Article rédigé par Henri Hude, le 26 avril 2013
Le philosophe s’interroge sur les suites que pourrait prendre la mobilisation gigantesque et inattendue du « peuple des familles » qui s’est levé avec intelligence et dans la paix pour défendre le mariage. Comment transformer ce réveil des consciences en perspectives politiques ?
LA MANIF POUR TOUS marque un renouveau de la vie politique en France. Remportant des succès tactiques remarquables, le peuple des familles s’organise et prend conscience de sa force, mais peine à obtenir des résultats politiques concrets (1). Ce peuple des familles n’est pas la seule cible de la petite minorité qui nous gouverne, qui représente de moins en moins le pays et qui répond de moins en moins à ses attentes (2). Pour l’emporter, il doit chercher des alliés et donc s’ouvrir aux autres forces sociales qui portent des revendications légitimes, également opprimées par le même ennemi du bien commun (3).
1- La Manif pour tous : des victoires tactiques mais pas encore de résultat stratégique
La « Manif pour tous » a obtenu un succès tactique remarquable et inespéré : pour la première fois depuis très longtemps, l’adversaire « politiquement correct » est réduit à la défensive et à la radicalisation.
Ce succès est le résultat du courage politique d’un certain nombre de précurseurs, et de l’intelligence de leur tactique.
En effet, La Manif pour tous s’est dotée d’instinct d’une tactique de grande modération :
- ne ciblant ni le cœur, ni l’ensemble du système économique, politique, idéologique et sociétal, voulu par la petite minorité libertaire,
- se concentrant sur la loi Taubira et ses excès odieux (adoption, PMA, GPA, etc.),
- évitant la violence. Notons que l’adversaire, déconcerté, a réagi par des excès contreproductifs.
Cette tactique de résistance dans la paix a rendu le pilonnage médiatique peu efficace et a permis une mobilisation massive. Ceux qui se sentaient hier encore isolés et en état d’infériorité ont pu mesurer leur force, avec stupéfaction. Ils ont pris conscience de l’extrême vulnérabilité stratégique d’un régime qui, dans tous les domaines, est au bord de l’effondrement.
Toutefois, malgré son succès tactique remarquable, la « Manif pour tous » peine à atteindre des objectifs politiques concrets.
Le peuple des familles bute sur les murailles d’un système nihiliste, dont la mise au pas idéologique est le dernier levier d’action. C’est pour cela que cette petite minorité qui dispose de presque tous les pouvoirs politiques et institutionnels (en termes classiques : cette « oligarchie[1] ») s’y agrippe avec l’acharnement de ceux qui sentent les rapports de force s’inverser.
Face à ce déni de démocratie, les familles de La Manif pour tous doivent rompre leur isolement stratégique et passer des alliances avec les autres forces sociales du pays. Le combat pour la liberté d’éducation et le statut social des familles est parfaitement légitime et nécessaire, mais il n’est qu’une des grandes revendications de justice que le peuple français porte contre l’organisation présente.
2- Les autres forces démocratiques non représentées
Il existe dans notre pays d’autres forces qui portent une volonté sincère de réforme économique, démocratique et institutionnelle. Elles aussi sont dans l’impasse. Chacune a ses qualités et ses faiblesses. Aucune n’est représentée démocratiquement.
Pour transformer les succès tactiques de La Manif pour tous en victoire stratégique durable, il faut nouer les alliances indispensables avec les deux autres forces sociales opprimées par le pouvoir. Ces deux forces, appelons-les : les « Pigeons » et les « Florange ».
Le mouvement des « Pigeons ». Ce fut, on s’en souvient, un embrasement spontané des entrepreneurs. Ce sont eux qui investissent et créent des emplois en France et que l’ordre administratif et fiscal traite en ennemis numéro 1, et étouffe par ses taxes et ses normes. Cette technocratie pourtant, ne survit que parce qu’ils sont là et qu’ils acceptent de payer des taxes.
Cette courte révolte des entrepreneurs pour leur survie économique, qui est aussi la nôtre, a été étouffée. Comme le peuple des familles aujourd’hui, le peuple des entrepreneurs s’est battu seul et n’a pu réformer le système oligarchique.
Or le combat des « Pigeons » concerne au premier chef les classes laborieuses (les « Florange »), ainsi que les familles. En effet ce sont les PME qui créent les emplois pour la jeunesse. Ce ne sont pas les grands groupes, qui pourtant bénéficient de l’appui des niveaux étatique et administratif. Les grands groupes, à l’exception des institutions financières, peuvent très bien survivre malgré l’effondrement de la France. Ce n’est pas le cas des PME.
Et comment un pays peut-il être démocratique s’il n’existe pas de puissances intermédiaires et indépendantes comme le sont les PME prospères ? Comment une démocratie équilibrée, et non pas monopolisée par une ultra-minorité, peut-elle exister, sans de libres associations de familles jouant pleinement leur rôle ? Comment peut-elle exister sans associations de salariés exerçant avec réalisme une pression responsable, orientant l’économie vers le développement local et le progrès social ? Comment peut-il en un mot exister de démocratie qui ne soit pas un simple mot couvrant la réalité d’une oligarchie, sans de tels corps intermédiaires ?
