Article rédigé par Pierre-Olivier Arduin, le 18 mars 2013
Après le Sénat en décembre dernier, l’Assemblée nationale s’apprête à adopter le 28 mars prochain la proposition de loi libéralisant la recherche sur l’embryon et les cellules souches embryonnaires. Une décision idéologique qui relève du négationnisme scientifique et éthique, constitue une rupture majeure avec nos principes de droit, réduit l’embryon humain à un vulgaire matériel d’expérimentation et signe la fin de la bioéthique.
Il aura suffi de deux petites heures dans la nuit du 4 au 5 décembre 2012 pour que le Sénat raye d’un trait de plume ce qui restait de dispositions protectrices à l’égard de l’embryon humain dans notre système juridique et balaye les deux années d’auditions parlementaires, consultations d’experts et débats citoyens qui avaient débouché sur le maintien de l’interdit de principe dans la loi du 7 juillet 2011 relative à la bioéthique.
Profitant d’une niche parlementaire, le Parti radical de gauche à l’origine de la proposition de loi votée en première lecture par les sénateurs est parvenu à la mettre à l’ordre du jour de l’Assemblée le 28 mars prochain. Espérant un vote éclair comme au palais du Luxembourg, la majorité soutenue par l’exécutif veut faire passer dans les plus brefs délais le régime actuel d’interdiction de la recherche assorti de dérogations à un régime d’autorisation.
Comme le déplore Jean-Marie Le Méné, président de la Fondation Jérôme-Lejeune, qui tente par tous les moyens de mobiliser pour contrer cette fuite en avant, « la première réforme de société votée par la nouvelle majorité ne sera pas le mariage homosexuel mais la recherche sur l’embryon humain [1]» (cf. http://www.vous-trouvez-ca-normal.com). Une transgression annoncée de longue date par le chef de l’État qui s’était engagé pendant la campagne présidentielle à faire sauter les derniers garde-fous protégeant l’embryon humain.
Jusqu’ici a toujours prévalu l’article 16 du Code civil garantissant « le respect de l’être humain dès le commencement de sa vie », dont la portée explique pourquoi les autorisations de recherche sur l’embryon et les cellules souches embryonnaires n’ont jamais été que des dérogations, accordées au cas par cas, à l’interdit de principe. C’est parce que le respect de l’embryon in vitro a toujours été interprété comme une exigence découlant de notre ordre juridique que le législateur a intégré dès les premières lois de bioéthique de 1994 ce principe d’interdiction et l’a reconduit lors des deux révisions de 2004 et 2011, même s’il a été alors écorné par l’octroi de dérogations.
Le passage à un régime de libéralisation traduit donc un renversement radical de perspective où pour la première fois, « le principe de protection de la vie de l’être humain va devenir une exception [2]», ce qui ne s’était jamais vu, même pas dans le cadre de la loi dépénalisant l’IVG.
Ce bouleversement radical sur le plan symbolique est perpétré dans un mépris complet de la science et de l’éthique.
Mépris de la science
Mépris de la science d’abord dont les résultats en matière de travaux sur les cellules souches sont volontairement ignorés et manipulés au nom de ce qui peut s’apparenter à un négationnisme des faits. Les cellules souches embryonnaires ont douché tous les espoirs au point que celui qui les a isolées en 1998, le professeur américain James Thomson, a renoncé à en faire une priorité de ses recherches. En quinze ans, aucun patient dans le monde n’a jamais été traité avec ces cellules, et pour cause, il n’y a jamais eu aucun essai clinique digne de ce nom qui ait pu être mené chez l’homme de manière concluante. Comment oser, contre l’évidence des faits, soutenir avec aplomb dans l’exposé des motifs de la proposition de loi que « l’interdiction de principe, même assortie de dérogations éventuelles, est préjudiciable aux malades » ou que « la recherche sur les cellules souches embryonnaires est porteuse d’espoir » ? Au moins les auteurs de ce texte sont-ils en bonne place pour obtenir le prix Lyssenko de la désinformation scientifique.
