Article rédigé par Roland Hureaux, le 28 mars 2013
On ne comprend pas l’obstination de François Hollande et de la plupart des socialistes à faire passer en force le « mariage » homosexuel si on ne voit pas dans quelle vision de l’histoire, totalement simpliste, elle s’inscrit.
Dans la culture (il faudrait plutôt dire inculture !) socialiste d’aujourd’hui, l’histoire de France n’est depuis 1789 qu’une longue marche en avant vers la lumière et le progrès que rien n’est venu interrompre et sur laquelle aucun doute n’est permis.
Curieusement, les contre-révolutionnaires de type Civitas, pour qui 1789 est le début d’une longue descente aux enfers de notre pays par le triomphe supposé de l’individualisme, ne voient pas les choses autrement, c’est-à-dire mécaniquement !
Dans cette perspective linéaire, le « mariage pour tous » est la suite logique de l'égalité des droits prônée par la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen du 26 août 1789, comme la légalisation de l’homosexualité, émancipant la loi et la morale des « tabous religieux » prolonge la laïcité de Jules Ferry.
Peu importe que l’Assemblée constituante n’ait jamais pensé que le droit au mariage puisse faire partie des droits naturels et imprescriptibles ni a fortiori que la relation d’un duo homosexuel puisse avoir la qualité de mariage. Peu importe que la morale laïque à laquelle se référait Jules Ferry ait eu, pour lui, un caractère universel et pérenne, qui n’eut laissé aucune place à un « mariage homosexuel ».
Un hégélianisme de supermarché
Inspirés par un hégélianisme de supermarché pour lequel la vérité morale et politique est à chercher dans l’air du temps, les socialistes diront que l’évolution de mœurs est en soi normative, que les normes n’ont aucun caractère fixe, qu’elles évoluent avec les époques et qu’il est donc normal que ce qui paraissait impensable pour la gauche du XIXe siècle apparaisse comme un progrès dans les générations ultérieures, plus éclairées cela va de soi.
Les mœurs précèdent d’ailleurs généralement la loi et le rôle d législateur sera de « mettre la loi en conformité avec les mœurs ». De cette évolution à sens unique vers le progrès et le bonheur de l’humanité, la gauche se flatte de représenter l’avant-garde parce que, fille des Lumières, elle croit n’être prisonnière d’aucun dogme. Et face à cette évolution, il y a, comme il y a toujours eu, selon elle, des forces de résistance, voire de réaction qui n’ont que le défaut d’avoir un temps de retard. Parmi ces forces, la droite, les religions en général, mais particulièrement l’Église catholique.
Cette position philosophique très simplificatrice explique largement le comportement de la majorité actuelle « sur l’ouverture du mariage aux personnes du même sexe ».
Aucun débat possible
D’abord le refus du débat. Entre ceux qui s’estiment dans « le sens de l‘histoire » et ceux qui sont supposés contre, les rétrogrades, les réactionnaires, aucun débat n’est possible, comme entre ceux qui sont inspirés par l’Esprit Saint (l’Esprit absolu en l’occurrence que Hegel avait cru voir souffler à Iéna), et ceux qui ne le sont pas. Qu’importe l’opinion des seconds, puisqu’ils sont destinés, comme le disaient les marxistes, aux « poubelles de l’histoire ». La tyrannie du sens de l’histoire dispense de tout débat sur le fond : savoir ce qui est bon ou pas pour la société n’a, dans une telle perspective, aucune importance.
La deuxième conséquence est leur insensibilité aux résistances. Les socialistes sont persuadés que, comme tant de fois dans le passé, les rétrogrades feront une crise d’urticaire sur le moment, analogue à l’intolérance provisoire de l’organisme à un corps étranger, puis, la crise surmontée, ils se feront à la nouveauté. C’est en particulier le cas, selon eux, des catholiques qui se sont faits au travers du temps à la Révolution française, à l’école laïque, à la République, au divorce, à la séparation de l’Église et de l’État, au progrès social, à l’égalité homme-femme, à la légalisation de l ’avortement, au PaCS, etc. Même si aujourd’hui, ils sont un million à manifester, ils finiront bien par se calmer et s’adapter comme ils l’ont toujours fait ; c’est ce qu’a dit le président de la République lors de l’audience qu’il a accordée à Frigide Barjot.
Or nous pensons que, sur à peu près tous ces sujets, les socialistes ont tort.
La double erreur des socialistes
D’abord l’histoire n’est pas aussi simpliste que ce qu’ils croient. Un examen attentif de l’histoire des deux derniers siècles nous éloigne de cette vision à bon marché que nous venons d’évoquer et qui a suffi aux nombreux énarques se trouvant dans le gouvernement actuel à passer l’épreuve du troisième jour de l’ENA.
