Article rédigé par Gérard Thoris, le 13 octobre 2012
Les discussions autour de la notion de mariage sont aujourd’hui, en France et dans le monde, d’une rare violence rentrée. Comme toujours dans les questions fondamentales, c’est sur la sémantique que tout se joue. Avant-avant-hier, il s’agissait de savoir ce qu’est la nature humaine ; à peine hier, on s’interrogeait pour savoir si une taxonomie en termes de genre était plus adéquate qu’en termes de sexe ; aujourd’hui, fort logiquement, on s’interroge sur la notion de mariage.
Une étude de cette notion à travers les civilisations serait d’une grande utilité. Elle montrerait que, par exemple, dans la Chine antique, le mariage était réservé aux patriciens tandis qu’il n’était que la conséquence de l’accouplement chez les plébéiens. Mieux, le mariage des patriciens n’était considéré comme consommé que si et seulement si l’épouse avait sacrifié aux dieux lares de son mari ! A ce moment, et à ce moment seulement, on dételait ses chevaux ![1] Comment peut-on mieux institutionnaliser la différence entre l’attrait sexuel et le projet conjugal ? Comment peut-on mieux suggérer que le projet conjugal a besoin de la force, sous une forme ou sous une autre, d’une conviction religieuse, c’est-à-dire du sceau de quelque chose qui nous dépasse.
Le mariage chrétien le prouve par excellence. Le sceau de son indissolubilité est l’amour irrévocable de Dieu pour l’homme, amour du créateur pour sa créature, amour tellement intense qu’il n’imagine pas que la réponse puisse être autre chose que librement consentie et, de ce fait, définitive. Ce mariage ne s’est jamais imposé spontanément ; il va contre la nature humaine quand elle s’analyse pour ce qu’elle est et non pour ce qu’elle pourrait être. De toutes façons, la forme de ce impératif repose exclusivement sur ce que Jésus Christ lui-même a dit. Fragile équilibre et faible espoir de reconnaissance dans notre civilisation déclinante.
On ne contestera pas que ce mariage, s’il a jamais structuré notre civilisation, l’a fait avec de nombreuses imperfections, davantage comme un projet que comme une réalisation. Reste qu’il n’était pas contesté dans son principe.
Aujourd’hui, c’est le cas.
Contesté dans son principe, il le sera fort logiquement dans la loi dans un futur très proche.
C’est donc l’occasion de promouvoir une réflexion et de concevoir une riposte.
Le mariage catholique est le choix libre de deux personnes. On ne rappellera jamais assez qu’il est contraire aux principes du libéralisme philosophique qui estime qu’il n’est pas possible d’aliéner à ce point sa propre liberté. Mieux, on peut sous cet angle le considérer comme anticonstitutionnel. Il a d’ailleurs fallu le pragmatisme de Napoléon pour qu’il soit à nouveau toléré. Il y a seulement mis le préalable du mariage civil.
Mais puisque, aujourd’hui, le laïcisme à la française a tellement gagné les mœurs, pourquoi ne pas considérer que le mariage catholique n’est qu’un pacte privé ? Rendant à César ce qui est à César, le catholique irait se faire marier à la mairie, comme la loi l’oblige avant tout mariage religieux. Il irait ensuite prendre Dieu à témoin de son engagement humain, de sa bonne volonté comme de sa faiblesse. Il irait, dans la foulée, divorcer de son conjoint à la Mairie, puisque celle-ci ne s’intéresse pas à sa vie.
En fait, le moment du divorce serait choisi en fonction des niches fiscales. Ce pourrait être à l’arrivée des enfants, ou un peu plus tard et jusqu’à leur départ définitif du foyer conjugal. Il bénéficierait ainsi légalement de toutes les mesures prises pour accompagner ce que les lois de la République considèrent comme un choix individuel mais que le Code des impôts transforme en charge collective. Il en est ainsi des demi-parts supplémentaires aussi bien que des pensions alimentaires déductibles.
Si jamais il arrivait qu’un inspecteur des impôts les rattrape pour concubinage notoire, ils pourraient toujours s’appuyer sur la situation de fait à l’Elysée et demander la preuve que le Président et la First Girlfriend de France, dont le concubinage est notoire, ont bien fusionné leur patrimoine dans leur déclaration d’impôts. A défaut, ils pourraient larmoyer avec les journalistes du Monde en expliquant que leur situation financière ne leur permet de réaliser dans les faits la séparation de corps qu’ils ont officialisée à la mairie[2].
Multipliant l’utilisation d’une niche fiscale fort peu signalée, ils mettraient le budget de l’Etat en difficulté et comme l’argent est aujourd’hui le seul argument qu’entend la République, ils réussiraient peut-être à se faire entendre…
Cependant, le législateur a toutes les bonnes raisons de penser que cela n’est pas possible. Les Catholiques cherchent à s’identifier à leur maître : ils sont doux comme des agneaux. Comme leur maître les y invite, ils paient l’impôt sans rechigner. Ils acceptent volontiers d’atténuer la charité qui anime leur cœur pour qu’elle entre dans les canaux de la solidarité étatique.
Qu’on ne se trompe pas néanmoins, en touchant aux fondements d’une institution naturelle, il se pourrait bien qu’on touche aussi aux limites de leur bonhomie. Il se pourrait aussi que l’on réveille en beaucoup de ceux qui n’ont plus qu’un lien distendu avec l’institution religieuse les restes de la conscience morale naturelle – la syndérèse disent les spécialistes. Certes, elle a été blessée par le péché originel disent les uns, par la corruption de la société dit Rousseau. Mais justement, c’est au moment où l’on touche la moelle épinière que les processus de rejet sont les plus radicaux. A moins que la transplantation médiatique d’un autre code moral ait déjà complètement réussi !
Photo : Wikimedia Commons / Roland Godefroy
[1] MASPERO Henri (1927), La Chine antique, Paris, E. de Boccard
[2] ROLLOT Catherine (2012), « Ces couples séparés mais contraints de cohabiter », Le Monde du 18 mai