Article rédigé par Nicolas Bonnal, le 17 août 2013
C’est le temps des concerts en plein air ou dans les abbayes. Le temps aussi de redécouvrir la plénitude du chant liturgique, et du simple cantique à la messe de nos campagnes. Pour le meilleur, mais aussi parfois pour le pire. Comment chantons-nous, et pourquoi ? Profitons de l’été pour méditer sur l’excellence de nos chœurs, et la beauté de nos messes chantées…
BEAUCOUP chantonnent à la messe le dimanche sans y prendre garde, laissant à des oreilles béotiennes et philistines le soin d’apprécier une véritable cacophonie de "bons choeurs" mais de voix éraillées. Si le prêtre et la chorale n’ont pas astreint l’assistance à une certaine discipline, cela peut à mon sens provoquer un véritable désastre sur le plan spirituel ; je le dis comme je le pense parce que de grandes voix et de grandes plumes se sont appliquées à dénoncer le chanté éraillé de la messe fatiguée qui n’honore pas Notre Seigneur.
Il faut d’abord voir que la messe n’est pas une corvée, pas plus que le dimanche.
Je me rappelle Sister Act, cette petite comédie osée racontant l’histoire d’une chanteuse réfugiée dans un couvent, et qui disait tout honnêtement que les gens préfèrent payer cent dollars au spectacle qu’aller écouter un chœur grelottant mais gratuit à la messe. C’est que le chœur – ou le cœur – n’y est pas. Le « catho » des médias, un peu oublieux de Bach et de Monteverdi, est alors le premier alors à collaborer à la mauvaise image qu’on a de lui, puisqu’il casse les oreilles de « son Dieu » comme de l’assistance.
Le chant religieux, en France et ailleurs
Pour étayer mon propos je commence par une référence littéraire du XIXe siècle. Nerval écrit ceci dans les chapitres européens (souvent ignorés, alors que passionnants) de son initiatique voyage en Orient ; on voit qu’il reproche au catholique français un fonds de tristesse, de mélancolie et aussi une absence de vocation quelque part sur le plan artistique. Il n’est pas le seul grand écrivain à penser ainsi dans son siècle : voyez Bloy, Flaubert, Huysmans, mais on fera mieux après, au temps de Bernanos par exemple.
"C'est qu'ici, comme en Italie, la religion n'a rien d'hostile à la joie et au plaisir. La taverne a quelque chose de grave, comme l'église éveille souvent des idées de fête et d'amour. Dans la nuit de Noël, il y a huit jours, j'ai pu me rendre compte de cette alliance étrange pour nous. La population en fête passait de l'église au bal sans avoir presque besoin de changer de disposition ; et, d'ailleurs, les rues étaient remplies d'enfants qui portaient des sapins bénits, ornés, dans leur feuillage, de bougies, de gâteaux et de sucreries… L'intérieur des églises, de Saint-Étienne surtout, était magnifique et radieux.
"
On est à Vienne, au pied de Stefansdom, dans la bienheureuse Autriche des Habsbourg, bien catholique et bien baroque. La religion n’a rien ici à voir avec le jansénisme et la mentalité radine du bourgeois français, elle est plutôt branchée friandise et décoration, dans de la joie et de la bonne humeur.
La pompe et le sceptique
Nerval traite ensuite le problème du chant religieux proprement dit à la messe, célébrant la beauté et la noblesse du chant religieux germanique :
"L’effet de ces chœurs aux milliers de voix est vraiment surprenant pour nous autres Français, accoutumés à l’uniforme basse-taille des chantres ou à l'aigre fausset des dévotes. Ensuite les violons et les trompettes de l'orchestre, les voix de cantatrices s’élançant des tribunes, la pompe théâtrale de l'office, tout cela, certes, paraîtrait fort peu religieux à nos populations sceptiques.
"
Nerval enfonce le clou :
"Mais ce n'est que chez nous qu'on a l’idée d'un catholicisme si sérieux, si jaloux, si rempli d’idées de mort et de privation, que peu de gens se sentent dignes de le pratiquer et de le croire. En Autriche, comme en Italie, comme en Espagne, la religion conserve son empire, parce qu'elle est aimable et facile, et demande plus de foi que de sacrifices.