Cette histoire n’est pas, autant qu’ils le croient, une marche en avant uniforme vers le progrès, pas plus qu’elle n’est, comme le considèrent les intégristes, une lente et progressive descente aux enfers. L’héritage de 1789 : ce sont d’excellentes choses, ce sont aussi les grandes idéologies criminelles du XXe siècle, en tous les cas le marxisme.
La gauche qui se veut la grande prêtresse du sens de l’histoire, a poussé entre 1900 et 1970 dans le sens du progrès social : meilleure sécurité juridique et financière des travailleurs, intervention de l’État dans l’économie, développement des droits sociaux. Or, depuis les années quatre-vingt, la montée de l’ultra-libéralisme à l’échelon international fait que le détricotage de toutes ces avancées apparaît tout autant dans le sens de l’histoire, surtout s’il se fonde sur l’alibi européen. Pour cette raison, la gauche (en dehors d’une aile chevènementiste jugée « moisie ») qui n’a pas d’autre dieu que ce prétendu sens, est forcée d’admettre ces reculs, quand elle n’en prend pas l’initiative.
La colonisation fut, au temps de Jules Ferry et de son propre aveu, dans le sens de l’histoire ; elle ne l’est plus depuis longtemps. En attentant peut-être que le néo-colonialisme, comme le néo-libéralisme, le soit à nouveau. Ne serait-ce pas le sens des événements du Mali ?
D’ailleurs qu’est-ce qui est un progrès et qu’est-ce qui ne l’est pas ? La promotion des langues régionales était réactionnaire sous Jules Ferry, elle est aujourd’hui progressiste. La promotion de l’homosexualité mieux portée chez les personnages de Proust que chez ceux de Zola, aussi, soit dite en passant. À voir Martine Aubry, maire de Lille, imposer la viande hallal à tous les écoliers et réserver à certaines heures les piscines aux femmes, on peut se demander si la laïcité est encore de gauche et, en tous les cas, dans le sens de l’histoire. Il semble bien que, pour les socialistes, la seule laïcité admissible soit celle qui combat l’Église catholique, même quand celle-ci ne se réfère, comme c’est le cas aujourd’hui, qu’à une morale universelle que n’aurait pas désavouée Jules Ferry.
Anti catholicisme
L’Église catholique n’a pas toujours été depuis deux siècles, contrairement à ce qu’on croit rue de Solferino, un frein au supposé « progrès ». Ainsi l’encyclique Rerum Novarum de 1891, qui remet en cause le capitalisme libéral, est apparue prophétique avec le recul. Quand Rome condamne en 1937 à quelques jours d’intervalle le nazisme et le communisme, elle est apparue rétrograde à beaucoup d’intellectuels de ce temps qui pensaient que la démocratie avait fait son temps et que seuls les régimes autoritaires étaient désormais dans le sens de l’histoire. Or l’avenir a montré que c’était elle qui avait raison, non seulement au regard de la morale mais aussi de l’histoire. L’Église a plutôt précédé que suivi le mouvement de décolonisation en promouvant très tôt le clergé indigène.
S’agissant de la prétendue résignation des catholiques aux changements imposés par les « progressistes », il ne faut pas tout mélanger. La Révolution française n’a jamais fait l’objet d’une condamnation « en bloc » par la papauté, mais seulement la Constitution civile du clergé, abrogée par le Consulat au bénéfice d’un Concordat négocié avec la papauté. La République, contrairement à ce qu’on croit, n’a jamais été remise en cause dans son principe ; si, pour des raisons sociologiques, les élites catholiques furent plutôt monarchistes au XIXe siècle, elles étaient, pour les mêmes raisons, républicaines en Irlande.
L’Église a dû accepter l’école laïque, mais une école catholique s’est reconstituée au fil des ans et, quand la gauche a voulu nationaliser celle-ci dans les années quatre-vingt, c’est elle qui a perdu, le monopole d’État qu’elle défendait ne correspondant plus à l’air du temps.
L’Église catholique, quoi qu’en pense un mouvement féministe enfermé dans une doxa encore plus simpliste, n’a jamais contesté l’égalité de droits des femmes. C’est plutôt la gauche qui a bloqué leur droit de vote entre 1918 et 1945. La loi de 1905 séparant l’Église et l’État a été amputée des associations cultuelles que le pape refusait ; la République s’est contentée de renvoyer au droit canon les questions d’organisation du culte.
La loi Veil était au départ une loi de compromis, à mille lieues de la liberté totale de l’avortement telle qu’elle existe par exemple aux États-Unis ; le PaCS qui, à la suite d’une pétition des maires de France, ne se célèbre pas en mairie, n’a pas l’immense portée symbolique qu’aurait un mariage des homosexuels selon la forme commune. On peut continuer de cette manière à montrer que les choses ne sont pas aussi linéaires que ce qu’on imagine aujourd’hui au Parti socialiste.
C’est pourquoi les socialistes font, dans la question du mariage homosexuel, une double erreur d’analyse.
