Manif pour tous : l’avenir
Article rédigé par Pierre de Lauzun, le 05 mai 2013 Manif pour tous : l’avenir

Il n’est pas besoin d’insister sur la nouveauté absolue du mouvement de La Manif pour tous dans le contexte français et même international. À nouveau 120.000 personnes dans les rues de 15 villes de France ce dimanche 5 mai. On n’a pas vu depuis 30 ans et plus pareille mobilisation sur la durée, à contre-courant du politiquement correct dominant, avec des méthodes à la foi inventives et exemplaires. Mais au-delà de la question immédiate du “mariage pour tous”, quel sens ce mouvement peut-il prendre à l’avenir ?

À MON SENS, pas dans le champ politique large, incluant l’économique et les social, et fondé sur le compromis. Mais je vois deux objectifs majeurs : imposer une alternative au politiquement correct dans ces matières essentielles que sont la famille et la vie ; faire sortir de la conception de la démocratie comme dictature majoritaire. Ce qui implique la poursuite du mouvement sous une forme originale. La créativité est à nouveau à l’ordre du jour.

Extrême retenue

Nouveauté majeure qu’une telle mobilisation, dans son ampleur et ses modalités. On n’a pas vu depuis 30 ans et plus une pareille mobilisation sur la durée. Et surtout nouveauté dans son orientation à contre-courant du politiquement correct dominant. Ce qui n’est pas facile dans l’écosystème médiatique où nous vivons.

J’ai déjà souligné dans un autre article les contraintes dures que cette situation imposait à l’expression publique du mouvement, à commencer par les manifestations. On court toujours le risque d’un empire excessif du politiquement correct – et d’un appauvrissement du message. Mais quiconque a une connaissance minimale des usages de l’expression politique ne peut manquer d’être frappé par l’extrême retenue et contrôle de soi que le mouvement de La Manif pour tous manifeste depuis le début.

Et en contraste par le traitement politique et médiatique qu’il reçoit, systématiquement tourné vers les rares exceptions à cette conduite exemplaire, vraies ou le plus souvent fausses. Ou par l’obsession fébrile du contrôle policier, intervenant dès que quoi que ce soit pourrait déboucher sur de l’imprévu.

De ce point de vue aussi le mouvement est inédit par ce qu’il révèle de l’appareil de défense du système dominant. Avec déjà un résultat, la lucidité : il est désormais clair que, contrairement à ce qui est affirmé dans les discours officiels et les cours d’instruction civique, il y a bien une idéologie dominante ; et que ce qui s’en écarte n’est que toléré, et prié de rester dans l’insignifiance. À défaut, on veille à l’y ramener. C’est ce qui justifie le parti qui a été choisi d’éviter tout heurt frontal, et de s’accommoder des règles du jeu médiatique dans l’expression. Malgré les inconvénients, il est en effet impératif d’éviter les classifications qui vous cataloguent définitivement. Car le jeu médiatique a alors tôt fait de vous coller une étiquette mortelle.

On a pu aussi constater le bienfait du positionnement en termes de loi naturelle. Si en effet la mobilisation s’était faite sur des motifs explicitement et exclusivement  religieux, elle ne serait pas passée : outre les étiquettes médiatiques inévitables et rédhibitoires, cela n’aurait pas été jugé acceptable par la plupart des gens. À raison sans doute, car il s’agit d’une loi applicable à tous et que la majorité des gens n’est pas chrétienne. En même temps il faut défendre le droit de ceux qui affichent leur foi. En sachant qu’alors l’impact et les messages sont différents.

Un tournant de société

Au-delà, reste la signification de la mobilisation. L’intensité du mouvement a une signification essentielle qui va au delà de la quantité.

Rappelons-nous l’époque de la loi sur l’avortement : le virage législatif d’alors était terrifiant puisqu’on s’est mis alors à tuer impunément des embryons… Mais la mobilisation avait été négligeable. Dans cette nouveauté, il y a bien sûr des facteurs techniques, notamment l’Internet, fabuleux outil de mobilisation immédiate. Mais cela ne suffit pas : il y a évidemment aussi des raisons de fond. Et sans doute en définitive le sentiment  qu’on est devant un tournant encore plus large de la société, d’un enjeu décisif. Ce que met en évidence l’adoption officielle de la théorie du genre, qui remet en cause radicalement l’image de l’homme, de la femme et de la famille.

On comprend alors cette chose douloureuse qu’on ne peut pas compter sur la loi, sur le système public dont on attendait vaille que vaille un certain appui au bien commun. Mais c’est aussi que l’époque est plus mûre : la postmodernité qui nous domine depuis 30 ans ne va plus de soi, elle connaît une crise profonde alors même qu’elle se radicalise. Et elle devient de plus en plus intolérante. C’est quand les ténèbres sont épaisses que la nuit commence à se tourner vers le jour.

Un progressisme qui ne passe plus

Bien sûr le système n’est pas sot et sait lui aussi manœuvrer – même s’il a dans un premier temps grossièrement sous-estimé la réaction possible. C’est d’abord la carte de la souplesse,  la méthode éprouvée du salami (on ne fait avaler à chaque fois que ce qui peut passer) : la PMA et la GPA sont évidemment au programme, mais on jure ses grands dieux que c’est loin et pas du tout décidé.

