Article rédigé par Thomas et Henri Hude , le 15 janvier 2013
La manifestation du 13 janvier constitue un phénomène politique d’une importance considérable : la première étape vers la naissance d’une force conservatrice populaire en France.
Un phénomène de quantité
Quel est l’ordre de grandeur du phénomène ? Combien de manifestants ? Le gouvernement dit moins de 400.000 et les organisateurs 800.000. Mais, curieusement, des officiers de gendarmerie affirment que la gendarmerie nationale aurait fourni de son côté au gouvernement le chiffre de 1,3 million.
Connaissant un peu les organisateurs, nous ne serions serais pas étonnés que, sur le point du dénombrement, les gendarmes se soient montrés prudents, voire scrupuleux. Nous avons vu de nos yeux toute la journée du 13 janvier, et observé avec attention, une foule, presque partout compacte, qui s’étalait sur quinze kilomètres de boulevards périphériques intérieurs, ou de très larges avenues. Cette foule, en même temps, remplissait plusieurs grandes places de Paris. Le calcul approché mène autour du million. Tel est le premier fait.
Un phénomène de qualité
Les manifestants doivent être pesés autant que comptés. Ce n’était pas ce qu’on appelle une manifestation populaire. Il y avait là, plutôt, un million de cadres de la nation. Des familles solides, beaucoup de jeunesse, des gens à convictions, des patrimoines, des professionnels, des positions sociales. Cela aussi est un fait. C’est une force et c’est aussi une faiblesse. Mais c’est plutôt une force.
Il existe donc dans ce pays un million de personnes de ce niveau et capables de se mobiliser ; sans doute y en a-t-il davantage de mobilisables.
Une intensité nouvelle
Ce million s’est compté lui-même. Il n’a plus peur. Il sait qu’il est un million, donc il sait qu’il est des millions. Le Président aurait beaucoup gagné à pouvoir observer les visages graves et sérieux de ces hommes et de ces femmes, quand ils lui criaient : « François, François, ta loi on n’en veut pas ! » Ce n’était pas du déchaînement passionnel, mais plutôt une nouvelle force de résolution réfléchie, raisonnable, volontaire et décidée – et pacifique.
Une énergie qui se cherche
Et pourtant, il n’y avait pas encore là une force guidée par une stratégie politique. La simple opposition est importante mais ne constitue pas un programme. Il n’y avait pas non plus de grand leader politique.
Mais quel leader politique existant aurait pu se mettre à la tête d’un tel rassemblement ? Cela montre bien qu’il y a en France des masses entières qui ne sont pas représentées.
Les conservateurs ne sont pas représentés en politique
Car, malgré l’astucieux habillage médiatique de la manifestation, malgré la coalition habilement formée, le noyau dur de ce rassemblement était majoritairement catholique et conservateur, et, par habitude plutôt à droite.
Mais justement, posons aujourd’hui cette question : quand on est conservateur, est-on encore à droite ?
Et les classes populaires dans tout cela ?
Nous aimerions prendre un peu de recul en posant une autre question qui, en apparence, n’a rien à voir, mais qui est pourtant connexe : « Et quand on appartient aux classes populaires, est-on encore de gauche ? »
En effet, le Parti socialiste, en lançant la grande libéralisation économique du pays à partir des années 80, en union sacrée sur ce point avec la droite néolibérale, a détruit le capitalisme industriel et local pour favoriser le capitalisme financier et mondialisé. Il a fait passer le pays d’un modèle économique où l’objectif était le développement et le progrès social, à un modèle où la seule règle est l’optimisation du retour sur capital, sur une base mondiale. Un jeu économique dans lequel un système de solidarité, même bien géré, est un luxe qu’on ne peut pas se payer. Est-ce là une politique servant les intérêts populaires ?
Ainsi, les couches populaires ne sont pas représentées non plus par la classe politique.
La grande duperie du clivage droite/gauche
Ainsi, face à une classe politique où domine l’idéologie libérale et libertaire, un peu plus libérale à droite, un peu plus libertaire à gauche, les conservateurs, comme les classes populaires, sont sans représentation. Le Parti socialiste n’a presque plus rien d’un parti populaire. Et que reste-t-il de conservateur à droite ?
En schématisant un peu grossièrement, la droite est une machine à duper les conservateurs, et la gauche une machine à duper les classes populaires, au profit d’une même politique libérale et libertaire. Et le clivage droite/gauche aurait pour principale fonction d’empêcher l’unité entre les classes populaires et les couches conservatrices.
La stratégie pour les conservateurs…
Cette manifestation changera-t-elle quelque chose à court terme ? Nous souhaitons tous qu’elle influence le débat sur le mariage. Mais si tel ne devait pas être le cas, quelque chose d’essentiel aurait néanmoins été accompli : la prise de conscience par les conservateurs qu’ils sont nombreux et qu’ils représentent une force politique de premier plan, si un jour ils savent se donner une stratégie de gouvernement.
Gouverner dans quel sens ? C’est le même individualisme dérégulé qui abîme la famille et qui ruine notre tissu économique et industriel. C'est lui qui prive les classes populaires de tout avenir économique et de toute solidarité en matière d’investissement.
Le deal conservateur/populaire
1/ Les conservateurs doivent prendre conscience que, « parmi les droits et devoirs sociaux aujourd’hui les plus menacés, il y a le droit au travail. […] La dignité de l’homme, ainsi que la logique économique, sociale et politique, exigent que l’on continue à se donner comme objectif prioritaire l’accès au travail, ou son maintien, pour tous » (Benoit XVI, 1er janvier 2013).
2/ Les populaires authentiques doivent prendre conscience que, parmi les conditions les plus fondamentales de la solidarité, il y a la famille et l’éducation substantielles, et non pas prise au sens idéologique.
L’unité avec les partis populaires
Sur une telle base, les conservateurs et les partis (authentiquement) populaires sont donc des alliés naturels. Leur alliance est la force politique qui a les ressources, en quantité et en qualité, pour renouveler la classe dirigeante, où domine l’idéologie libérale et libertaire.
Leurs deux objectifs communs sont donc : 1/ réinstaller en France et en Europe un capitalisme industriel et entrepreneurial orienté vers le développement local, le travail pour tous et le progrès social. 2/ Valoriser la famille et réformer l’éducation.
Être au service
C’est bien une élite qui a défilé dimanche. Une élite conservatrice. Mais une élite n’a pas beaucoup de légitimité quand elle défend ses propres convictions, aussi excellentes soient-elles. En revanche, une élite bénéficie d’une énorme légitimité quand elle s’engage à fond au service du peuple.
Henri Hude,
philosophe,
vient de faire paraître Préparer l'avenir, nouvelle philosophie du décideur, (Economica)
Thomas Hude,
ancien élève d'HEC
Poursuivre la réflexion :
www.henrihude.fr
-