Ce déni apparaît d’autant plus inconcevable que la révolution scientifique et médicale des cellules souches adultes reprogrammées – les fameuses cellules souches induites iPS – ne peut plus être occultée depuis que son inventeur, le professeur nippon Shinya Yamanaka s’est vu décerner le prestigieux prix Nobel de Médecine 2012. Le Japon a annoncé sa volonté de se doter de l’une des plus grandes banques au monde de lignées de cellules souches iPS. Il aura par ailleurs fallu moins de six ans depuis la mise au point de cette technique pour que soit lancé au pays du Soleil levant le premier essai clinique d’un traitement de la dégénérescence maculaire liée à l’âge avec des cellules iPS.
Le potentiel de ces cellules est tel qu’après qu’une fondation américaine parrainée par les plus grands chefs d’entreprise des États-Unis a décidé le 27 février dernier d’octroyer un prix de 3 millions de dollars à Yamanaka, Harvard, l’une des premières universités au monde dans le domaine de la recherche sur les sciences de la vie, a crée un institut spécialement dédié aux travaux sur les iPS. Quand une poignée de parlementaires de gauche, aveuglés par leurs propres « croyances » au point d’ignorer les évolutions spectaculaires dans le champ des thérapies cellulaires, viennent nous dire que la France est en retard sur le reste du monde du fait des restrictions en matière de recherche sur l’embryon, on croit rêver. La vérité, c’est que l’absence de vision de la majorité dans les sciences du vivant est en train de faire perdre des années à nos chercheurs hexagonaux, déjà distancés sur le plan international pour ne pas avoir pris le train des iPS en marche.
La gauche invente le statut infra-humain
Si la majorité se moque de la science, elle s’assoit allègrement sur l’éthique, autrement dit sur le respect de la dignité humaine. Les plus récentes acquisitions de la biologie montrent sans la moindre contestation que l’embryon humain est le point de l’espace et du temps où un nouvel être humain débute son propre cycle vital, construisant sa propre forme, moment après moment, de manière autonome et sans aucune discontinuité. La réalité de l’être humain, tout au long de son existence, avant et après sa naissance, ne permet d’affirmer ni un changement de nature, ni une gradation de la valeur morale.
La conséquence immédiate du changement de paradigme opéré par la gauche est la construction artificielle d’un statut infra-humain de l’embryon. S’érigeant en tribunal révolutionnaire, elle congédie arbitrairement l’embryon de l’humanité pour le réduire à un amas de cellules. L’être humain à peine conçu est réduit à un vulgaire matériau d’expérimentation et à un gisement de cellules livré aux appétits financiers de quelques lobbies « scientistes ». Il est vrai que l’embryon humain à l’avantage d’être un « cobaye gratuit » contrairement aux embryons animaux, très onéreux et ultra-protégés par le droit communautaire européen.
Même les mécanismes « procéduraux » mis en place par le précédent législateur obligeant à l’organisation d’un débat public avant toute modification de la loi relative à la bioéthique ne trouvent grâce aux yeux de la majorité. L’article L. 1512-1-1 du Code de la santé publique dispose pourtant que « tout projet de réforme sur les problèmes éthiques […] soulevés par les progrès de la connaissance dans les domaines de la biologie, de la médecine et de la santé doit être précédé d’un débat public sous forme d’états généraux ». Mais de ce dispositif de « démocratie citoyenne », la majorité n’en a cure, obstinée qu’elle est à faire triompher la vérité du parti sur la vérité scientifique.
Au final, c’est l’idée même de bioéthique, déjà malmenée par les partisans de compromis, qui vole en éclat. Forgé par la réunion du préfixe « bio » et du suffixe « éthique », le terme montre bien que la réflexion morale appliquée aux progrès biomédicaux sur la vie humaine doit d’une part prendre en compte de manière rigoureuse les faits scientifiques (le « bio ») et d’autre part la dignité humaine au fondement de l’« éthique ».
De cette interaction entre le champ médical et scientifique pris dans son intégralité et l’éthique avec son principe cardinal de protection de la dignité découle un jugement sur la légitimité morale ou non de tel ou tel protocole, de telle ou telle décision. En réécrivant les données scientifiques selon son bon vouloir et en rejetant tout discours de nature éthique, la majorité est sur le point de vider de sa substance la signification même de la bioéthique qui dès lors ne veut plus rien dire.
Pierre-Olivier Arduin est directeur de la Commission bioéthique du diocèse de Fréjus-Toulon.