C’est ensuite l’argument de la tolérance : on explique que le mariage pour tous ne retire pas de droit à qui que ce soit, mais en donne de nouveaux à certains. Mais justement, il est intéressant de noter que ces arguments n’ont convaincu que ceux qui l’étaient déjà. Car nous savons tous que le mariage est un statut public, qui intéresse tous les citoyens. Que c’est une disposition du droit, qui a des effets fiscaux et sociaux non négligeables (citons simplement les pensions de réversion, payées par la solidarité de tous). Et surtout que le statut de la famille et de l’enfant ne peut laisser personne indifférent.

C’est là aussi une des révélations de ce débat : la prise de conscience du terme de plus en plus visible du projet progressiste et de ses enjeux. L’opium marche de moins en moins.

Pour toutes ces raisons il semble qu’il y a un large avenir possible pour ce mouvement — au-delà du débat immédiat. Les questions de fond touchant à la famille, à l’école (dans ses enseignements fondamentaux sur ce plan), l’avortement, l’euthanasie et la fin de vie, la pornographie etc., sont centrales ; en elles des principes sont en jeu qui sont mis en cause directement et frontalement par le système idéologique dominant. Elles feront régulièrement l’objet de décisions publiques, et donc de débats possibles. Il y a donc matière à une action continue et résolue — qui devra d’ailleurs accompagner une résistance active et juridiquement pas facile (pensons aux maires réfractaires à la nouvelle loi, qu’il faudra accompagner et soutenir).

Élargissement difficile

Cela peut-il s’élargir à d’autres sujets ? L’économique, le social, l’Europe, la mondialisation, l’organisation territoriale ? L’immigration ? Je n’en suis pour ma part pas convaincu. Parce que précisément dans ces matières il est rare que le problème se pose dans les termes précédents.

D’une part, les critères de choix ne mettent en général pas en jeu des principes aussi fondamentalement différents entre les protagonistes. D’autre part, le jeu politique est supposé animer ces multiples débats, avec la nécessité qui est la sienne de prise en compte des contraintes multiples, notamment matérielles, et de faire des compromis, qui relèvent d’une autre logique. On connaît en effet l’objection faite à la Manif pour tous par bien des chrétiens progressistes : pourquoi n’y a-t-il pas de mobilisation comparable sur d’autres sujets (surtout sociaux ou économiques : pauvres, immigrés etc.) ? Elle est sérieuse et ne peut être traitée à la légère.

Mais redisons-le : il n’y a pas de frontière claire dans ces domaines, ni de texte mettant en jeu des principes tranchés, comme pour l’école ou la famille. Plus exactement, il n’y a pas d’acte politique susceptible d’une décision mettant directement en jeu un principe : ni dans le fiscal, ni dans la politique économique, ni même dans le social. Sauf si quelqu’un proposait une modification manifestement disruptive, s’opposant directement à la loi morale ; mais il n’est pas facile de discerner laquelle mériterait une mobilisation de cette ampleur.  

Certes une série de décisions mineures peut aboutir à un changement profond. Mais les moyens d’action sont alors différents. La pauvreté par exemple est un fait qui doit nous mobiliser, sans le moindre doute. Mais on ne voit pas quel texte l’éradiquerait, et l’action à mener ne prend a priori pas la forme d’un débat en oui ou non sur de nouvelles lois.

La dérive totalitaire

En revanche, outre les questions majeures de la vie et de la famille, il peut y avoir un objectif politique plus substantiel, dont cette affaire a révélé le besoin : c’est celui de la bonne procédure démocratique. Dans un contexte allemand ou scandinave, on aurait eu un large débat avant la rédaction du texte et a fortiori la décision. Peut-être les partisans de la mesure auraient-ils alors compris ce qu’ils faisaient et seraient-ils revenus à plus de raison.

Peut-être cela aurait-il débouché sur un compromis (élargissement du PaCS, union civile). Sûrement pas une très bonne solution, peut-être un moindre mal, qui pourrait laisser les principes saufs. Le résultat n’est pas garanti. Mais ce qu’on aurait évité, c’est un tel passage en force sur un texte hâtivement préparé par un cabinet ministériel, et l’effarant mépris officiel de ce qui est sans doute à nouveau le plus grand mouvement de mobilisation collective depuis 30 ans. Même avec les chiffres de la police !

 

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En résumé il me semble qu’il y a au moins deux objectifs possibles pour l’avenir : imposer une alternative au politiquement correct dominant dans toutes les matières essentielles que sont la famille, l’enfant, l’école et la vie ; imposer qu’on tienne compte d’une telle conviction, même quand la majorité est orientée autrement, et donc sortir de la conception de la démocratie comme dictature majoritaire.

Mais il ne va pas de soi que cela puisse s’étendre aux matières économiques et sociales, ou à d’autres sujets politiques ou techniques. Ce qui implique donc la poursuite sous une forme originale. Pas de candidats propres aux élections. Mais une présence et une pression constantes, avec le rappel de l’essentiel. Et bien sûr nourrir les partis existants de cette réflexion et de cette action — autant qu’on le pourra.

 

P. de Lauzun est essayiste.
Dernier ouvrage paru : L'Avenir de la démocratie (F.-X. de Guibert, 2011)

 

 

Photo : © LMPT-Bonnafont/Liberté politique