Le mouvement des Florange. Depuis de longues années, notre pays a cessé d’être gouverné dans l’intérêt économique des classes laborieuses. Elles se dressent régulièrement, alors qu’elles voient s’effondrer petit à petit leur outil de travail et leur avenir économique.
La conjonction du socialisme étatique, administratif et social avec le grand mouvement de financiarisation et de libéralisation de l’économie est mortelle pour l’avenir économique de tous ceux qui ont besoin de travailler pour vivre. Le refus de toute la classe politique de réformer le système étatique et de développer une stratégie économique d’adaptation au monde tel qu’il est, voici la raison de l’effondrement économique du pays.
Les protestations de la classe laborieuse, sa souffrance et ses convulsions sont cyniquement exploitées en temps d’élection, et abandonnées aussitôt après.
Ceux qui deviennent les pauvres, et demain les misérables, de France, sont politiquement dans l’impuissance et le désespoir. Ils savent bien que ce ne sont pas des néo-communistes libertaires qui remettront le pays sur la voie du développement économique et du progrès social.
Ainsi, les classes populaires elles aussi, sont bloquées devant le mur de l’oligarchie, car cette élite sans légitimité ne remettra jamais en cause son système idéologique ni son système de petites positions privilégiées.
Pourtant, le combat des « Florange » pour le travail concerne toutes les familles de France. Celles-ci, au-delà de leurs légitimes préoccupations d’ordre sociétal ou éducatif, se soucient de plus en plus de l’emploi futur de leurs enfants. Le combat des « Florange » concerne aussi toutes les petites et moyennes entreprises de France, qui sont, de leur côté, toujours par idéologie, étouffées, au bénéfice exclusif de l’oligarchie.
3- Union des trois mouvements
La fraction politico-médiatique de la petite minorité qui nous gouverne est passée maître dans l’art de diviser pour régner et d’exploiter les vieux réflexes culturels.
Admettons en effet qu’il n’est pas naturel à nombre de participants de la Manif pour tous, d’étudier à fond les préoccupations des syndicats non idéologiques, pour voir ce qu’il y a de légitime dans leurs revendications. Inversement, dans les classes populaires confrontées à la pauvreté, la défense de la famille, ou bien de la liberté des entrepreneurs n’est pas une préoccupation majeure.
Et pourtant, sans une alliance substantielle, tous les partis réformateurs seront battus les uns après les autres par l’ultra-minorité, qui à défaut d’être le nombre, ne manque pas de moyens. Mais les réformateurs peuvent l’emporter, si chacun cesse de se désintéresser du sort des autres.
Les réformateurs français doivent donc s’ouvrir les uns aux autres, et comprendre la légitimité des demandes des autres, au-delà des vieilles divisions traditionnelles.
Face à l’oligarchie libertaire, la « Manif pour tous », avec les « Florange » et les « Pigeons » est ainsi une des trois forces d’un « triangle démocratique ». Isolée, aucune de ces forces ne peut secouer le joug. Unies, elles représentent une majorité écrasante, ainsi que la légitimité historique d’un mouvement de réforme fondamentale.
En effet, ce triangle démocratique représente TOUT ce qui produit, éduque et innove dans ce pays, bien que politiquement il ne représente RIEN. A l’inverse, chacun a compris que cette ultra-minorité nihiliste, véritable parasite de la démocratie, possède tous les leviers du pouvoir et de l’influence, alors qu’en réalité elle ne représente personne.
La question est donc : voulons-nous devenir politiquement QUELQUE CHOSE ? Voulons-nous réellement gagner ? Voulons-nous reconquérir pour nos enfants un avenir économique, une liberté politique, une possibilité de vie familiale digne et indépendante ? Alors, il faut s’ouvrir, aller vers les autres forces démocratiques du pays, comprendre leurs enjeux, parler avec eux, montrer qui nous sommes et les découvrir eux aussi, au-delà des clichés, faire connaissance, faire peuple à nouveau, apprendre à dépasser les divisions artificielles qui ne profitent qu’au désordre existant.
Quand sera faite l’union des trois forces démocratiques, quand elle aura des organes de direction et une stratégie, alors elle s’imposera naturellement et pourra organiser la réforme sociale et économique. Les dirigeants actuels ne pourront plus que se rallier, se réformer, ou partir. Le pays pourra alors reconstruire son avenir, dans un plein sens de nos responsabilités en Europe et dans le monde.
16 avril 2013,
Henri Hude vient de faire paraître La Force de la liberté
Pour en savoir plus :
www.henrihude.fr
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[1] Du grec ancien oligoi, qui signifie « un petit nombre ».
Photo : © LMPT-Bonnafont/Liberté politique