Le parti de tous les délires
Disons-le : loin d’être le parti du progrès, il se peut que ce parti soit devenu celui de tous les délires idéologiques. On le sait dans des domaines comme l’éducation nationale où la même gauche qui se targuait d’avoir construit l’école publique en France, en a soigneusement sapé les fondements tant par des réformes pédagogiques hasardeuses que par un égalitarisme abstrait dont l’ultime avatar est le projet de Vincent Peillon de supprimer les notes !
On voit au plan international les ravages d’un droit de l’hommisme abstrait — qui est aussi le fait, il faut bien le dire, du gouvernement américain et de l’Europe : n’est-ce pas lui qui met à feu et à sang des pays comme l’Égypte, la Tunisie, et bien entendu la Syrie, plongés aujourd’hui dans une crise grave résultant directement de la volonté de leur imposer une démocratie formelle de type occidental ?
La gauche se vante d’être dans le sens de l’histoire : mais qui a vu venir en son sein la chute de l’Union soviétique ?
C’est pourquoi nous sommes fondés à penser que, dans les questions sociétales, comme autrefois face au libéralisme triomphant ou à la montée des totalitarismes dans les années trente, l’Église catholique, ainsi que ceux que ses positions inspirent, croyants ou non, apparaissent non comme des rétrogrades menant un combat d’arrière-garde , mais comme des garde-fous (au sens strict du terme : ceux qui nous gardent de la folie ambiante) ayant eu et ayant encore l’immense mérite de garder le bon sens, quand une partie du monde politique se trouve sous l’emprise d’un délire collectif.
Loin d’être un combat des progressistes contre les réactionnaires, nous avons affaire à un combat de la raison contre la déraison.
C’est le motif de la force des opposants au prétendu mariage pour tous ; ils ne s’appuient pas seulement sur une Église affaiblie, mais sur l’analyse instinctive que font tous les gens ordinaires auxquels le matraquage médiatique n’a pas fait complètement perdre le bon sens, à commencer par la majorité des élus locaux , même socialistes.
Les suites éventuelles de la loi
L’autre erreur d’analyse des socialistes porte sur les suites d’un vote éventuel de la loi.
Le scénario imaginé par François Hollande - après un baroud d’honneur des opposants, une fièvre passagère, et le vote de la loi, le retour au calme, la population se résignant - est gravement illusoire.
Gageons que le vote de cette loi sera au contraire pour François Hollande, non point la fin mais le vrai commencent de ses ennuis. Qu’il ne se fasse pas d’illusions : ce vote ne suffira pas à acclimater le mariage homosexuel en France. Les élus de l’outre-mer nous en ont prévenus : le rejet violent du principe par les habitants de ces territoires et même de la Corse, fait porter un risque sérieux sur l’unité de la République. Il est probable qu’un régime d’exception devra leur être concédé.
Les élus assez courageux pour faire valoir une objection de conscience ne seront sans doute pas très nombreux, mais un cas ici, un cas-là suffiront pour créer chaque fois un incident et raviver les polémiques. Il y a plus de chances que les maires qui ne voudront pas se compromettre avec une cérémonie qu’ils jugeront ridicule ou immorale délèguent le soin de les célébrer à un conseiller municipal de second ordre. À Londres, le licenciement d’une fonctionnaire de l’état-civil ayant refusé de célébrer une union de ce genre se trouve actuellement devant la Cour européenne des droits de l’homme.
Certes les musulmans de France n’ont pas été aussi nombreux que les catholiques à manifester. Mais ils n’en abhorrent pas moins ce projet : combien voudront encore s’intégrer dans une République devenue, si elle admet le mariage des homosexuels, objet de mépris ?
Aux États-Unis (ou 10 États sur 50 l’ont adopté), la question du mariage homosexuel, comme celle de l’avortement, met depuis vingt ans le pays en situation de quasi guerre civile.
La révolution anthropologique que suppose la théorie du genre, aura, n’en doutons pas, autant de mal à passer que la suppression de la propriété privée et de la religion en a eu dans la défunte URSS. Tout simplement parce que les unes et les autres sont absurdes.
François Hollande doit aussi comprendre que le million de personnes qui ont défilé le 13 janvier dernier et plus encore le 24 mars à Paris (et tous ceux qui ont sympathisé avec eux) se sentiront profondément humiliées si la loi est votée, persuadés qu’ils sont de représenter, dans cette affaire, la partie la plus responsable du peuple français. Si la loi n’est pas d’une manière ou d’une autre enterrée – la manière la plus élégante étant sans doute un rejet par le Sénat —, elle sera, n’en doutons pas, à l’ordre du jour de la prochain élection présidentielle.
S’il est vrai que les manifestants de la "Manif’ pour tous" sont plutôt de droite, leur motivation pour faire battre le candidat socialiste se trouverait néanmoins décuplée dans le cas où le projet Taubira allait à son terme.
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