Article rédigé par Général Jean-Germain Salvan, le 24 mai 2013
Depuis plus de deux ans, la presse a tout dit sur la Syrie et Bachar el Assad, sauf l’essentiel. D’éminents spécialistes des droits de l’homme auraient voulu que nous intervinssions pour éliminer Bachar el Assad et que nous instaurassions la démocratie à Damas, bien entendu sans accroître notre budget ou nos moyens militaires.
AUJOURD’HUI, les bonnes gens ne comprennent pas comment les recettes qui ont si bien réussi en Tunisie, en Égypte, en Libye échouent à Homs ou Alep. Les âmes sensibles se désolent de voir circuler sur l’Internet des images qui sont la preuve d’atroces crimes de guerre, anthropophagie comprise, crimes dont les auteurs se réjouissent, que dis-je, s’enorgueillissent.
Il me revient en tête un dialogue d’un film bien oublié : Trois de Saint-Cyr. Un officier spécialiste de la Syrie accueillait un camarade qui venait de combattre au Maroc et lui disait : « Ici, ce n’est pas du tout la même chose, c’est bien plus dur. » Il est évident que la majorité de nos journalistes et de nos diplomates n’a jamais vu ce film. Qu’apprend-on d’ailleurs dans nos universités et nos écoles, fussent les plus prestigieuses, sur l’islam et ses variantes ou sur le Proche-Orient ?
Un peu d’histoire
Sous l’Empire ottoman, la province de Syrie comportait la Syrie actuelle, le Liban, la Palestine, dont ce qui est devenu Israël, et la Jordanie. Dès le découpage qui suivit la Première Guerre mondiale, les Syriens ont revendiqué la reconstitution de la Syrie ottomane.
Sous cet empire turc, la situation des alaouites (partisans d’Ali, gendre de Mahomet, donc d’une religion qui est une variante du chiisme), fut pire que celles des chrétiens et des juifs, protégés par le statut de dhimmis : les alaouites étaient considérés comme des hérétiques, condamnés à l’extermination par une décision religieuse (fatwa) d’Ibn Tamiyya, au XIVe siècle de notre ère : cette décision n’a jamais été annulée. Les alaouites étaient de véritables serfs, exploités et mal traités.
Au début du mandat français, nous avions pensé les inclure dans le Liban. Mais c’est sous la tutelle de la France que les alaouites devinrent des citoyens syriens à part entière : ils nous en étaient très reconnaissants. Lors de mes voyages en Syrie, on ne nous reprochait qu’une faute : avoir cédé à la Turquie le sandjak (préfecture) d’Alexandrette, peu avant la Deuxième Guerre mondiale…
Coups d’États
Lors de l’indépendance de la Syrie et du départ des troupes françaises à partir de 1946, les sunnites prirent le pouvoir. Le premier soin de ces « démocrates » fut de faire appel à d’anciens nazis pour organiser la police et les services de sécurité. Il y eut une éphémère union entre l’Égypte et la Syrie de 1958 à 1961 : même entre sunnites, les relations sont souvent difficiles. L’islam comprend aussi mal le phénomène national que feue l’Union Soviétique…
Des coups d’État, souvent préparés à Beyrouth, se succédèrent jusqu’en 1974. Hafez el Assad prit alors le pouvoir et il instaura un régime autoritaire laïque, basé sur l’union de toutes les minorités : chrétiennes, druzes, chiites, alaouites, turkmènes, kurdes. Malgré tout, le poids de ces minorités restait inférieur à celui de la majorité sunnite. C’est pour cela que l’union du Liban et de la Syrie fut l’objectif constant d’Hafez el Assad, pour s’assurer d’une majorité incontestable contre les sunnites. Israël et les Palestiniens étaient le dernier de ses soucis.
En 1980, quatre-vingt cadets alaouites furent égorgés par des sunnites à l’académie militaire syrienne. Au pays de la loi du sang (dîa), la riposte fut immédiate et sanglante : à Homs et Hama, il y aurait eu vingt mille morts.
Une nouvelle guerre de religion
En 1978, l’arrivée au pouvoir de Khomeini en Iran et la fuite du Shah furent pour les monarchies traditionnelles d’Arabie et du Golfe arabo-persique un coup de tonnerre : on pouvait éliminer, au nom de l’islam, un monarque musulman sûr de lui.
À partir de 2011, ce fut « le printemps arabe » et la découverte de gisements de gaz et de pétrole au large de Chypre, du Liban, de la Syrie, d’Israël. Du coup, ces monarchies traditionnelles relancèrent à grands renforts de dollars, avec la connivence des États-Unis et la complicité de la Turquie, la lutte contre les hérétiques chiites de diverses obédiences. C’est une guerre de religion, qui se traduisit par l’écrasement des chiites à Bahrein en 2011 : nul ne protesta parmi les champions de droits de l’homme.
Depuis plus de deux ans, une partie de nos diplomates et de nos médias prétendent que le régime de Bachar el Assad est au bord de l’effondrement, et qu’il massacre son peuple. Les crimes de guerre sont hélas partagés entre les deux camps, pour qui ne s’en tient pas à la propagande des média saoudien et katari...
Vaincre ou mourir
Car la Syrie est le champ de bataille principal d’une guerre de religion opposant sunnites et chiites : dans la partie psychologique du combat, Al Djezira et Al Arabia tirent à boulets rouges sur Bachar el Assad et les alaouites ; l’Office syrien des droits de l’homme est une officine tenue par les sunnites, avec quelques idiots utiles. Ce comité est financé par les monarchies du Golfe, dont on sait combien elles se soucient des droits de l’homme chez elles…
Pour les alaouites, il est clair qu’ils doivent vaincre ou mourir. Et pour leur bonheur, ils bénéficient du soutien de la Russie, de la Chine, de l’Iran, du Hezbollah libanais : tandis que nos dirigeants occidentaux font des discours, eux mettent en œuvre des politiques et des stratégies.
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Il y a certes une tradition française de combattre pour le roi de Prusse. Mais aurions-nous à prendre partie dans cette guerre de religion ? On ne fait pas de bonne politique avec de bons sentiments, mais en discernant nos intérêts et en les défendant.
Général (2e section) J.-G. Salvan,
22/5/2013.
Source : Geocurrents Map / Spiritualityireland.org