quelques conférences en France et à l’étranger, sans aucune dimension polémique. Le concernant, les faits parlent d’eux-mêmes. En 2001, un Livre blanc de l’armée française en Algérie s’ouvre avec son interview. Un an plus tard, il publie un livre d’entretiens avec un ancien officier allemand de sa génération, August von Kageneck, lieutenant de la Wehrmacht en 1939-45 : avec l’aide du journaliste français Étienne de Montety, ils procèdent à un échange de vues pacifique sur leur jeunesse et leurs perceptions respectives de la Seconde Guerre mondiale.

Fin novembre 2011, à 89 ans, il est fait Grand-Croix de la Légion d’honneur par le président de la République Nicolas Sarkozy. Avec la distance d’une sagesse teintée d’humour, il commente ainsi ce geste : « La Légion d’honneur, on me l’a donnée, on me l’a reprise, on me l’a rendue… »

Hélie de Saint-Marc avait atteint depuis longtemps ce stade suprême de l’honneur qu’on appelle le détachement des biens de ce monde. Un détachement qui facilite la fidélité et le pardon.                                                                                                                                          

D. L.

 

 

« QUE DIRE A UN JEUNE DE 20 ANS »

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Quand on a connu tout et le contraire de tout,
quand on a beaucoup vécu et qu’on est au soir de sa vie,
on est tenté de ne rien lui dire,
sachant qu’à chaque génération suffit sa peine,
sachant aussi que la recherche, le doute, les remises en cause
font partie de la noblesse de l’existence.
Pourtant, je ne veux pas me dérober,
et à ce jeune interlocuteur, je répondrai ceci,
en me souvenant de ce qu’écrivait un auteur contemporain :
« Il ne faut pas s’installer dans sa vérité
et vouloir l’asséner comme une certitude,
mais savoir l’offrir en tremblant comme un mystère. »
A mon jeune interlocuteur,
je dirai donc que nous vivons une période difficile
où les bases de ce qu’on appelait la Morale
et qu’on appelle aujourd’hui l’Ethique,
sont remises constamment en cause,
en particulier dans les domaines du don de la vie,
de la manipulation de la vie,
de l’interruption de la vie.
Dans ces domaines,
de terribles questions nous attendent dans les décennies à venir.
Oui, nous vivons une période difficile
où l’individualisme systématique,
le profit à n’importe quel prix,
le matérialisme,
l’emportent sur les forces de l’esprit.
Oui, nous vivons une période difficile
où il est toujours question de droit et jamais de devoir
et où la responsabilité qui est l’once de tout destin,
tend à être occultée.
Mais je dirai à mon jeune interlocuteur que malgré tout cela,
il faut croire à la grandeur de l’aventure humaine.
Il faut savoir,
jusqu’au dernier jour,
jusqu’à la dernière heure,
rouler son propre rocher.
La vie est un combat
le métier d’homme est un rude métier.
Ceux qui vivent sont ceux qui se battent.
Il faut savoir
que rien n’est sûr,
que rien n’est facile,
que rien n’est donné,
que rien n’est gratuit.
Tout se conquiert, tout se mérite.
Si rien n’est sacrifié, rien n’est obtenu.
Je dirai à mon jeune interlocuteur
que pour ma très modeste part,
je crois que la vie est un don de Dieu
et qu’il faut savoir découvrir au-delà de ce qui apparaît
comme l’absurdité du monde,
une signification à notre existence.
Je lui dirai
qu’il faut savoir trouver à travers les difficultés et les épreuves,
cette générosité,
cette noblesse,
cette miraculeuse et mystérieuse beauté éparse à travers le monde,
qu’il faut savoir découvrir ces étoiles,
qui nous guident où nous sommes plongés
au plus profond de la nuit
et le tremblement sacré des choses invisibles.
Je lui dirai
que tout homme est une exception,
qu’il a sa propre dignité
et qu’il faut savoir respecter cette dignité.
Je lui dirai
qu’envers et contre tous
il faut croire à son pays et en son avenir.
Enfin, je lui dirai
que de toutes les vertus,
la plus importante, parce qu’elle est la motrice de toutes les autres
et qu’elle est nécessaire à l’exercice des autres,
de toutes les vertus,
la plus importante me paraît être le courage, les courages,
et surtout celui dont on ne parle pas
et qui consiste à être fidèle à ses rêves de jeunesse.
Et pratiquer ce courage, ces courages,
c’est peut-être cela
« L’Honneur de Vivre ».
Hélie de Saint-Marc

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Source :

www.heliedesaintmarc.com