"
Il est vrai que la France a subi une terrible révolution antichrétienne et que cela a sans doute refroidi l’ardeur des ouailles ultérieurement au siècle du positivisme mais comme le siècle précédent était déjà celui du libertinage… on continue avec Nerval :
"Ainsi toute cette foule bruyante, qui était venue, comme les premiers fidèles, se réjouir, aux pieds de Dieu de l’heureuse naissance, allait finir sa nuit de fête dans les banquets et dans les danses, aux accords des mêmes instruments. Je m'applaudissais d'assister une fois encore à ces belles solennités que notre Église a proscrites, et qui véritablement ont besoin d'être célébrées dans les pays où la croyance est prise au sérieux par tous.
"
L’Église n’a rien proscrit du tout, il suffit de lire la prose des saints pères comme je le fais régulièrement maintenant. Et de la relire.
L’Église n’a rien proscrit
J’ai relu donc le merveilleux discours de Benoît XVI au couvent des Bernardins, où l’on a eu droit à un feu d’artifice, un grand moment de l’histoire de l’intellectualité et aussi de la sensibilité chrétienne. Il y a tout dans ce grand texte qu’on gagne à lire et relire, comme une page de l’Évangile ou même un grand classique.
Sur le chant et la foi, avec sa douceur savante et pédagogue, le docteur subtil Benoît XVI énonçait les belles vérités suivantes :
"Pour saint Benoît, la règle déterminante de la prière et du chant des moines est la parole du Psaume : Coram angelis psallam Tibi, Domine – en présence des anges, je veux te chanter, Seigneur (cf. 138, 1). Se trouve ici exprimée la conscience de chanter, dans la prière communautaire, en présence de toute la cour céleste, et donc d’être soumis à la mesure suprême : prier et chanter pour s’unir à la musique des esprits sublimes qui étaient considérés comme les auteurs de l’harmonie du cosmos, de la musique des sphères.
"
Les chœurs angéliques ! On comprend alors que le chant à la messe est une chose très sérieuse, pythagoricienne, comme diraient les cuistres, et qui a un fondement théologique. En cas de cassage d’oreilles, voici ce qu’il en faut penser, toujours selon Benoit XVI au couvent des Bernardins :
"À partir de là, on peut comprendre la sévérité d’une méditation de saint Bernard de Clairvaux qui utilise une expression de la tradition platonicienne, transmise par saint Augustin, pour juger le mauvais chant des moines qui, à ses yeux, n’était en rien un incident secondaire. Il qualifie la cacophonie d’un chant mal exécuté comme une chute dans la regio dissimilitudinis, dans la ‘région de la dissimilitude’. Saint Augustin avait tiré cette expression de la philosophie platonicienne pour caractériser l’état de son âme avant sa conversion (cf. Confessions, VII, 10.16) : l’homme qui est créé à l’image de Dieu tombe, en conséquence de son abandon de Dieu, dans la "région de la dissimilitude", dans un éloignement de Dieu où il ne Le reflète plus et où il devient ainsi non seulement dissemblable à Dieu, mais aussi à sa véritable nature d’homme.
"
Casser les oreilles de Dieu
On ne peut pas être plus cruel : casser les oreilles de Dieu (à moins qu’on n’y croit pas, ou comme ça…) relève du péché de dissimilitude et de la cacophonie. C’est rompre avec Dieu, en tout cas produire le contraire de l’effet annoncé : le reliment à lui. C’est une suite du péché originel. Ce n’est tout de même pas pour rien qu’en France moderniste et républicaine on aime à se foutre des choristes et que le mot choriste rend je ne sais quoi de sémantique méprisante et condescendante. Mais Benoît XVI va plus loin :
"Saint Bernard se montre ici évidemment sévère en recourant à cette expression, qui indique la chute de l’homme loin de lui-même, pour qualifier les chants mal exécutés par les moines, mais il montre à quel point il prend la chose au sérieux. Il indique ici que la culture du chant est une culture de l’être et que les moines, par leurs prières et leurs chants, doivent correspondre à la grandeur de la Parole qui leur est confiée, à son impératif de réelle beauté.
"
Les penseurs athées du XIXe siècle comme Nietzsche ou Feuerbach s’énervaient de cette crise hypocrite du catholicisme qui voyait des gens s’entasser sans conviction et par habitude dans les églises bêlant et ânonnant sans conviction les plus beaux textes du monde. S’ils avaient entendu chanter de grands chœurs, le jugement eût été bien différent.
Il ne faut bien sûr pas généraliser mais retenir cette leçon-clé : dis-moi comment tu chantes à la messe, et je te dirais si tu crois. Prêtons donc l’oreille et efforçons-nous en chantant à messe.
Et le reste est littérature.
N. B.